OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les licences libres aux portes de la révolution http://owni.fr/2012/11/09/les-licences-libres-aux-portes-de-la-revolution/ http://owni.fr/2012/11/09/les-licences-libres-aux-portes-de-la-revolution/#comments Fri, 09 Nov 2012 09:44:55 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=125571

Dans une chronique précédente, j’avais pris parti dans le débat à propos de la clause Non-Commerciale des Creative Commons, dont certains réclament la suppression à l’occasion du passage à la version 4.0 des licences.

Je défendais l’idée que cette clause devait être maintenue, dans l’intérêt même de la Culture libre, notamment parce que la notion de Non Commercial est importante pour espérer parvenir un jour à une légalisation des échanges non marchands, seule solution pour mettre fin à la guerre au partage qui sévit actuellement.

L’un des arguments les plus forts avancés par les détracteurs de la clause NC consiste à dire qu’elle est incompatible avec la notion de biens communs, alors que celle-ci figure pourtant dans le nom-même des Creative “Commons”. C’est ce qu’avance notamment Rufus Pollock, co-fondateur de l’Open Knowledge Foundation, dans ce billet :

C’est un point crucial [...] Les Creative Commons ne permettent tout simplement pas la constitution de biens communs. Les licences NC (Non-Commercial) et ND (Pas de modification) empêchent les oeuvres placées sous CC de constituer un commun numérique unifié que tout le monde serait en mesure d’utiliser, de réutiliser et de partager [...] Le fait que Creative Commons  paraît promouvoir un commun (qui n’en est pourtant pas un) s’avère en définitive avoir un effet négatif sur la croissance et le développement de biens communs numériques.

Le non commercial, avenir de la culture libre

Le non commercial, avenir de la culture libre

La licence NC (non commerciale) des Creative Commons permet à chacun de diffuser la culture librement en se laissant ...

Dans mon précédent billet, j’étais déjà en désaccord avec cette analyse, estimant que toute forme de mise en partage des contenus par le biais de licences s’inscrit dans le mouvement de constitution des communs numériques.

Depuis, j’ai découvert une nouvelle licence – la Peer Production Licence – qui me conforte grandement dans cette analyse, en permettant d’élever le débat à un niveau encore plus général. Ce nouvel instrument a été créé en adaptant la licence CC-BY-NC-SA (Creative Commons -  Paternité – Pas d’usage commercial – Partage à l’identique). Il s’inspire des conceptions de Dmitry Kleiner, fondateur du collectif Telekommunisten, qui prône l’avènement d’une nouvelle conception des licences libres : le Copyfarleft (“Extrême gauche d’auteur”) dans le but de permettre la création de biens communs à une échelle supérieure.

Son approche est sensiblement différente de celle qui a présidé à la création des licences libres dans le secteur du logiciel, comme la GNU-GPL de Richard Stallman. La Peer Production Licence n’entend pas en effet rejeter la clause Non Commerciale, mais l’adapter afin de promouvoir le développement d’une nouvelle économie, organisée sur un mode décentralisé et tournée vers la production de biens communs.

Cette licence est soutenue par d’autres penseurs importants du mouvement des biens communs et de l’économie numérique, comme le belge Michel Bauwens, théoricien de la Peer to Peer Economy et fondateur de P2P Foundation.

Contrairement aux arguments “libristes” traditionnels, la Peer Production Licence prouve que non seulement le Non-Commercial n’est pas incompatible avec la notion de biens communs, mais qu’il pourrait bien être indispensable à l’avènement de nouveaux modèles économiques centrés sur leur production, à condition d’en revoir la définition.

Redéfinir la clause Non-Commerciale en faveur des biens communs

Dans les licences Creative Commons, la clause non-commerciale soumet à autorisation préalable les usages commerciaux, conçus d’une manière très large :

L’Acceptant ne peut exercer aucun des droits qui lui ont été accordés [...] d’une manière telle qu’il aurait l’intention première ou l’objectif d’obtenir un avantage commercial ou une compensation financière privée.

Un des reproches fréquemment adressés à cette définition du NC est d’être trop floue et de s’appliquer indistinctement à une société commerciale qui voudrait utiliser une oeuvre pour en faire profit, ou à une association caritative, qui pourrait ponctuellement avoir une activité commerciale, sans que son but soit lucratif.

La Peer Production Licence (Licence de production de pair à pair) fonctionne justement en prenant en compte la nature de la structure qui fait un usage commercial de l’oeuvre. Inspiré par la théorie des biens communs, son principe consiste à permettre aux commoners (ceux qui participent à la création et au maintien d’un bien commun), aux coopératives et aux organismes à but non-lucratif d’utiliser et de partager les oeuvres, y compris à des fins commerciales, mais les entités commerciales qui chercheraient à faire du profit en utilisant le bien commun ne pourrait le faire que dans le cadre d’une stricte réciprocité, en contribuant financièrement à l’entretien du commun.

Pour ce faire, la Peer Production Licence redéfinit la clause Non-Commerciale de cette façon :

c. Vous pouvez exercer les droits qui vous sont conférés à des fins commerciales seulement si :

i. Vous êtes une entreprise ou une coopérative dont la propriété appartient aux travailleurs (workerowned) ; et

ii. Tous les gains financiers, surplus, profits et bénéfices générés par la société ou la coopérative sont redistribués aux travailleurs.

d. Tout usage par une société dont la propriété et la gouvernance sont privées et dont le but est de générer du profit  à partir du travail d’employés rémunérés sous forme de salaires est interdit par cette licence.

L’usage par une structure à but lucratif est interdit, mais cela ne signifie pas qu’il est impossible : il faut que la société commerciale négocie une autorisation et verse le cas échéant une rémunération, si le titulaire des droits sur l’oeuvre l’exige.

Copyheart, un amour de licence libre

Copyheart, un amour de licence libre

Le Copyheart créé par Nina Paley véhicule un message : copier est un acte d'amour. Derrière le côté peace & love, ...

Au vu de ces éléments, on comprend mieux l’appellation de cette licence : licence de production de pair à pair. Ses termes sont asymétriques et l’effet de sa clause NC à géométrie variable. Pour les acteurs qui se comportent comme des “pairs” et sont structurés organiquement pour ce faire, l’usage commercial est possible et la licence est identique à une licence Copyleft classique. Pour les acteurs structurés dans le but de faire du profit, la Peer Production Licence leur impose les contraintes classiques du copyright (autorisation préalable et paiement).

Ces mécanismes sont particulièrement intéressants et ils s’inscrivent dans le cadre d’une philosophie particulière des licences libres : le Copyfarleft.

Au-delà du copyleft…

Dmitry Kleiner, qui est à l’origine de cette conception, en a énoncé les grandes lignes dans un article intitulé Copyfarleft and Copyjustright, paru en 2007, qui critiquait à la fois les licences Copyleft et les licences de type Creative Commons.

Kleiner faisait tout d’abord remarquer que le Copyleft dans le secteur du logiciel a profondément bouleversé le paysage en permettant la mise en place d’une propriété partagée. Mais de nombreuses firmes privées, parfaitement capitalistes, ont fini par trouver un intérêt à contribuer au développement de logiciels libres, afin de bénéficier d’outils performants à moindre coût. Ces sociétés vont jusqu’à embaucher et rémunérer des développeurs afin qu’ils améliorent le code, même si elles ne bénéficient pas en retour de la propriété exclusive sur celui-ci.

Ces relations entre les biens communs que constituent les logiciels libres et les entreprises capitalistes sont certainement bénéfiques aux deux parties et elles font partie intégrante de l’écosystème de l’Open Source. Mais d’un certain côté, elles sont aussi le signe que le Copyleft n’a pas abouti à une remise en cause fondamentale des structures même de l’économie de marché : ces firmes restent formatées pour maximiser leurs profits et les salariés qu’elles emploient demeurent des employés comme les autres.

Par ailleurs – et c’est aussi un aspect que j’avais développé dans ma chronique précédente sur le Non-Commercial, le Copyleft avec son effet viral fonctionne bien pour les logiciels, mais il n’est pas forcément adapté pour les autres formes de création, surtout lorsqu’il s’agit d’assurer une rémunération aux auteurs :

[...] Il y a un problème : l’art ne constitue pas, dans la plupart des cas, un facteur pour la production comme peuvent l’être les logiciels. Les propriétaires capitalistes peuvent avoir intérêt à soutenir la création de logiciels libres, pour les raisons décrites plus haut. Pourtant, dans la majorité des cas, ils ne soutiendront pas la création artistique sous copyleft. Pourquoi le feraient-ils ? Comme toutes les informations reproductibles, l’art sous copyleft n’a pas directement de valeur d’échange, et contrairement aux logiciels, il n’a pas non plus généralement de valeur d’usage pour la production. Sa valeur d’usage existe uniquement parmi les amateurs de cet art, et si les propriétaires capitalistes ne peuvent pas imposer à ces amateurs de payer pour avoir le droit de copier, en quoi cela pourrait-il leur être utile ? Et si les propriétaires capitalistes ne soutiennent pas l’art sous copyleft qui est gratuitement diffusé, qui le fera ?

Le Copyleft, tel que développé par la communauté du logiciel, n’est donc pas une option viable pour la plupart des artistes. Et même pour les développeurs de logiciels, il ne modifie pas la loi d’airain des salaires, qui fait qu’ils sont capables de gagner leur vie, mais rien de plus, tandis que les propriétaires capitalistes continuent à capter toute la valeur du produit de leur travail.

Les licences Creative Commons classiques, que Kleiner appelle “Copyjustright”, ne sont à ses yeux pas plus capables de changer la donne, notamment parce que leur clause Non-Commercial est trop large.

Pour changer les règles du jeu en faveur du développement des biens communs, il est nécessaire selon Kleiner d’adopter la nouvelle conception du Copyfarleft, qui passe par un Non-Commercial à deux vitesses que nous avons décrit ci-dessus :

Pour que le copyleft développe un potentiel révolutionnaire, il doit devenir Copyfarleft, ce qui signifie qu’il doit insister sur la propriété partagée des moyens de production.

Pour arriver à ce but, la licence ne doit pas avoir un seul jeu de règles identiques pour tous les utilisateurs, mais elle doit avoir des règles différentes selon les différentes catégories d’utilisateurs. Concrètement, cela veut dire un jeu de règles pour ceux qui fonctionnent à partir de la propriété partagée et de la production en commun et un autre pour ceux qui utilisent la propriété privée et le travail salarié dans la production.

Une licence Copyfarleft doit permettre aux producteurs de partager librement, tout en réservant la valeur de leur travail productif. En d’autres termes, il doit être possible pour les travailleurs de faire de l’argent en consacrant leur travail à la propriété commune, mais il doit être impossible pour les titulaires de la propriété privée de faire de l’argent en employant du travail salarié.

Il n’est pas étonnant que la Peer Production Licence soit soutenue par un penseur comme Michel Bauwens, qui consacre ses travaux à la nouvelle économie collaborative. Pour que les pratiques de pair à pair (Peer to Peer Economy) constituent à terme un véritable système de production viable, fonctionnant selon des principes différents des structures capitalistes classiques, l’effet dissymétrique de la Peer Production Licence est indispensable :

Si un individu contribue au commun, il peut aussi l’utiliser gratuitement ; en revanche, s’il profite sans contribuer, il contribue sous forme de paiement. De cette façon, les commoners (ce qui développent des biens communs) seraient facilités dans leur propre production sociale en lien direct avec la création de valeur. Il devrait également être possible de changer les formes légales des entreprises qui occupent la sphère du marché, en opérant un déplacement des entreprises profit-maximizers à des product-maximizers, favorisant la synergie entre consommateur et producteur. Il faut que les entreprises ne soient pas structurellement incitées à être des requins, mais des dauphins.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

L’objectif du Copyfarleft n’est pas seulement de faire en sorte que les produits du travail créatif deviennent des biens communs partageables, mais que les structures de production elles-mêmes s’organisent sous la forme de biens communs. Cela va dans le sens des principes de l’économie sociale et solidaire, en ajoutant la dimension propre aux licences libres. Pour Michel Bauwens, l’objectif final est que les structures de l’économie collaborative puissent se rendre peu à peu autonomes du marché et prendre leur essor en temps qu’alternatives viables, capables de rémunérer les créateurs en dépassant le simple “bénévolat”.

Quelles différences entre les biens communs et le communisme ?

Quelles différences entre les biens communs et le communisme ?

Quelle sont les similitudes divergences entre les traditions socialistes et l'émergence des idées et pratiques liées au ...

Ces considérations peuvent paraître utopiques et on peut se demander si de telles sociétés ou coopératives, dans lesquelles les moyens de production appartiendraient vraiment aux travailleurs, ne sont pas qu’une vue de l’esprit.

Or ce n’est pas le cas. Il existe d’ores et déjà de nouvelles formes d’entreprises qui fonctionnent selon des principes révolutionnaires.

Entreprise collaborative et ouverte

Un exemple frappant de ces nouveaux types d’organisation en gestation est la start-up SENSORICA, basée à Montréal, oeuvrant dans le secteur de l’invention et de la fabrication de senseurs et de capteurs, notamment à destination de la recherche bio-médicale.

SENSORICA se définit elle-même non comme une entreprise classique, mais plutôt comme “un réseau de valeur ouvert, décentralisé et auto-organisé” ou encore “un réseau de production en commun de pair à pair“. La start-up est innovante dans le sens où  toutes ses productions sont placées en Open Source et où elle emploie elle-même des technologies ouvertes, comme les puces Arduino.

Mais c’est surtout dans son mode d’organisation que SENSORICA est proprement révolutionnaire. SENSORICA n’est pas incorporée sous la forme d’une société. Elle n’a pas en elle-même de personnalité juridique et ses membres forment plutôt un collectif, fonctionnant de manière horizontale, sans hiérarchie. L’équipe n’a d’ailleurs pas de frontières strictement délimitée : il s’agit d’une entreprise ouverte et toutes les personnes intéressées peuvent venir collaborer à ses projets.

SENSORICA n’a pas d’employés, mais des contributeurs, qui peuvent apporter selon leurs possibilités de leur temps, de leurs compétences ou de leur argent. Pour rétribuer financièrement les participants, la start-up utilise un système particulier qu’elle a créé et mis en place, dit Open Value Network.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Ce système consiste en une plateforme qui permet de garder trace des différentes contributions réalisées par les participants aux projets de SENSORICA. Un dispositif de notation permet aux pairs d’évaluer les contributions de chacun de manière à leur attribuer une certaine valeur. Cette valeur ajoutée des contributions confère à chacun un score et lorsqu’une réalisation de SENSORICA atteint le marché et génère des revenus, ceux-ci sont répartis entre les membres en fonction de ces évaluations.

Chacun est donc incité à contribuer aux développement des biens communs ouverts que produit l’entreprise et celle-ci est donc bien organisée pour que ses membres se partagent la propriété des moyens de production.

Ce système de production décentralisée en commun n’est donc plus une utopie et on trouvera d’autres exemples de ces Open Company Formats sur le wiki de la P2P Foundation. C’est pour favoriser le développement de telles structures alternatives que l’asymétrie de la Peer Production Licence pourrait s’avérer précieuse.

***

Laurent Chemla, dans sa dernière chronique sur Owni consacrée à la révolution numérique, termine en ces termes :

Les nouvelles structures se mettent en place, tranquillement, en dehors des modèles anciens. AMAPs, SELs, logiciels et cultures libres, jardins partagés… l’économie solidaire est en plein développement, hors des sentiers battus du capitalisme centralisateur.

[...] il manque encore pour bien faire, un moyen d’assurer le gîte et le couvert [...]

Ce dernier point est essentiel. Le Copyleft et les licences Creative Commons ont permis la mise en place de nouvelles façons de créer de la valeur, de manière collaborative et décentralisée. Mais ces formules n’assurent que rarement aux créateurs un moyen de subsistance, leur donnant l’indépendance nécessaire pour contribuer à la constitution de biens communs, en dehors d’un “bénévolat” forcément inscrit en creux dans le système classique et accessible uniquement à un nombre réduit.

Pour dépasser cet état, il faut explorer de nouvelles voies et la Peer Production Licence en est une, parmi d’autres, pour faire émerger une économie des communs.


Photo par Alpha du centaure [CC-by]

]]>
http://owni.fr/2012/11/09/les-licences-libres-aux-portes-de-la-revolution/feed/ 0
Fashion victim du copyright http://owni.fr/2012/10/24/fashion-victim-du-copyright/ http://owni.fr/2012/10/24/fashion-victim-du-copyright/#comments Wed, 24 Oct 2012 16:45:20 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=123974

Georges Hobeika, Haute Couture Spring Summer 2010 (cc) Ammar Abd Rabbo

Les lecteurs de Lovecraft le savent bien, ils se passent des choses étranges dans les angles

Avec le droit d’auteur, c’est la même chose : il existe une certain nombre d’angles morts, dans lesquels il perd son efficacité et où il se passe effectivement des choses intéressantes à observer, qui prouvent souvent que la création peut se réguler d’une autre manière.

Un de ces angles morts est en ce moment sérieusement remis en question aux États-Unis : il s’agit du secteur que la mode.

À la mode US

Il faut en effet savoir que la mode, y compris dans ses aspects les plus créatifs et innovants, comme la haute couture, ne peut bénéficier de la protection du copyright de l’autre côté de l’Atlantique. Le droit américain contient une particularité voulant que les “articles utiles” (useful articles) ne peuvent en principe être protégés par le biais du droit d’auteur. La jurisprudence a déjà appliqué cette règle à des objets tels que des lampes, des lavabos, des écrans d’ordinateurs, mais aussi aux vêtements. Les juges du pays de l’Oncle Sam considèrent en effet que la fonction utilitaire des habits sur-détermine en général leurs formes, au point de primer sur leur dimension esthétique :

Le modèle qui a servi à fabriquer une jupe ou un manteau peut être copyrighté, car il possède une existence propre par rapport à la fonction utilitaire du vêtement. Cependant, on ne peut revendiquer un copyright sur la coupe d’un habit, ou sur la forme en elle-même d’une jupe ou d’un manteau, car ces articles sont utilitaires.

Ce raisonnement est appliqué aux simples vêtements, aux déguisements, mais aussi aux articles de haute couture, qui jusqu’à présent échappait à l’emprise du copyright. Les professionnels du secteur exercent cependant depuis plusieurs mois une action de lobbying en direction du législateur américain, afin qu’il revienne sur cette distinction et incorpore la mode parmi les objets pouvant faire l’objet d’une protection.

C’est déjà le cas en France, où la distinction entre les oeuvres utilitaires et les oeuvres artistiques est inconnue, en vertu de la théorie dite de “l’unité de l’art”. Le Code de Propriété Intellectuelle, même s’il emploie des termes un peu surannés, indique explicitement que les articles de modes entrent bien dans le champ du droit d’auteur :

Sont considérés notamment comme oeuvres de l’esprit au sens du présent code : [...] Les créations des industries saisonnières de l’habillement et de la parure. Sont réputées industries saisonnières de l’habillement et de la parure les industries qui, en raison des exigences de la mode, renouvellent fréquemment la forme de leurs produits, et notamment la couture, la fourrure, la lingerie, la broderie, la mode, la chaussure, la ganterie, la maroquinerie, la fabrique de tissus de haute nouveauté ou spéciaux à la haute couture, les productions des paruriers et des bottiers et les fabriques de tissus d’ameublement.

Aux Etats-Unis, le Sénateur Chuck Schumer a fait siennes les revendications du secteur de la mode et il porte une projet de loi qui sera prochainement examiné par le Sénat et la Chambre des Représentants. Les professionnels de la haute couture ont mis en avant le fait que les contrefaçons d’articles de mode étaient de plus en plus fréquents, à l’heure où les images circulent facilement sur Internet et peuvent donner lieu à des copies réalisées à bas prix dans les pays émergents. Les imitations de tenues portées par des stars seraient ainsi devenues monnaie courante, mais pour l’instant la pratique est légale.

Pourtant, bon nombre d’analystes ont fait remarquer que la mode s’accommodait jusqu’à présent fort bien de cette absence de protection par le droit d’auteur. D’abord parce la loi américaine prévoit d’autres moyens de protection comme le droit des marques ou l’équivalent de nos dessins et modèles. Mais aussi parce que la mode est un domaine où la copie et l’imitation ont fini par être admis comme une pratique acceptable par les créateurs eux-mêmes et constituent un des moteurs même de la création.

Johanna Blakkley avait donné à ce sujet une excellente conférence TED où elle montrait que la mode constituait un secteur hautement innovant, qui a trouvé d’autres manières de se réguler que la protection par le droit d’auteur. Pour pouvoir se démarquer de ses semblables, chaque créateur est fortement incité à faire preuve d’originalité et à explorer de nouvelles voies, tout en pouvant puiser dans les créations antérieures afin de les améliorer.

On est en réalité avec la mode aux antipodes de la guerre absurde que se livrent à coups de brevets les fabricants de téléphones ou de tablettes, où la moindre ressemblance entre des produits  offre prise aux attaques en justice des concurrents et où les articles finissent par être autant conçus par des avocats que par des designers !

Voir aussi : le Storify regroupant ces “angles morts” du droit d’auteur de manière plus détaillée.

C’est justement cette dynamique de la création par la copie que la réforme poussée par le sénateur Schumer pourrait interrompre et il sera important de suivre les suites pour voir si cet angle mort du droit d’auteur subsiste ou disparaît.

Angles morts

Pour autant, ce phénomène de “tâche aveugle” du droit d’auteur n’est pas confiné au secteur de la mode. Il existe en réalité pour un nombre relativement important de secteurs, présentant des analogies plus ou moins marquées avec la haute couture. Contrairement à ce que l’on pourrait penser plusieurs champs de la création sont situés en dehors de la sphère du droit d’auteur, mais cela ne les empêchent pas en général d’être fortement innovants. C’est la thèse défendue par exemple dans la vidéo ci-dessous qui fait le parallèle entre la mode, la cuisine, le football américain et… Steve Jobs !

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Casques de Stormtrooper

La question que l’on peut se poser est de savoir s’il ne faudrait pas étendre l’application de la distinction entre les oeuvres utiles et les oeuvres artistiques, pour appliquer aux premières des règles différentes et plus ouvertes. C’est une idée que défend par exemple Richard Stalmann depuis longtemps, estimant que les oeuvres utilitaires, comme les logiciels, mais aussi les manuels, les encyclopédies, les dictionnaires, les livres de cuisine, devraient par défaut être placés sous un régime correspondant aux quatre libertés du logiciel libre.

Récemment une affaire intéressante a montré que la distinction oeuvre utile/oeuvre artistique est susceptible de produire des effets assez puissants. C’est sur cette base en effet que George Lucas a perdu en Angleterre un procès retentissant  à propos à propos des casques de Stormtrooper. La loi anglaise ne protège en effet les objets tridimensionnels que dans la mesure où ils correspondent à des “sculptures” ou à des “objets d’artisanat d’art”. Les juges ont estimé que les casques de Stormtrooper servaient avant tout d’accessoires dans un film et que cette fonction utilitaire ne leur permettait pas d’être considérés comme des sculptures. Du coup, ces objets, au look pourtant célébrissime, sont dans le domaine public en Angleterre ! N’importe qui peut les copier et même les vendre.

Il y a quelques jours, une autre affaire faisait également songer à cette distinction entre les oeuvres utiles et les oeuvres artistiques. Apple a en effet été accusé par la compagnie des trains suisses d’avoir piraté son modèle de montre pour réaliser celle de l’iOS 6. Cette montre, qui est exploitée sous licence par la marque Mondaine présente pourtant un design très “basique” : ronde, traits noirs sur fond blanc, avec une aiguille rouge pour les secondes, terminée par un rond.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

L’affaire n’est pas allée jusque devant les tribunaux, puisque Apple a pris une licence pour pouvoir utiliser cette forme de montre dans ses applications. Mais on peut quand même se poser la question de savoir s’il est bien raisonnable d’accorder une protection à une création aussi “simple”, quand bien même elle a acquis une notoriété certaine. En effet, admettre qu’un tel motif puisse être protégé par le droit d’auteur n’est-ce pas ouvrir la porte à ce que la forme même de la montre puisse un jour être accaparée par une firme ? Apple revendique déjà quasiment un monopole sur le rectangle  dans le procès qui l’oppose à Samsung dans la guerre des tablettes ? Faudra-t-il laisser Mondaine ou une autre firme revendiquer des droits sur le cercle ? Et à qui le triangle ensuite !

Repenser le statut de l’utile

Pour éviter ce type de dérives, l’introduction de la distinction entre les œuvres utiles et les œuvres artistiques pourrait être intéressante, même si elle ne correspond pas à la tradition française du droit d’auteur. Elle permettrait que les caractéristiques fonctionnelles d’un objet  restent ouvertes et puissent être librement reproduites, laissant ainsi ces “briques de base” de la création disponibles, comme un fond commun dans lequel chacun peut venir puiser pour innover.

Ce raisonnement existe déjà en filigrane dans le droit. C’est sur cette base notamment, par exemple, que les briques Lego ont fini par perdre leur protection par le droit d’auteur, les juges estimant que leur forme n’est pas réellement détachable de leur fonction.

La question est sans doute moins anecdotique qu’il n’y paraît. Avec le développement de l’impression 3D, de nouvelles questions épineuses vont surgir, et se posent déjà, à propos de la protection à accorder à la forme des objets. Si l’on veut que cette nouvelle technologie donne la pleine mesure de ses promesses, il serait sans doute judicieux de militer pour, qu’à l’image de la mode aux Etats-Unis, les articles utiles restent au maximum dans l’angle mort du droit d’auteur.


Photo par Ammar Abd Rabbo via sa galerie flickr [CC-byncsa]

]]>
http://owni.fr/2012/10/24/fashion-victim-du-copyright/feed/ 7
Un Pompidou virtuel… et verrouillé http://owni.fr/2012/10/10/pompidou-virtuel-ouvert-ou-sous-verre/ http://owni.fr/2012/10/10/pompidou-virtuel-ouvert-ou-sous-verre/#comments Wed, 10 Oct 2012 11:18:06 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=122002

C’était un événement très attendu dans le champ culturel : le Centre Pompidou a lancé officiellement la semaine dernière son nouveau site internet, baptisé le Centre Pompidou Virtuel (CPV).

La communication institutionnelle qui a accompagné ce lancement a mis en avant les aspects innovants du site, comme l’usage des technologies du web sémantique, le recours aux logiciels libres ou la volonté de s’engager dans une démarche de co-construction avec les usagers, par l’intermédiaire des réseaux sociaux.

Alain Seban, le président du Centre, insiste sur le fait que ce nouveau site s’inscrit dans une logique “d’ouverture” et dans une stratégie d’intégration du “web collaboratif“.

Nous faisons un grand bond en avant en ouvrant à tous les internautes les contenus du Centre. C’est la première fois qu’un musée ouvre ainsi ses contenus sur son site, au lieu de se limiter à fournir des contenus créés spécifiquement pour internet.

Les médias reprennent ce discours, en écrivant que le Centre Pompidou a “ouvert” ses contenus aux internautes. Il est vrai qu’une vaste entreprise de numérisation des collections a été conduite, avec la mise en ligne de plus de 75 000 reproductions d’œuvres désormais accessibles gratuitement sur le CPV.

Mais entre “rendre accessible” et “ouvrir”, il y a une différence de taille. Sans minimiser l’importance des efforts déployés pour diffuser ces contenus (notamment la négociation des droits, car la très grande majorité des collections de Pompidou sont toujours protégées par le droit d’auteur), on peut s’interroger sur la réalité de cette politique d’ouverture.

Des critiques ont d’ailleurs fusé sur les réseaux sociaux après le lancement du site, au point qu’Emmanuelle Bermès, chef du service multimédia du Centre Pompidou, a pris la peine d’écrire un billet sur son blog pour s’expliquer :

Bien sûr ma communauté d’intérêt favorite, informée de l’événement sur Twitter, s’est jetée sur le nouveau joujou à la recherche du RDF… et en est revenue toute dépitée.

La déception peut en effet être forte, notamment lorsqu’on dépasse les communiqués de presse pour se plonger dans les mentions légales du site, qui détaillent les conditions d’utilisation. Il en ressort l’impression une certaine confusion et un décalage avec le discours affiché sur l’ouverture.

Il ne s’agit pas ici de tirer sur une ambulance, ni de mettre en doute les intentions réelles des porteurs de ce projet, mais le Centre Pompidou Virtuel n’en reste pas moins très représentatif des contradictions de la politique culturelle conduite dans ce pays.

L’ouverture n’est pas seulement un argument marketing et s’engager dans une telle politique nécessite de mettre en oeuvre des actions concrètes. En l’état actuel, si l’on respecte le sens des mots, ce site n’est pas ouvert : il est “sous verre” et les objets culturels qu’ils diffusent restent prisonniers sous une épaisse glace numérique et juridique, que l’on peut voir comme un prolongement des vitrines du musée physique. De telles restrictions soulèvent de réelles questions sur la place accordée à la culture numérique par l’institution muséale et sur la manière dont elle entend s’y articuler.

Une curieuse conception de l’Open Source

A la question “En quoi le nouveau centrepompidou.fr est-il ouvert ?“, Emmanuelle Bermès répond dans cette interview en évoquant en premier lieu l’utilisation des logiciels libres :

Le nouveau centrepompidou.fr est résolument ouvert, jusque dans sa conception qui repose entièrement sur des logiciels libres. Cela signifie que le site pourra évoluer tout au long de sa vie, sans autre contrainte technique que celle de s’adapter à l’usage des publics. La liberté de ce mode de développement permet également d’envisager la diffusion des principes techniques de ce site auprès d’autres institutions qui auraient besoin d’une solution équivalente.

Il faut bien entendu se réjouir que le CPV ait fait le choix des logiciels libres, mais un passage par les mentions légales du site laisse un peu dubitatif quant à la mise en oeuvre effective de cette option :

Le Centre Pompidou met à disposition un site internet conçu sous licence libre. L’utilisation des éléments du site internet se fait sous réserve de la licence spécifique à celui-ci, en accord avec le Centre Pompidou et les équipes ayant développé l’élément en question.

Cette formulation est singulièrement maladroite et elle s’avère même contradictoire. On nous dit que le site est “sous licence libre”. Fort bien, mais laquelle ? Il ne suffit pas d’affirmer que l’on est sous licence libre pour que les logiciels deviennent effectivement réutilisables. Encore faut-il indiquer avec précision la (ou les) licences utilisées. Le texte indique qu’il existerait “une licence spécifique [au site]“. Est-ce à dire que le Centre Pompidou a rédigé sa propre licence (ce qui irait à l’encontre des bonnes pratiques en matière de prolifération des licences) ?

Plus loin, on bascule même franchement dans l’étrange, puisqu’on nous dit que l’utilisation des éléments du site, non seulement doit se faire dans le respect de la licence (normal), mais aussi “en accord avec le Centre et les équipes ayant développé l’élément en question“. Plaît-il ? Les logiciels sont “sous licence libre”, mais il faut l’accord du Centre et des équipes pour les réutiliser ? Si une autorisation reste nécessaire, c’est tout simplement que la structure du site… n’est pas sous licence libre, contrairement au discours affiché ! Espérons qu’il ne s’agisse que d’une maladresse de rédaction, mais ces ambiguïtés jettent déjà un premier doute sur la stratégie d’ouverture du site.

Du web sémantique, mais pas de données ouvertes

C’est sans doute sur ce point que la déception est la plus forte. Le Centre Pompidou Virtuel met en avant le fait qu’il utilise les technologies du web sémantique et les possibilités étendues de navigation par mots-clés entre les différents types de contenus l’attestent effectivement. Alain Seban insiste sur le fait qu’il s’agit d’une “révolution technologique” qui va permettre à l’internaute “de naviguer par le sens” au sein des collections.

Tout ceci est excellent, mais il ne s’agit pas pour autant d’une démarche d’ouverture des données, comme l’explique Emmanuelle Bermès sur son blog :

Oui, c’est vrai, le Web sémantique est au cœur de la machine mais on ne le diffuse pas pour l’instant. Comme je l’expliquais à l’IFLA cet été, nous n’avons pas fait du Linked OPEN Data mais du Linked ENTERPRISE Data. C’est-à-dire que nous avons appliqué les technologies du Web sémantique à nos propres données afin de construire notre propre service.

Cela signifie que le Centre Pompidou Virtuel a bien fait passer ses métadonnées sous les formats nécessaires au déploiement des technologies du Web sémantique, mais qu’il ne s’est pas engagé dans une démarche d’Open Data, en permettant la réutilisation de ses données par le biais d’une licence ouverte.

Certes, il est parfaitement vrai que le Linked Data et l’Open Data constituent deux choses différentes. Cependant, qui peut contester que le web sémantique et l’Open Data entretiennent des liens très étroits ? A quoi bon développer des technologies permettant de lier des données si c’est pour maintenir la barrière juridique qui les laisse enfermées dans des silos ? Utiliser en interne le web sémantique pour faire communiquer ses propres jeux de données et développer de nouveaux services, c’est bien, mais permettre à des tiers d’utiliser les données pour les connecter avec des ressources externes, c’est l’objectif final de la démarche, qui ne peut être atteint que par le biais d’une politique d’Open Data. Le web sémantique n’est pas qu’une simple technologie, il s’appuie sur un projet global, au sein duquel l’ouverture tient une place centrale.

Ici, tel n’est pas le cas, même si on nous explique que cette évolution pourrait voir le jour dans une prochaine étape :

La deuxième étape sera de développer des mécanismes permettant à d’autres de réutiliser nos données, et d’y associer la licence ouverte qui va bien. Je l’ai dit plusieurs fois dans des conférences, c’est une suite logique, et cela s’inscrit complètement dans l’ADN du projet qui est par nature ouvert.

Pourtant, il existe déjà des précédents en France d’usage de licence ouverte pour les données dans le champ culturel (l’exemple de la Bibliothèque nationale de France avec data.bnf.fr, placé sous la Licence Ouverte d’Etalab, également employée par la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg). Ces réalisations montrent que l’ouverture des données culturelles est possible, à condition de le vouloir politiquement.

Les métadonnées (contrairement aux reproductions des œuvres dont il sera question plus loin) constituaient des éléments sur lesquels le Centre Pompidou était détenteur des droits. Il aurait donc pu juridiquement embrasser une politique d’Open Data pour tout ou partie de ses données. Le secteur culturel est très largement en retard en France en ce qui concerne l’Open Data. On aurait pu attendre que le Centre Pompidou Virtuel fasse un pas dans cette direction dès maintenant, pour envoyer un signal fort notamment en direction des musées qui demeurent encore largement à l’écart du mouvement d’ouverture des données.

Exposition d’art très libéré

Exposition d’art très libéré

Les licences libres elles-mêmes productrices d’œuvres, d'images, d'installations artistiques. Qui n'existeraient pas sans ...

Un appel à l’intelligence collective, sans réciprocité…

Cette fermeture concernant les données a des répercussions fortes sur les relations que le site entend nouer avec les internautes. Car  bien que ne permettant pas la réutilisation de ses données, le Centre Pompidou Virtuel fait appel au public, dans l’esprit du web collaboratif, afin qu’il vienne consacrer son temps, ses connaissances et sa bonne volonté pour les enrichir.

L’interface permet en effet à l’usager d’ouvrir un espace personnel pour “contribuer” de différentes manières : en ajoutant des mots clés sur les notices des oeuvres, en proposant des liens entre les différentes ressources du site ou en soumettant des enrichissements éditoriaux. Tous ces contenus produits par les utilisateurs seront remployés, grâce aux technologies sémantiques déployées sur le site, afin d’améliorer la navigation au sein des contenus. Mais les informations résultant de ce travail de “petites mains”, réalisé bénévolement par les internautes, deviendront aussi des données publiques et tomberont sous le coup de l’interdiction de réutilisation maintenues pour l’instant par le Centre Pompidou.

Sur ce point, l’appel lancé à l’intelligence collective ne paraît pas équitable, car il ne comporte pas d’élément de réciprocité. La stratégie de communication parle de co-construction du contenu du site avec les internautes, mais en l’état actuel des choses, cette démarche “collaborative” conduit à une appropriation exclusive des informations par l’institution. On est très loin d’un site comme Wikipédia où la licence libre employée, couvrant à la fois les contenus et les données, garantit que les contributions des individus resteront bien réutilisables et ne pourront pas être “appropriées”.

L’institution met d’ailleurs également en avant un partenariat avec Wikipédia :

[...] ce partenariat permettra aussi bien d’engager une réflexion conjointe sur la co-construction, par l’intermédiaire de l’organisation d’événements tels que des conférences, que de produire des contenus à travers l’animation d’ateliers qui déboucheront à la fois sur l’enrichissement de Wikipédia et sur la création de textes potentiellement réutilisables pour le Centre Pompidou.

La démarche est sans doute intéressante, mais employer la communauté des Wikipédiens pour produire des contenus, les réutiliser et ne pas dans le même temps s’engager a minima dans une politique de réutilisation de ses données, c’est avoir une conception bien déséquilibrée des rapports qu’une institution peut entretenir avec son environnement numérique.

Des œuvres accessibles, mais coupées de l’écosystème du web

Au-delà de ces restrictions sur la réutilisation des données, d’autres formes de limitations importantes pèsent sur les œuvres elles-mêmes diffusées par le site. Mais elles ne peuvent cette fois être imputées au Centre lui-même, car elles découlent du fait que les collections du musée sont dans leur grande majorité encore protégées par des droits d’auteurs.

Pour pouvoir les numériser et les mettre en ligne, le Centre Pompidou a dû négocier des autorisations auprès des titulaires de droits (artistes eux-mêmes, ayants droit, sociétés de gestion collective, type ADAGP ou SAIF). On ne doute pas que sur un tel volume de dizaines de milliers d’œuvres, cette étape ait pu s’avérer complexe et coûteuse, car même pour une diffusion gratuite en ligne, les ayants droit sont fondés à demander une rémunération.

Le problème, c’est que ces autorisations ne concernent que l’accès aux œuvres sur le site et non leur réutilisation, qui reste empêchée au titre du droit d’auteur. Les mentions légales sont à nouveau très claires sur le sujet :

Le Centre Pompidou met à disposition des internautes des contenus numériques, protégés dans leur utilisation par les lois en vigueur. Leur réutilisation par les internautes est soumise à une demande préalable directement auprès des ayants-droits. Faute d’autorisation, toute reproduction ou représentation totale ou partielle, toute utilisation, toute adaptation, toute mise à disposition ou modification de ces éléments est strictement interdite et constitue un délit de contrefaçon au sens du code de la propriété intellectuelle.

Par ailleurs, certains titulaires de droits ont visiblement refusé d’accorder des autorisations de mise en ligne des œuvres, ce qui conduit le Centre Pompidou Virtuel à proposer des notices vides. C’est le cas pour des artistes importants, comme Henri Matisse :

Imaginerait-on un musée qui présenterait aux visiteurs des cadres vides dans ses salless ? C’est pourtant ce qui se passe pour le Centre Pompidou Virtuel. On notera en revanche dans le cas de Matisse que les mêmes ayants droit qui refusent la mise en ligne gratuite par le Musée acceptent par contre que cette notice vide contienne un lien vers des produits dérivés à acheter dans la Boutique…

Mais même quand le CPV a obtenu une autorisation de diffusion, des restrictions importantes continuent à s’appliquer . On peut relever par exemple que le clic droit est désactivé sur toutes les images diffusées par le site (alors qu’il permettrait d’effectuer des actes de copie privée des contenus, parfaitement légaux). Il n’est pas possible non plus d’effectuer d’embed (intégration) à partir des vidéos figurant sur le site.

Plus caricatural encore, bien qu’une fonctionnalité de partage soit intégrée sur toutes les pages présentant des œuvres, voilà ce qui se passe concrètement lorsque l’on essaie de partager sur Facebook une œuvre du Centre Pompidou Virtuel :

On n’exporte que le titre, un lien en retour vers le site et… un gros logo de l’institution ! Bon courage pour développer une réelle politique de médiation numérique en direction des réseaux sociaux avec des contenus verrouillés de la sorte…

Ces restrictions découlent certainement d’exigences imposées par les titulaires de droits et non d’une volonté de l’établissement de figer les contenus sur le site. Mais elles aboutissent à dresser une barrière entre le Centre Pompidou Virtuel et l’écosystème global du web dans lequel il pourrait s’insérer. Elles isolent aussi les œuvres des pratiques numériques créatives qui sont devenues monnaie courante.

Face à une telle situation, on mesure l’urgence de faire évoluer les exceptions au droit d’auteur en faveur des institutions culturelles comme les musées, afin qu’elles puissent réellement devenir des médiateurs de la culture dans l’environnement numérique. Par ailleurs, l’introduction d’une exception pour le remix, voire d’une légalisation du partage non-marchand, permettraient aussi aux internautes de réutiliser de tels contenus mis en ligne, plutôt que d’être cantonnés dans le rôle de spectateurs passifs.

Incidences fortes du modèle économique sur l’ouverture

Mais les œuvres protégées issues des collections ne forment qu’une partie des contenus figurant sur le site du Centre Pompidou Virtuel. L’établissement propose également des éléments  produits par ses services et apportant une valeur ajoutée indéniable pour les internautes, comme le précise encore Emmanuelle Bermès :

En tant que centre de ressources, le site internet proposera un accès aux œuvres de la collection du Centre Pompidou, aux archives de l’établissement, aux captations audiovisuelles de conférences, à des interviews d’artistes et de commissaires d’exposition, des affiches, bandes-annonces, dossiers de presse et dossiers pédagogiques

Sur ces éléments, le Centre Pompidou dispose d’une bonne partie des droits et aurait pu être en mesure de négocier afin de permettre la réutilisation, notamment en les faisant passer sous des licences de libre diffusion, comme les Creative Commons.

Pourtant,  des raisons juridiques sont invoquées pour expliquer que les contenus les plus élaborés produits par le Centre ne pourront être diffusés gratuitement :

Pour des raisons également juridiques, lors de son lancement, le nouveau centrepompidou.fr diffusera les contenus bruts (reproduction des œuvres de la collection si accord des ayant droits, notices, captations de conférences…) mais ne pourra pas offrir gratuitement les contenus spécifiquement produits et éditorialisés tels qu’un parcours audioguide ou le catalogue d’une exposition.

Par ailleurs, pour être en mesure de rembourser une partie des sommes nécessaires à l’élaboration du site (12 millions d’euros), le Centre Pompidou Virtuel va devoir conduire une politique de commercialisation de contenus, comme des applications mobiles ou des livres numériques.

On comprend que dans le contexte budgétaire actuel, la question des ressources propres puisse être épineuse, mais quelle place un établissement culturel comme le Centre Pompidou peut-il faire à une ouverture réelle de ses données et de ses contenus,  en étant soumis à ce type d’impératifs financiers ?

Des données culturelles à diffuser

Des données culturelles à diffuser

La libération des données est loin d'être complètement acquise en France. Si le portail Etalab est une première étape, ...

Une violence symbolique envers la culture numérique ?

Les contradictions dans lesquelles se trouve placé le Centre Pompidou Virtuel sont représentatives des ambiguïtés de la politique culturelle actuelle. La diffusion de la culture française en ligne se heurte à une conception rigide et inadaptée de la propriété intellectuelle. La pression exercée sur l’auto-financement des établissements les éloigne également de la mise en place d’une réelle politique d’ouverture, en dépit du discours affiché. Le plus contestable est la manière dont le Centre a récupéré la rhétorique de l’ouverture a des fins de communication, pour faire de l’Institutional Branding, alors que la réalité est différente. Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, dit-on, il faut aussi qu’une donnée soit ouverte ou fermée !

Les musées ont parfois été accusés d’être des lieux où s’exerçait une forme de violence symbolique. En l’état, on peut considérer que le Centre Pompidou Virtuel véhicule une telle violence symbolique envers ce qui est le propre de la culture numérique. Le site place l’utilisateur dans une position de passivité vis-à-vis des œuvres, découlant des contraintes juridiques et techniques imposées par la plateforme. La même passivité se retrouve vis-à-vis des données, que l’utilisateur ne peut réutiliser, quand bien même il est sollicité pour les enrichir par crowdsourcing.

Le propre de la culture numérique est de mettre en capacité les individus de réutiliser de manière créative les contenus culturels, pour devenir acteur à part entière de la culture. En laissant ainsi les données et les œuvres “sous verre”, le Centre Pompidou Virtuel manque clairement l’objectif affiché de s’inscrire dans les pratiques contemporaines, qui ne peuvent se satisfaire de la seule logique de l’accès.

Mais les choses peuvent évoluer. Le groupe Open GLAM a publié en septembre dernier un rapport comportant une série de recommandations en faveur de l’ouverture des données et des contenus culturels. Il est urgent que ces revendications soient écoutées, si l’on veut dépasser la situation de blocage actuelle.


Photo CC by-nd Hans Splinter

]]>
http://owni.fr/2012/10/10/pompidou-virtuel-ouvert-ou-sous-verre/feed/ 11
Droits d’auteur sur les zombies http://owni.fr/2012/09/26/droits-dauteur-sur-les-zombies/ http://owni.fr/2012/09/26/droits-dauteur-sur-les-zombies/#comments Wed, 26 Sep 2012 11:08:43 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=120767

Zombie's eye view by Jamie Mellor (cc)

Les zombies sont partout en ce moment ! Alors qu’une série de faits étranges ont eu lieu cet été qui ont pu faire penser qu’une attaque de cadavres titubants était proche, on leur consacre en cette rentrée un ouvrage de philosophie, Petite philosophie du zombie, qui s’interroge sur les significations du phénomène. Et des hordes d’aficionados trépignent d’impatience en attendant la diffusion de la troisième saison de Walking Dead, programmée pour la mi-octobre, sur laquelle ils se jetteront comme des rôdeurs sur de la cervelle fraîche !

Comme le rappelait un excellent reportage d’Arte consacré à ces monstres revenus d’outre tombe, la manière dont les zombies ont envahi peu à peu la culture populaire tient à leur incroyable capacité à se réinventer sans cesse, depuis que les films fondateurs de George Romero ont introduit l’archétype du zombie moderne.

Après avoir colonisé le cinéma d’horreur, ils se sont répandus dans tous les domaines avec une facilité étonnante : dans la musique avec le clip Thriller de Michael Jackson, dans la littérature avec le Guide de survie en territoire zombie de Max Brook ou la parodie du roman de Jane Austen Pride and Prejudice and Zombie, ou dans le jeu vidéo depuis Resident Evil jusqu’au récent titre délirant Lollypop Chainsaw.

Des colloques entiers sont à présent organisés pour essayer d’analyser les causes de cette zombie-mania. Dans sa Petite Philosophie du Zombie, Maxime Coulombe explique que ces créatures sont l’écho des interrogations actuelles de nos sociétés sur la mort, la conscience ou la civilisation. C’est certainement vrai, mais il existe également une raison juridique fondamentale qui explique l’aisance avec laquelle les zombies ont pu infester à vitesse grand V tous les champs de la création.

Le premier film de George Romero, Night of the Living Dead,  n’a en effet jamais été protégé par le droit d’auteur, à cause d’une incroyable boulette commise par son distributeur… Paru en 1968, le film est donc directement entré dans le domaine public, alors qu’il devrait toujours être protégé aujourd’hui, puisque Romero, “The Godfather of all Zombies”, est toujours en vie.

Cette destinée juridique singulière explique sans doute que la Zombie Movie Data Base comporte… 4 913 entrées à ce jour, dont beaucoup s’inspirent directement du premier film fondateur de Romero, sans risquer de procès, ni avoir à payer de licence. Cette particularité du Zombie (qu’il ne partage pas du tout avec le Vampire, comme on va le voir plus loin) dit quelque chose d’important à propos du droit d’auteur et de la création : la protection n’est pas toujours la meilleure façon pour une œuvre d’assurer sa diffusion.

Right of the Living Dead

Si vous allez sur Internet Archive, vous pourrez trouver Night Of The Living Dead , disponible librement et gratuitement en streaming ou en téléchargement, avec une mention de droit indiquant “Public Domain :  No Right Reserved“. Pourtant, la plupart des films sortis à la fin des années soixante n’entreront dans le domaine public que dans la seconde moitié du 21ème siècle !

Affiche du film "La nuit des morts vivants" de Romero, (Domain public via Wikimedia Commons)

La raison de cette incongruité, c’est un véritable micmac juridique qui s’est produit à la sortie du film en 1968. A cette époque aux Etats-Unis, une oeuvre ne pouvait être protégée par le droit d’auteur que si une Copyright Notice était incluse dans les crédits, pour indiquer l’identité des détenteurs des droits de propriété intellectuelle. Or juste avant la sortie du film, le distributeur décida de changer le titre initialement prévu Night of The Flesh Eaters en Night of The Living Dead. Cette décision n’était sans doute pas mauvaise, sauf que pour opérer la modification, le distributeur retoucha les crédits dans le générique du film et supprima par inadvertance la fameuse Copyright Notice.

Le film n’a donc jamais été protégé par le copyright, ce qui ne l’empêcha pas de rencontrer un beau succès en salle. Mais l’erreur commise sur les mentions permit plus tard à de nombreux distributeurs de vidéocassettes de distribuer le film, sans avoir à reverser de droits aux créateurs. Cet aspect est certainement fâcheux, mais il a contribué encore davantage à asseoir la popularité du film et à faciliter la propagation de la figure du Zombie.

Walking Public Domain

Le zombie au cinéma a une existence bien plus ancienne que le film de Romero. On le trouve dès les années 30 aux Etats-Unis, dans des films comme White Zombie, inspiré de la tradition haïtienne et de la religion vaudou. Mais Romero a développé dans Night of The Living Dead de nombreux traits caractéristiques qui réinventent ce monstre (la démarche titubante des zombies, leur goût pour la chair humaine, la façon dont ils évoluent en horde, leur vulnérabilité aux blessures à la tête, leur peur du feu, le caractère épidémique de la propagation de l’invasion, la dimension post-apocalyptique de l’histoire, etc). Ces éléments constituent incontestablement des apports originaux qui auraient pu être protégés comme tels par le droit d’auteur.

Mais à cause de l’appartenance immédiate du film au domaine public, ces caractéristiques du zombie ont pu être reprises par d’autres et se disséminer largement. Romero a d’ailleurs été lui-même l’un des premiers à pouvoir bénéficier de cette liberté créative.

L’homme, la machine et les zombies [1/2]

L’homme, la machine et les zombies [1/2]

Première étape du voyage au pays des zombies en compagnie du psychanalyste Vincent Le Corre. Où l'on apprend que notre ...

En effet, comme l’explique le juriste américain Jonathan Bailey, Night of The Living Dead était le résultat d’une collaboration entre George Romero et un autre auteur du nom de John Russo, qui cosigna le scénario. Après le premier film, un désaccord artistique survint entre les deux hommes, sur la suite à donner à leur premier succès.

La Nuit des morts-vivants étant dans le domaine public, aucun des deux ne pouvait empêcher l’autre de réutiliser le concept du zombie tel qu’il apparaissait dans le film. Ils décidèrent de créer chacun de leur côté leurs propres suites. Les deux auteurs décidèrent en se partageant l’héritage de Night of The living Dead : Russo réaliserait une série de films comportant “Living Dead” dans le titre et Romero en ferait une autre, avec”Of The Dead” dans le titre.

C’est ainsi que Romero tourna plusieurs séquelles (Dawn of the Dead, Day of the Dead, Land of the Dead, Diary of the Dead, Survival of the Dead) dans lesquelles il put développer comme il le souhaitait la dimension politique déjà présente dans le premier film. Russo de son côté mit plutôt en avant dans sa production une vision humoristique des zombies (Return of the Living Dead, Return of the Living Dead Part II, Return of the Living Dead 3, Return of the Living Dead: Necropolis, Return of the Living Dead: Rave from the Grave).

Ces deux approches constituent les deux grandes traditions du zombie au cinéma et le jeu pour les réalisateurs successifs qui se sont emparés de ce thème a consisté à reprendre certains des éléments des films de Romero, en introduisant des différences. Le film de zombie est par définition toujours un peu un remix et c’est ce qui fait son charme !

Plus tard, les morts-vivants titubants sont sortis des salles de cinéma pour envahir tous les champs de la création. Le succès du zombie illustre en réalité la fécondité du domaine public et son rôle majeur dans le développement de la création. Pour le mettre encore mieux en lumière, on peut avancer une comparaison avec une autre grande figure du cinéma d’horreur : le Vampire.

Appelez-le Dra©ula !

L’anecdote est peu connue, mais le film Nosferatu le Vampire de F.W. Murnau a connu lui aussi une aventure juridique assez incroyable, à cause du combat que durent livrer ses créateurs avec les ayants droit de Bram Stoker, l’auteur de Dracula.

Au début des années 20, le producteur du film, Albin Grau, souhaitait réaliser une adaptation du roman Dracula, mais il ne parvint pas à se faire céder les droits par la veuve de Bram Stoker, particulièrement dure en affaires. Le projet fut néanmoins maintenu, en introduisant des différences notables par rapport au roman, pour tenter d’échapper aux accusations de plagiat.

Le lieu de l’action fut déplacé de Londres en Allemagne ; Dracula devint un Comte Orlock à l’apparence monstrueuse pour se démarquer du dandy victorien de Stoker et Murnau introduisit des détails absents du roman, comme le fait que la lumière du jour détruise les vampires ou que leur morsure transforme leurs victimes à leur tour en monstres sanguinaires. Comme le relève le site Techdirt, un certain nombre des traits que nous associons aujourd’hui naturellement aux vampires découlent en réalité de la nécessité pour Murnau d’éviter une condamnation pour violation du droit d’auteur !

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Malgré ces précautions, le film fut attaqué en justice avec succès en Allemagne par la veuve de Stoker en 1925. La condamnation entraina la faillite de Prana Films, la société d’Albin Grau et la destruction de la plupart des copies et négatifs du film, ordonnée par les juges. L’histoire aurait pu s’arrêter là si une bobine n’avait pas miraculeusement survécu et été emportée aux Etats-Unis, où à cause d’une erreur d’enregistrement (encore !), le roman Dracula était déjà tombé dans le domaine public. La veuve de Stoker ne pouvant empêcher la diffusion dans ce pays, le film Nosferatu y connut le succès, jusqu’à ce que dans les années 60, il put revenir en Europe, lorsque les droit sur Dracula s’éteignirent.

Cette histoire montre ce qui aurait pu arriver avec les films de zombies, si Night of The Living Dead n’était pas entré si vite dans le domaine public. Le copyright aurait sans doute empêché que des réalisateurs reprennent les éléments du film de Romero et la figure du zombie n’aurait vraisemblablement pas pu se diffuser dans la culture populaire avec la facilité qui a été la sienne.

Zombies Remix

La morale de ces histoires de morts-vivants, c’est que les rapports entre le droit d’auteur et la création sont bien plus complexes que ceux que l’on a l’habitude de nous servir comme des vérités d’Évangile.

Les auteurs ont sans doute besoin d’une protection pour pouvoir innover, mais la dynamique même de la création implique que les créations puissent être reprises, modifiées, prolongées, enrichies et ce mouvement a encore été amplifié avec Internet. À présent, ce ne sont plus seulement les artistes qui reprennent les créations antérieures de leurs homologues. Le public s’empare lui aussi de ses œuvres préférées pour les remixer à l’infini. C’est particulièrement vrai des zombies qui font l’objet d’une production amateur impressionnante !

En comparaison, d’autres œuvres emblématiques font l’objet de tensions juridiques entre les fans et les titulaires de droits. Korben a par exemple relevé récemment que Warner Bros a agi contre une communauté d’internautes, qui avait reconstruit la Terre du Milieu du Seigneur des Anneaux, en utilisant  le générateur de cartes du jeu vidéo Skyrim. Les titulaires de droits les ont contraints à retirer de cet univers toutes les mentions relatives à l’univers de Tolkien (comme les noms des lieux et des personnages, qui sont protégés en tant que tels au titre du droit d’auteur et du droit des marques).

Les zombies de Romero sont certes moins ragoûtants que les personnages du Seigneur des Anneaux, mais nés sous la bonne étoile du domaine public, ils sont parfaitement adaptées à la culture numérique.


Affiches des films via Wikimedia Commons : Night of the living dead et Nosferatu (domaine public) ; Zombie’s eye view via la galerie de Jamie Mellor (CC-byncsa)

]]>
http://owni.fr/2012/09/26/droits-dauteur-sur-les-zombies/feed/ 15
La Justice ne se signalera plus http://owni.fr/2012/09/21/affaires-signalees-direction-affaires-criminelles-graces-procureurs-justice/ http://owni.fr/2012/09/21/affaires-signalees-direction-affaires-criminelles-graces-procureurs-justice/#comments Fri, 21 Sep 2012 13:44:40 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=120460

C’est peut-être une révolution de palais. La Circulaire ministérielle du 19 septembre adressée à tous les procureurs généraux de France proclame la fin des instructions individuelles. Une manière élégante pour la ministre de la Justice d’indiquer qu’elle ne favorisera plus la pratique des “affaires signalées”.

Dans le jargon de la justice, cette expression – “affaires signalées” – désigne les dossiers trop sensibles aux yeux du pouvoir exécutif pour qu’il ne transmette pas de discrètes requêtes et d’amicales suggestions aux magistrats chargés de les suivre. Les fameuses instructions individuelles.

Intrinsèquement, la gestion de ces “affaires signalées” viole – au moins dans les principes – la sacro-sainte séparation des pouvoirs, supposée garantir l’impartialité de la Justice. Tandis qu’elle conditionne de facto la carrière des procureurs, nommés par le pouvoir politique. Ce dernier appréciant, c’est humain, les agents serviles. La ministre de la Justice Christiane Taubira, désireuse, semble-t-il, d’en finir avec ces pratiques un peu déshonorantes pour la République, a décidé de limiter les prérogatives de son propre cabinet. Désormais, selon sa circulaire :

Le garde des Sceaux (…) définit la politique publique du ministère, au premier rang de laquelle se trouve la politique pénale. Il fixe des orientations générales et impersonnelles. Les instructions ne porteront donc plus sur un dossier individuel, de manière à rompre avec les pratiques antérieures sur ce point.(…) Absence d’instructions individuelles : la clarté de cette politique implique qu’elle soit sans exception.

En termes pratiques, il s’agit d’enquêtes judiciaires en cours que le pouvoir politique s’autorise à connaître par l’entremise de la Direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice, au motif que les personnes citées dans ces enquêtes, de part leurs responsabilités, leurs amis ou leur trajectoire, justifierait un traitement dérogatoire.

Dans de tels cas, les procureurs généraux – à la tête de l’administration de la Justice dans chaque circonscription – s’informent des développements de l’enquête et l’orientent selon les vœux du cabinet du ministre, à travers les fameuses instructions individuelles que transmet la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG).

Longtemps tabou, l’institutionnalisation des interventions politiques par le biais des “affaires signalées” a commencé à préoccuper les milieux judiciaires en novembre 2010. Lorsque la revue J’essaime, éditée par le Syndicat de la magistrature, a publié un témoignage éloquent d’un membre de la DACG, décrivant comment sur tel ou tel dossier les procureurs s’arrangeaient pour plaire au pouvoir en place.

Au fil de cet entretien, où l’identité du magistrat a été protégée, se révèlent quantité de petits arrangements qui ponctuent d’ordinaire leurs réunions. On y apprend comment les membres du cabinet ministériel, les procureurs et les fonctionnaires de la DACG s’échangent – certes dans de rares occasions – des messages et des bons conseils pour épargner un justiciable ou en accabler un autre :

Parfois on nous demande de faire une fiche sur une personne dans une affaire. Là on comprend bien que c’est un usage privé, soit que la personne est reçue par le garde des Sceaux, soit qu’il y a une demande d’intervention le concernant (…) Souvent la DACG est informée de faits très sensibles. Un jour, un parquet général nous apprend qu’une perquisition allait avoir lieu chez un homme politique du même bord que le garde des Sceaux. Le chef de bureau courageux avait pris soin de n’en informer le cabinet qu’une fois que la perquisition avait commencé. Le procureur général ne s’était pas posé de questions, il avait informé la Chancellerie dès qu’il l’avait su.

Un coup de tonnerre. D’autant que la parution de ce témoignage choc précédait de trois semaines un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme condamnant la France pour le manque d’indépendance de ses parquets.

Le 23 novembre 2010 en effet, la Cour de Strasbourg examinait une affaire criminelle instruite à Toulouse et confirmait qu’un procureur français ne pouvait se prévaloir d’être indépendant dans l’exercice de ses fonctions. À l’époque, ces deux épisodes avait achevé de convaincre les professionnels de la justice des effets pervers de la suppression du juge d’instruction, alors proposée par la ministre Michèle Alliot-Marie.

Un peu plus tôt, le juge Renaud Van-Ruymbeke, au détour d’une discussion avec les lecteurs du site lemonde.fr portant notamment sur l’existence de pressions à l’encontre des fonctionnaires de la Justice, avait illustré ces réalités :

À titre personnel, je n’en ai jamais subi [de pressions]. Par contre, au niveau du parquet, elles sont possibles. Dans les affaires sensibles, dites “signalées”, le parquet doit rendre compte. Je rappelle que les juges d’instruction ne peuvent instruire des dossiers que lorsqu’ils en sont saisis, et les affaires politico-financières qui se sont développées dans les années 1990 ont montré que les parquets étaient réticents à confier des dossiers au juge d’instruction et à étendre en cours de route leur saisine. Ces mécanismes ont montré des risques d’étouffement en amont des affaires signalées.

La circulaire de Christiane Taubira, annonçant la fin des instructions individuelles, marque une rupture évidente avec les pratiques passées. Cependant, pour être crédible, ses services devront tirer toutes les conséquences de cette orientation. En particulier en fixant le sort de la base de données des “affaires signalées” récemment mis à jour dans les serveurs du ministère de la Justice.

C’est une délibération de la Cnil du 16 février 2012 qui a révélé son existence. Susceptible d’enregistrer des données individuelles depuis février 1994, “ce traitement a pour objet l’enregistrement et la conservation des informations relatives aux affaires signalées à la direction [la DACG] par les procureurs généraux, et contribue à la définition de l’action publique du ministère de la justice” affirme la Cnil. Un système contre-nature dans un ministère soucieux d’en finir avec les instructions individuelles.

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Photo originale par Pulpolux [CC-bync]

]]>
http://owni.fr/2012/09/21/affaires-signalees-direction-affaires-criminelles-graces-procureurs-justice/feed/ 2
Mordre les photographes http://owni.fr/2012/09/19/mordre-les-photographes-upp/ http://owni.fr/2012/09/19/mordre-les-photographes-upp/#comments Wed, 19 Sep 2012 10:41:48 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=120403

Fortement bouleversé depuis plusieurs années par les évolutions du numérique, le secteur de la photographie professionnelle s’organise et réagit pour proposer des solutions au gouvernement. Ainsi, L’Union des Photographes Professionnels (UPP) propose un Manifeste des photographes en huit points, indiquant des pistes par lesquelles le législateur pourrait agir pour améliorer leur condition.

Après une première lecture, ma première envie a été de les mordre… littéralement ! Tellement ce manifeste constitue en réalité une déclaration de guerre contre la culture numérique.

Par exemple, les photographes professionnels sont engagés dans une véritable croisade contre la gratuité et les pratiques amateurs, qui sont effectivement massives dans le domaine de la photographie. Ils confondent dans une même invective les microstocks photo (banque d’images à bas prix, comme Fotolia) et des sites de partage d’images, comme Flickr ou Wikimedia Commons, où les internautes peuvent rendre leurs photographies réutilisables gratuitement par le biais de licences Creative Commons (plus de 200 millions sur Flickr et plus de 10 millions de fichiers sur Commons).

Leur hantise est que ces photographies gratuites puissent être réutilisées par des professionnels de l’édition (dans le cas où la licence utilisée ne comporte pas de clause NC – pour NonCommercial). Lesquels auraient dû être obligés – dans leur esprit – de se tourner vers eux pour se procurer des images contre espèces sonnantes et trébuchantes. D’où l’impression que l’explosion des pratiques amateurs constitue une insupportable concurrence, qui serait la cause des difficultés touchant leur secteur d’activité.

Et leur projet, pour lutter contre ce phénomène, consiste tout simplement à interdire la gratuité, ou plus exactement comme nous allons le voir ci-dessous, à rendre la gratuité… payante !

Cet élément constituerait déjà à lui seul une raison suffisante pour avoir envie de les mordre. Mais en poursuivant la lecture de leurs propositions, on se rend compte que l’UPP soutient aussi… la licence globale !

Concernant l’utilisation d’oeuvres par des particuliers sur le web, nous constatons que le dispositif répressif instauré par la loi “Création et Internet” est inopérant et illusoire dans le secteur des arts visuels. À ce jour, les photographes, ne perçoivent aucune rémunération en contrepartie de ces utilisations.

L’UPP s’est prononcée dès 2007 en faveur de la mise en place d’une licence globale pour les arts visuels, dispositif équilibré, qui vise à concilier l’intérêt du public et la juste rétribution des auteurs.

Cette prise de position mérite considération, car les photographes professionnels doivent être aujourd’hui l’un des derniers corps de professionnels de la culture à soutenir la licence globale (dans le domaine de la musique, les interprètes de l’ADAMI et de la SPEDIDAM la soutenaient – ce sont même eux qui ont inventé cette proposition – mais ils ont aujourd’hui modifié leurs positions).

Alors que la Mission Lescure sur l’acte II de l’exception culturelle va commencer ses travaux (et devra se pencher aussi sur le cas de la photographie), j’ai décidé, plutôt que de faire un billet assassin au sujet de ces propositions, d’essayer de comprendre le point de vue de l’UPP.

Un regard objectif

Fortement impacté par les possibilités de dissémination induites par le numérique (quoi de plus simple et de plus incontrôlable que de faire circuler une photographie sur Internet ?), les photographes ont réalisé qu’un dispositif comme celui d’Hadopi est inefficace et ne peut leur être d’aucun secours. Aussi sont-ils prêts à accepter de laisser circuler les contenus, en échange d’une compensation. Ils tirent les conséquences d’un des aspects de la révolution numérique et leur point de vue, en ce sens, est louable.

Facebook droit sur Instagram

Facebook droit sur Instagram

En achetant au prix fort Instagram, le géant Facebook peut surtout prendre le contrôle des droits d'auteurs sur des ...

Mais je voudrais leur expliquer ici en quoi leur opposition aux pratiques amateurs est insupportable, en cela qu’elle nie le propre de ce qu’est la culture numérique (la capacité donnée au grand nombre de créer). Il y a même là une incompréhension totale de la valeur à l’heure du numérique. Comment expliquer en effet que les photographes professionnels soient en crise grave, mais que dans le même temps Instagram soit racheté par Facebook pour la somme mirobolante de un milliard de dollars ? C’est bien que la photo amateur a une valeur, très importante, et l’un des enjeux de la réflexion conduite dans le cadre de la mission Lescure devrait être d’empêcher que cette valeur soit captée uniquement par des plateformes ou des géants du web, comme Facebook.

On associe plutôt le modèle de la licence globale à la musique ou au cinéma (les internautes paient une somme forfaitaire mensuelle pour pouvoir partager en P2P des fichiers). Mais l’idée avancée par l’UPP d’appliquer un financement en amont à la photographie n’est pas absurde. La seule différence (et elle est énorme!), c’est qu’il faut le faire sur le mode de la contribution créative, et non de la licence globale. Les deux systèmes diffèrent dans la mesure où la licence globale rétribue uniquement les créateurs professionnels, alors que la contribution créative s’étend aussi aux productions des amateurs.

Mauvais réflexe

Il y a beaucoup de choses irritantes avec les photographes professionnels, notamment une forme de double discours. Ils poussent les hauts cris lorsque le droit d’auteur des photographes est violé, mais enfreindre celui des autres ne semble pas tellement les déranger.

Sur le site de l’UPP, on trouve par exemple un billet récent dans lequel est signalé la parution d’un article consacré au droit d’auteur dans la photographie sur Nikon Pro Magazine. Mais plutôt que d’en faire un résumé, l’UPP y va franco ! Ils scannent l’article et mettent le fichier en téléchargement, ce que ne permet aucune exception en droit français (la revue de presse n’est ouverte qu’aux professionnels de la presse). Que n’auraient-ils dit si c’était une photographie qui avait fait l’objet d’un traitement aussi cavalier !

Mais passons sur l’anecdote. Le plus contestable reste la manière dont l’UPP veut mettre fin à la gratuité du partage des photographies en ligne. Cette organisation s’est déjà signalée par exemple en saisissant le Ministère de la Culture pour essayer de faire interdire le concours Wiki Loves Monuments, au motif que des professionnels pourraient reprendre gratuitement les photos placées sous licence libre sur Commons.

Dans leur programme, le moyen qu’ils envisagent pour empêcher cette forme de « concurrence » est vraiment cocasse :

Nous sommes favorables à une modification du Code de la propriété intellectuelle, prévoyant que l’usage professionnel d’oeuvres photographiques, est présumé avoir un caractère onéreux.

Cette phrase est fantastique, quand on réfléchit à ce qu’elle signifie. En gros, un professionnel – imaginons un commerce cherchant une image pour illustrer son site Internet – ne pourrait utiliser gratuitement une photo sous licence libre trouvée sur Wikimedia Commons ou sur Flickr. Il lui faudrait payer, alors même que l’auteur du cliché a sciemment décidé qu’il voulait autoriser les usages commerciaux sans être rétribué. Selon l’UPP, il faudrait donc bien payer… pour la gratuité !

Mais à qui faudrait-il que le professionnel verse cette rétribution ? C’est là que les choses deviennent fascinantes. Plus loin, l’UPP dit qu’elle est en faveur de la mise en place d’un système de licence collective étendue pour les exploitations numériques, ce qui signifie qu’ils veulent qu’une société de gestion collective (une sorte de SACEM de la photo) obtienne compétence générale pour délivrer les autorisations d’exploitation commerciale des photos et percevoir une rémunération. Dans un tel système, tous les auteurs de photographies sont réputés adhérer à la société. Ils ne peuvent en sortir qu’en se manifestant explicitement auprès d’elle (dispositif dit d’opt-out).

Pour reprendre l’exemple de la photo sous licence libre sur Wikimedia Commons, cela signifie donc que son auteur devrait envoyer un courrier à la société pour dire qu’il refuse d’être payé. Sinon, le commerce dont nous avons parlé plus haut devrait payer la société de gestion, qui reversera le montant à l’auteur (non sans avoir croqué au passage de juteux frais de gestion). Et voilà comment l’UPP imagine que la gratuité deviendra impossible (ou très compliquée) : en “forçant” les amateurs a accepter des chèques de société de gestion collective !

Ubuesque !

Mais en fait pas tant que cela…

Un peu de profondeur de champ

En réalité, ce sont les présupposés idéologiques des photographes professionnels – le rejet de la culture amateur, la guerre forcenée au partage et la croisade contre la gratuité – qui rendent leurs propositions aussi aberrantes.

Au front de la révolution du droit d’auteur !

Au front de la révolution du droit d’auteur !

Poser les fondements d'une réforme du droit d'auteur et du financement de la création : tel est l'objet d'un nouveau ...

Mais si au contraire, on considère comme un fait positif pour la culture que la photographie soit devenue une pratique largement répandue dans la population (démocratisation) et si l’on admet que la mise en partage volontaire des contenus par leurs auteurs est bénéfique d’un point de vue social, alors on peut penser d’une manière constructive le fait de récompenser tous les créateurs qui participent à l’enrichissement de la Culture sur Internet, qu’ils soient professionnels ou amateurs.

Et c’est précisément ce que veut faire la contribution créative, telle qu’elle est proposée par Philippe Aigrain notamment, dans les “Éléments pour une réforme du droit d’auteur et des politiques culturelles liées“.

Dans ce système, la première étape consiste à mettre fin à la guerre au partage, en légalisant le partage non-marchand des œuvres entre individus. La seconde vise à mettre en place une contribution (un prélèvement obligatoire de quelques euros versés par les individus pour leur connexion Internet), destinée à récompenser (et non à compenser) les créateurs de contenus. Le montant global de cette rémunération (qui peut atteindre un milliard selon les estimations de Philippe Aigrain) serait à partager entre les différentes filières culturelles, et l’on peut tout fait y faire entrer la photographie. Cette rémunération ne concernait pas seulement le téléchargement, mais aussi l’usage des œuvres, que l’on pourrait mesurer en fonction du nombre de visites des sites, des rétroliens ou des partages sur les réseaux sociaux.

Dans ce dispositif, le photographe professionnel, qui met en ligne ses clichés, ne peut plus s’opposer à ce qu’ils circulent sur Internet. Mais de toute façon, il est extrêmement difficile d’empêcher que les photos se disséminent en ligne et les photographes agissent rarement contre les reprises faites par de simples particuliers, sans but commercial. En revanche, les photographes seraient tout à fait fondés à toucher une récompense monétaire, à hauteur de l’usage de leurs œuvres en ligne.

Ce système ne les empêcherait pas par ailleurs de continuer à toucher aussi des rémunérations pour les usages commerciaux, opérés par les professionnels (sites de presse ou usage promotionnel par des commerces ou des marques, usage par des administrations, etc). De ce point de vue d’ailleurs, le programme de l’UPP contient des mesures intéressantes et même nécessaires (lutte contre l’usage abusif du D.R., rééquilibrage des pratiques contractuelles, voire même cette gestion collective obligatoire).

Mais la contribution créative s’appliquerait aussi aux amateurs. C’est-à-dire que l’internaute qui partage ses photographies sur Flickr, sur Wikimedia Commons ou sur son site personnel, est elle aussi fondée à être récompensée, car elle contribue à enrichir la culture par sa production. En fonction du taux de partage/usage de ses clichés, l’amateur pourra donc toucher une rétribution, par redistribution d’une part de la contribution créative.

Une autre photo de la guerre du web

Une autre photo de la guerre du web

Passée la dimension policière de l'évènement, l'affaire MegaUpload a ravivé les débats sur la gestion des droits ...

On en arrive donc, paradoxalement, à un système pas si éloigné de la “machine de guerre” contre la gratuité imaginée par l’UPP : des amateurs, qui n’auraient pas forcément créé des œuvres dans un cadre professionnel, pourraient toucher une rétribution. Sauf que dans le dispositif conçu par Aigrain, les personnes désireuses de toucher les récompenses devraient se manifester, en s’enregistrant (système d’opt-in et non d’opt-out). Par ailleurs, les récompenses ne seraient versées que si elles atteignent un montant minimum chaque année (pour ne pas qu’elles coûtent plus cher à verser que ce qu’elles rapportent effectivement aux créateurs).

Au lieu de fonctionner sur une distinction amateur/professionnel, la contribution créative fonctionne sur une distinction entre les créateurs qui veulent toucher une récompense et ceux qui ne le souhaiteront pas (certainement très nombreux dans le domaine de la photographie).

La contribution créative, (photo)réaliste ?

La mise en place de la contribution créative dans le domaine de la photographie soulève néanmoins des difficultés particulières, et sans doute davantage que dans le secteur de la musique et du film.

Le problème réside dans la difficulté d’attribuer les photographies à leurs auteurs, alors qu’il est si simple de faire circuler, de modifier ou d’enlever le filigrane ou les métadonnées des fichiers des photographies. C’est en fait à la fois une question technique et une question de respect du droit moral des photographes. Sur ce terrain, les combats de l’UPP sont absolument fondés et ils rejoignent également les valeurs des tenants de la Culture Libre (souvenez-vous les protestations de Wikipédia contre les récupérations de Houellebecq).

Comment faire en sorte que le lien entre l’auteur et ses photographies ne se rompent pas au fil de la dissémination ? Je pense en fait que la solution est moins d’ordre technique, ni même juridique, que dans la manière dont les photographes géreront leur identité numérique et leur présence en ligne. A mon sens, une manière de contrôler la dissémination consiste pour les photographes à organiser eux-mêmes le partage de leurs contenus sur la Toile.

Un exemple permettra de comprendre de quoi il retourne. Le photographe professionnel américain Trey Ratcliffe, spécialisé dans la photo de, voyage et la HDR, a déjà adopté une stratégie globale de dissémination de ses contenus sur Internet. Il tient un blog photo très populaire – Stock In Customs - ; il diffuse ses photographies sur Flickr par le biais d’albums ; il est présent sur Tumblr où ses images sont très largement partagées et il va même jusqu’à organiser des « Expositions » sur Pinterest en retaillant ces photos spécialement pour qu’elles s’adaptent à cette interface.

Le résultat de cette stratégie “d’ubiquité numérique” est que le taux de fréquentation de ses sites et de partage de ses contenus est très fort, comme il le dit lui-même :

La licence Creative Commons augmente le trafic sur mon site où nous pouvons où nous pouvons ensuite octroyer des licences pour des photos à but commercial. Mes photos ont été consultées plus de 100 millions de fois sur mon site principal. En outre, j’ai plus de deux millions d’abonnés sur Google+.

Il augmente par ce biais sa notoriété et se construit une identité numérique très forte. Par ailleurs, l’ensemble des “lieux” où Trey Ratcliffe partage ses photos lui assurent une attribution claire de ses images, puisque que c’est lui-même qui les poste : son blog, Flickr, Tumblr, Pinterest, Google+, Twitter, etc. Bien sûr, il y a nécessairement des “fuites”, avec des reprises sauvages de ses clichés sans respect de son droit à la paternité. Mais elles sont soutenables, vu le trafic que la diffusion contrôlée des images assure par ailleurs à l’artiste.

Actuellement, Tray Radcliffe utilise une licence CC-BY-NC-SA, ce qui signifie qu’il autorise les usages non commerciaux et fait payer les usages commerciaux. C’est son business model et il a l’air de fonctionner remarquablement. Mais dans un système de contribution créative, il ne fait pas de doute qu’un photographe comme lui tirerait encore mieux son épingle du jeu, car il toucherait également une récompense pour les partages non-marchands de ses œuvres.

Dans l’article signalé plus haut de Nikon Pro Magazine, voici le point de vue, sans doute représentatif des photographes professionnels sur cette démarche :

Cette stratégie fonctionne, mais beaucoup estiment qu’elles déprécient la photographie et diminue les possibilités de gagner de l’argent pour ceux qui ont besoin de revenus afin de maintenir un standard élevé et de financer des projets.

Conception absurde de la valeur ! L’usage donne de la valeur aux œuvres, il ne les déprécie pas. Et aux Etats-Unis, certains photographes qui ont besoin de financements lourds pour monter des projets savent utiliser la plateforme de crowdfunding KickStarter.

Le point clé pour les photographes à l’ère du numérique, ce n’est pas de lutter contre le partage, mais de comprendre les rouages de l’économie du partage qui est en train de se mettre en place et de développer une agilité numérique suffisante pour tirer profit des forces de la dissémination.

Retirer l’obturateur

Cet exemple des photographes professionnels est important, notamment dans le cadre de la Mission Lescure qui s’annonce. Il montre en effet que la ligne de fracture entre les titulaires de droits et les tenants de la Culture Libre se situe essentiellement au niveau de la reconnaissance de la légitimité des pratiques amateurs et de leur nécessaire prise en compte dans les mécanismes de financement de la création.

Si ce point de désaccord était levé entre ces deux partis, il serait possible de se retrouver sur d’autres sujets (respect du droit moral et de la paternité, mise en place de contrats plus favorables aux auteurs, amélioration des systèmes de gestion pour rémunérer les usages commerciaux, etc) et d’arriver peut-être à un consensus.

La contribution créative reste néanmoins le seul système capable d’appréhender de manière globale la question de la valeur des contenus en ligne et d’organiser un financement complet, parce qu’elle prend en compte les productions amateurs.

Elle parvient à le faire en élargissant les usages, et non en provoquant des dommages collatéraux très importants sur les pratiques. J’ai déjà eu l’occasion ailleurs de démontrer que la contribution créative pouvait apporter des solutions de financement pertinentes pour la presse en ligne, bien plus que l’absurde Lex Google proposée par les éditeurs de presse, qui veut taxer les liens et les clics !

Cela pourrait être aussi le cas pour la photographie.


Photographies sous licence [CC-BY] deKevin Dooley, professeur et photographe amateur.

]]>
http://owni.fr/2012/09/19/mordre-les-photographes-upp/feed/ 51
Frein à main sur la voiture sans pilote http://owni.fr/2012/09/17/frein-a-main-sur-la-voiture-sans-pilote-driverless-car-google/ http://owni.fr/2012/09/17/frein-a-main-sur-la-voiture-sans-pilote-driverless-car-google/#comments Mon, 17 Sep 2012 10:53:38 +0000 Nicolas Patte http://owni.fr/?p=120148 driverless car, sorte de promesse d'un futur où circulent des voitures sans conducteur. En Californie, le projet est chahuté par les défenseurs de la vie privée qui voit dans ces véhicules de nouvelles possibilités pour fliquer le quotidien des citoyens.]]>

Eric E. Schmidt Président exécutif, Larry Page PDG et Sergey Brin co-fondateur, dans la Google self-driving car en janvier 2011

Une association californienne de défense des consommateurs a mis le turbo pour interdire la voiture sans conducteur élaborée par Google, au titre — comme souvent — de la protection de la vie privée des utilisateurs. Et joue clairement la carte de David contre Goliath.

C’est en effet seule contre tous que l’association Consumer Watchdog a contacté très officiellement [pdf] la semaine dernière le gouverneur de Californie Jerry Brown pour lui demander d’apposer son veto sur le projet de loi “SB 1298“. La loi, si elle devait être adoptée, permettrait à l’État de tracer, sur le long terme, sa première autoroute automatisée remplie de véhicules-robots. Mais surtout, sur un plus court terme, de laisser rouler des voitures sans pilote sur les routes californiennes.

Dit comme ça, le projet paraît sortir d’un bouquin de science-fiction, mais il est pourtant sur le point d’aboutir. Déjà, des constructeurs comme Toyota, Audi, BMW, Lexus, Volvo ou encore Cadillac sont sur les dents pour produire des véhicules “autonomes” d’ici cinq ans. Le projet de loi, soumis par le sénateur démocrate Alex Padilla, est appuyé par certaines associations de promotion de la sécurité routière — mais pas toutes.

En tout état de cause, Google communique largement sur les statistiques de sa voiture sans conducteur (VSC) qui aurait quasiment atteint les 500 000 kilomètres sans incident, tandis que celles du conducteur étasunien sont moins bonnes : en moyenne, Average Joe fait face à un accident de la route tous les 250 000 kilomètres.

Situation enjolivée

Pourquoi Consumer Watchdog souhaite envoyer dans le décor un projet en apparence si futuriste et prometteur, réclamé par les statistiques donc, mais aussi par les lecteurs de SF, le gouvernement californien et le Sénat de l’État ? “Parce qu’un loi qui régule des véhicules autonomes doit s’assurer que les voitures sans conducteur rassembleront uniquement les données nécessaires à faire fonctionner l’automobile, et ne mémoriseront pas les données davantage que nécessaire”, clame John Simpson, directeur de la branche “vie privée” de l’association. Selon lui, le business model de Google :

c’est de monter des dossiers numériques sur nos comportements personnels et de les vendre aux annonceurs. Vous n’êtes pas le client de Google ; vous êtes son produit, qu’il vend aux entreprises désireuses de payer n’importe quel prix pour vous atteindre. (…) La technologie sans conducteur se contentera-t-elle de nous mener d’un point à un autre, ou traquera-t-elle comment nous y sommes allés et ce que nous avons fait durant le trajet ?

Dans le rétroviseur

Consumer Watchdog pense avoir des raisons de s’en faire au vu de la relative légèreté affichée par le géant du web en matière de vie privée. Et de rappeler deux évènements particulièrement fâcheux qui ont fait récemment déraper Google.

  • La première affaire est Wi-Fi Spy : il a été établi que les voitures qui circulent autour du globe pour photographier chaque rue et (re)constituer la fabuleuse base de données “Street View” ont été également conçues pour récolter des données personnelles sans aucun rapport avec leur mission. Ce que Google a voulu initialement faire passer pour le logiciel expérimental d’un ingénieur isolé était en fait — telle que l’a découvert la Commission fédérale des communications (FCC) — une fonctionnalité parfaitement intégrée au système.
    Résultat : en passant à proximité des habitations, ces Google cars se connectaient aux réseaux Wi-Fi ouverts qu’elles rencontraient et sauvegardaient toutes les infos qu’elles y trouvaient — y compris les mots de passe ou les e-mails.
  • La deuxième affaire sensible pour Google concerne l’espionnage organisé du navigateur Safari utilisé par Apple sur son iPad et son iPhone, qui représente environ 50 % du marché des navigateurs sur mobilité. Le méfait : utiliser du code pour tromper le navigateur qui, par défaut (et c’est un des rares), protège ses utilisateurs des cookies tierce partie, ceux-là même qui envoient des informations sur nos comportements et notre navigation aux réseaux de publicités en ligne. Et donc de détourner lesdites informations contre le gré des internautes et mobinautes.
    Pour ce “petit” secret, la firme tentaculaire a été condamnée le mois dernier à une amende de 22,5 millions de dollars [pdf] par la Federal Trade Commission (FTC). Une misère qui représente 0,2 % de ses revenus au deuxième trimestre — pour relativiser — et qui met un terme à une bévue dévoilée en février dernier par le Wall Street Journal.
  • Deux affaires de détournement des données privées, avérées et répréhensibles, en contrepoint de l’image lissée d’une entreprise dont le slogan (don’t be evil — “ne fais pas le mal”) résonne comme celui d’un parangon de probité. C’est pourquoi Consumer Watchdog réclame, de la part du Goliath et des autorités qui filent à tombeau ouvert avec lui, que le prochain joujou soit surveillé de (beaucoup plus) près.

    Apprenti maître-de-l’univers enthousiaste et maladroit, ange et démon, carburant aux passions humaines, slalomant entre l’absolue volonté de nous rendre à la fois libres de nos entraves et esclaves de nos petites libertés quotidiennes, Google titille encore son monde, avec cet air innocent et enfantin de ceux qui jouent à faire briller les chromes de la Buick pour parader dans Main Street. Bref, rien de nouveau sous le soleil californien : on lui passera sans doute cette facétie-là.


    Photo de la Google Car via Google Inc.

    ]]>
    http://owni.fr/2012/09/17/frein-a-main-sur-la-voiture-sans-pilote-driverless-car-google/feed/ 11
    Le tueur en série, la DGSE et les Talibans http://owni.fr/2012/09/05/le-tueur-en-serie-la-dgse-et-les-talibans/ http://owni.fr/2012/09/05/le-tueur-en-serie-la-dgse-et-les-talibans/#comments Wed, 05 Sep 2012 17:19:13 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=119337

    Charles Sobhraj, alias “Le Serpent” : vedette des séries estivales consacrées aux grands criminels. Officiellement, c’est un tueur en série de nationalité française et d’origine vietnamienne ayant sévi en Inde dans les années 80.

    Et enfermé depuis 2003 dans une prison du Népal, pays où de fins limiers l’ont interpellé pour un énième assassinat dont les détails nous échappent à la lecture de son parcours, tel que le décrit L’Express, au mois d’août, ou comme le raconte France Info dans son feuilleton Histoires criminelles. Les jugements et les preuves en relation avec son incarcération à Katmandou manquent dans les différentes sagas. Mais qu’importe sa culpabilité véritable.

    Bollywood

    L’homme est déjà entré dans cet étrange Panthéon réservé aux pires salopards qui incarnent le mieux les côtés sombres de notre petit monde. Au printemps dernier, des producteurs de Bollywood en Inde ont annoncé le lancement d’une superproduction retraçant les méfaits et surtout les évasions de Charles Sobhraj à travers le sous-continent, en particulier celle de la prison de Tihar, en 1986 – demeurée célèbre dans les annales de la police locale. La vedette du cinéma indien Saif Ali Khan tiendra le rôle du criminel présumé.

    La trajectoire de Charles Gurmurkh Sobhraj, né le 6 avril 1944 à Saigon – alors colonie française – emprunte des chemins pourtant bien plus étranges, plus complexes aussi, que ceux montrés par ces scénaristes ou dans les multiples récits livrés par la chronique criminelle. Ainsi, comme nous pouvons le détailler, divers documents des services secrets français, méconnus jusqu’à présent, lui sont consacrés. Non pas en raison de ses escroqueries ou de ses meurtres présumés.

    L’intérêt qu’il suscite se situe à un niveau plus stratégique. Il s’explique par le rôle que lui prêtent les agents de la DGSE dans des transactions illicites de matériels d’armement financées au début des années 2000 par deux importants narcotrafiquants afghans. Là, dans ces pages couvertes par le secret défense, le portrait du tueur en série un peu maniaque disparaît au profit de celui d’intermédiaire en relation avec des personnalités des services secrets pakistanais de l’Inter Services Intelligence (ISI).

    Un homme qui se balade à travers l’Asie centrale en se prévalant lors de certaines rencontres, semble-t-il, d’une relation de confiance avec des dignitaires Talibans. Et qui fréquente quelques professionnels du cinéma français lui permettant d’utiliser des cartes de visites et des noms de société inspirant confiance. Une toute autre histoire. Une note de la DGSE que nous publions plus bas affirme ainsi :

    Au cours du printemps 2001, Charles Sobhraj a repris contact avec le courtier non autorisé en armement Philippe Seghetti afin de se procurer des mini-réacteurs de type R-36 TRDD-50 de conception russe. Cette demande lui aurait été adressée par deux intermédiaires pakistanais de l’Inter Service Intelligence (ISI). Par ailleurs, Charles Sobhraj, souhaitant se procurer de la drogue en paiement des équipements livrés, le financement de cette transaction pourrait être assuré par des ressortissants afghans agissant dans le domaine des narcotiques, MM. Hâdji Abdul Bari et Hâdji Bachar.
    Charles Sobhraj, qui a probablement été évincé de cette transaction, continue de soutenir les Talibans. En effet, ces derniers l’ont invité à se rendre dans la région de Peshawar (Pakistan) pour effectuer des transactions. Le laissez-passer devra être rédigé au nom de la société française Victor Productions, derrière laquelle M. Sobhraj abrite ses intérêts commerciaux.

    Sobhraj DGSE

    Nous avons retrouvé la trace de Victor Productions, à Londres, au 18 Wigmore Street. La société ne paraît plus active mais elle a été enregistrée par un producteur français, François Enginger. Celui-ci apparaît notamment au générique de la saison 2 d’Engrenages, la série vedette de Canal Plus, cuvée 2008. Nous avons contacté la société Son & Lumière, une quasi institution dans les milieux du cinéma français, qui a produit les différentes saisons d’Engrenages. Nos interlocuteurs nous ont répondu qu’ils ne connaissaient pas François Enginger et qu’ils ne voulaient pas nous parler.

    Pas plus de chance avec Philippe Seghetti, nous n’avons obtenu aucune réponse aux sollicitations envoyées pour entrer en contact avec lui. Et aucun élément matériel ne nous permet de corroborer les soupçons que nourrissent les services secrets à son encontre. Selon nos informations, cet homme d’affaires est intervenu à plusieurs reprises sur les marchés de la sécurité en Afrique, notamment en République démocratique du Congo.

    Armement

    La Lettre du Continent, spécialisée sur les réseaux de la Françafrique, mentionne l’existence d’un partenariat entre Philippe Seghetti et une structure appartenant aujourd’hui à la Sofema, une entreprise spécialisée dans l’accompagnement des contrats d’armement pour le compte des industriels français de la défense.

    Les mini-réacteurs de type TRDD-50 qui intéressent la DGSE dans sa note sont produits à une échelle importante en Russie, en particulier dans les ateliers de la société OJSC, basée à Omsk et spécialisée dans la fabrication de moteurs et de systèmes de propulsion pour l’aéronautique. Entre les mains de professionnels de l’armement, ces minis-réacteurs peuvent servir au développement de missiles de croisière – à l’image du missile chinois HN-2 – ou servir à construire des drones artisanaux.

    La note de la DGSE, rédigée début 2002, quelques mois avant l’arrestation de Charles Sobhraj au Népal, précise que ses commanditaires pakistanais ont pris contact avec la société géorgienne Indo-Georgia International, également en mesure de produire les fameux mini-réacteurs TRDD-50.

    À la même époque, cette entreprise apparaît impliquée dans d’importantes livraisons d’armes de guerre aux indépendantistes en Tchéchénie ; que soutenaient l’Arabie Saoudite, le Pakistan et les réseaux Talibans. Une constante, de nos jours encore, les séparatistes ouzbeks et tchétchènes s’entraînent et combattent en Afghanistan.

    Dans ce contexte, le 13 septembre 2003, tandis qu’il était domicilié en France en toute légalité (malgré un passé judiciaire chargé), Charles Sobhraj effectue un voyage au Népal pour affaires. Avec un visa en bonne et due forme délivré par le consulat du Népal à Paris. Il n’en repartira jamais. Ce jour-là, il est interpellé par la police de Katmandou dans le cadre d’un contrôle d’identité. Et après une vingtaine de jours de détention, de manière plutôt surprenante, il est inculpé pour un assassinat crapuleux commis au mois de décembre 1975.

    L’accusation repose principalement sur les photocopies de deux cartes d’enregistrement dans un hôtel réservé aux étrangers, remontant à décembre 1975 et qui désigneraient Sobhraj. Près d’un an après cette inculpation, et malgré des expertises mettant en cause la fiabilité de ces photocopies, et sans aucune autre preuve matérielle, la Court de Katmandou condamne Charles Sobhraj à la prison à vie, le 12 août 2004.

    Preuves originales

    À Paris, Maître Isabelle Coutant-Peyre, avocate hors normes, familière des dossiers difficiles, assurant la défense du terroriste Carlos, prend en charge l’affaire Charles Sobhraj, en relation avec les avocats népalais. À titre bénévole, pour des questions de principe, nous explique t-elle. Après avoir consulté le dossier de l’accusation, elle introduit un recours devant la Commission des Droits de l’Homme des Nations unies. Qui se transforme en plainte contre l’État du Népal.

    Et elle gagne. Dans un avis du 27 juillet 2010, que nous reproduisons ci-dessous, la Commission des Droits de l’Homme des Nations unies condamne sans réserve l’État du Népal pour avoir violé des dispositions du droit interne népalais, et surtout pour avoir mené une procédure sans respecter les principes judiciaires les plus élémentaires, en particulier la nécessité de mener une instruction contradictoire, à charge et à décharge, d’accorder la possibilité à l’accusé d’écouter les griefs qui lui sont adressés dans une langue qu’il comprend, et de fonder les actes d’accusations sur des preuves originales et non sur quelques copies dont l’authenticité est sérieusement contestée.

    Charles Sobhraj United Nations

    Onze ans après son arrestation, Charles Sobhraj dort toujours dans une prison népalaise. Son casier judiciaire chargé, sous d’autres juridictions, revient parfois comme un ultime argument pour tenter de cautionner une condamnation vide de raison juridique. Mais peut-être pas de raison d’État. Le 25 octobre 2010, le chef de cabinet de l’Élysée, Guillaume Lambert a rédigé une lettre – que nous avons pu consulter – dans laquelle il exprime toute l’empathie de l’État français pour le cas Sobhraj. Sans vraiment convaincre.


    Serpents par Caravsanglet et ggalice sous licences Creative Commons via Flickr

    ]]>
    http://owni.fr/2012/09/05/le-tueur-en-serie-la-dgse-et-les-talibans/feed/ 8
    Les mystérieuses bases de données de Mitt Romney http://owni.fr/2012/08/28/les-mysterieuses-bases-de-donnees-de-mitt-romney/ http://owni.fr/2012/08/28/les-mysterieuses-bases-de-donnees-de-mitt-romney/#comments Tue, 28 Aug 2012 14:18:32 +0000 Nicolas Patte http://owni.fr/?p=118863 Associated Press.]]>

    Mitt Romney est un gars heureux. Le candidat républicain à l’investiture suprême face à Barack Obama est plutôt du genre à récolter facilement des fonds pour sa campagne. Des centaines de millions de dollars récoltés, entre autres, grâce à un projet très secret d’exploration de données (data mining) comprenant des informations personnelles telles que des actes d’achat ou une présence à l’église – comme l’a appris et rapporté l’Associated Press. Dans une enquête fouillée, mise en ligne par sa cellule investigation de Washington.

    Afin de cibler ses potentiels donateurs, Romney passe discrètement par les services d’une entreprise texane spécialisée dans l’analyse de données, Buxton Company, une société qui se vante d’agréger des informations sur 120 millions de foyers américains. Et qui bossait déjà pour le candidat républicain à l’époque où celui-ci dirigeait le cabinet de consulting Bain & Company, qui a confirmé filer un coup de main pour détecter, parmi les sympatisants du parti à l’éléphant, les riches concitoyens n’ayant pas encore mis la main au portefeuille.

    Point troublant : la loi interdit aux entreprises l’analyse de données propriétaires à des fins de contribution “en nature” à la campagne d’un candidat. Mais il n’existe aucune trace comptable parmi les rapports financiers soumis à la Commission électorale fédérale (FEC) d’une relation financière entre Buxton Company et Romney. Dont l’équipe reste sagement muette sur le sujet. Mutisme que n’observeront ni le patron de la société Tom Buxton, qui a confirmé vouloir s’afficher aux côtés “des gagnants”, ni par un leveur de fonds du candidat, qui a, lui aussi, décrit le projet à AP sous couvert d’anonymat.

    Il est beau il est frais mon candidat

    Le projet montre que les statégies d’entreprise utilisées pour influencer nos décisions d’achat et nos façons de penser sont désormais appliquées pour influencer les élections présidentielles”, indique l’AP, qui précise : “les mêmes données personnelles que nous donnons, souvent sans le savoir, en utilisant nos cartes de paiement ou en nous connectant à Facebook, sont maintenant collectées par des gens qui pourraient un jour occuper la Maison Blanche.

    Le projet repose ainsi sur une analyse sophistiquée et dûment informatisée de centaines de bases de données commerciales très coûteuses, achetées et vendues en toute légalité – mais dans la plus grande discrétion – par les boîtes de marketing. Informations bancaires, fiscales, immobilières, civiques, familiales, réponses à des enquêtes d’opinion : tout ce que le secteur sait des Américains et de leur profil psychographique s’y retrouve.

    DR – capture d'écran du site Buxtonco.com

    Et permet, par exemple, de mettre la main sur plus de 2 millions de foyers de la région de San Francisco passés par le “détecteur Romney” et identifiés comme ayant la capacité de participer à la campagne du candidat pour (au moins) 2 500 dollars. Bingo. Cet été, selon une analyse de l’AP, les Républicains ont progressé significativement dans les quartiers traditionnellement démocrates en levant plus de 350 000 dollars autour de la Baie avec une contribution moyenne de 400 dollars par donateur – loin des montants auxquels son parti est habitué dans ce genre d’exercice où les plus riches sont habituellement ciblés. En bref : Romney chasse sur les terres d’Obama.

    “Je peux regarder n’importe quelle donnée et dire ‘Je veux savoir qui pourraient être les donateurs à 100 dollars’. Nous travaillons sur n’importe quelle donnée.” – Tom Buxton

    Enclin à fouiller, scruter, détailler et rendre parfaitement transparents les profils de ses concitoyens pour que la fête à plusieurs milliards de dollars puisse continuer, Romney est beaucoup plus opaque pour justifier de l’origine des fonds qui le propulsent aujourd’hui au niveau du Président sortant.


    Source : Romney Uses Secretive Data-Mining
    Photo CC [by-nc-cd] davelawrence8

    ]]>
    http://owni.fr/2012/08/28/les-mysterieuses-bases-de-donnees-de-mitt-romney/feed/ 8
    Au front de la révolution du droit d’auteur ! http://owni.fr/2012/08/02/au-front-de-la-revolution-du-droit-dauteur/ http://owni.fr/2012/08/02/au-front-de-la-revolution-du-droit-dauteur/#comments Thu, 02 Aug 2012 09:56:04 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=117410

    Le rejet d’ACTA par le Parlement européen, tout comme la mise en échec en début d’année de la loi SOPA aux États-Unis, obtenus grâce à une mobilisation citoyenne sans précédent, constituent à l’évidence deux grandes victoires. Mais leur portée reste limitée, car il s’agissait essentiellement de batailles défensives, menées par les défenseurs des libertés numériques et de la culture libre pour barrer la route à des projets liberticides.

    Néanmoins, ces succès créent une opportunité politique pour passer de la défensive à l’offensive, en proposant une refonte globale du système du droit d’auteur et du financement de la création.

    Cliquer ici pour voir la vidéo.

    Dans cette perspective, la Quadrature du Net vient de publier un document de première importance, préparé par Philippe Aigrain et intitulé “Éléments pour la réforme du droit d’auteur et des politiques culturelles liées“. Il est disponible ici sur le site de la Quadrature, sur le blog de Philippe Aigrain et vous pouvez le télécharger en version pdf également.

    Articulé en 14 points représentés sur le schéma ci-dessous, ce texte couvre de nombreuses problématiques liées à la question de la création dans l’environnement numérique, aussi bien dans sa dimension juridique qu’économique et technique.

    Légalisation du partage non-marchand entre individus

    La clé de voûte de ce projet consiste à légaliser le partage non-marchand entre individus d’œuvres protégées, considéré comme une pratique légitime et utile pour la vie culturelle et la création. La légalisation du partage s’opère par le biais d’une extension de la théorie de l’épuisement des droits, qui nous permettait déjà d’échanger ou de donner des supports d’œuvres protégées dans l’environnement matériel (livres, CD, DVD, etc) :

    L’approche alternative consiste à partir des activités qui justifiaient l’épuisement des droits pour les œuvres sur support (prêter, donner, échanger, faire circuler, en bref partager) et de se demander quelle place leur donner dans l’espace numérique. Nous devons alors reconnaître le nouveau potentiel offert par le numérique pour ces activités, et le fait que ce potentiel dépend entièrement de la possession d’une copie et de la capacité à la multiplier par la mise à disposition ou la transmission.

    L’épuisement des droits va ainsi être défini de façon à la fois plus ouverte et plus restrictive que pour les œuvres sur support. Plus ouverte parce qu’il inclut le droit de reproduction, plus restrictive parce qu’on peut le restreindre aux activités non marchandes des individus sans porter atteinte à ses bénéfices culturels.

    Ce versant juridique de la légalisation du partage s’accompagne d’un versant économique, dans la mesure où cette extension de l’épuisement du droit d’auteur va de pair avec la création de nouveaux droits sociaux à la rémunération pour ceux qui contribuent à la création.

    Contribution créatrice

    Cet aspect des propositions de Phillipe Aigrain est particulièrement intéressant et il recoupe les modèles que l’auteur avait déjà exposé dans son ouvrage Sharing : Culture and The Economy in The Internet Age. En lieu et place de la licence globale, modèle alternatif de financement décrié à la fois par les représentants des industries culturelles et ceux de la Culture libre, le document propose plusieurs pistes de financement, dont la principale consiste en la mise en place d’une contribution créative, constituée par un prélèvement forfaitaire par foyer connecté à Internet.

    Cliquer ici pour voir la vidéo.

    D’autres mécanismes économiques sont envisagés comme le financement participatif en amont de la création (crowdfunding) ou encore le revenu minimum d’existence inconditionnel. Par ailleurs, des propositions complémentaires visent à réformer en profondeur la gestion collective, les financements publics culturels et la fiscalité du numérique.

    Dépassant les aspects économiques, le document se penche également sur les conditions de possibilités techniques garantissant que les échanges puissent s’exercer librement dans un tel système, sans que des acteurs manœuvrent pour acquérir une position dominante par d’autres biais. La légalisation du partage se limite strictement aux échanges non marchands entre individus pour éviter le retour de monstruosités centralisant les fichiers et l’attention comme MegaUpload. Le document se prononce logiquement en faveur de la défense du principe de neutralité du Net, mais aussi pour l’interopérabilité et l’ouverture des appareils type smartphones ou tablettes, ainsi que pour la mise en place d’une taxation de la publicité en ligne qui évitera que des acteurs comme Google ou Facebook ne puissent dévoyer les mécanismes de l’économie de l’attention à leur profit.

    La neutralité du Net en une image

    Mais le document ne s’arrête pas là et il balaye tout un ensemble de problématiques qui me paraissent particulièrement importantes et qui ont beaucoup retenu mon attention sur S.I.Lex depuis des années. J’ai déjà écrit à plusieurs reprises (ici ou ) pour démontrer qu’il existe un lien direct entre la légalisation du partage non marchand et la défense des usages collectifs, ainsi qu’avec la place des institutions culturelles comme les bibliothèques dans l’accès à la culture et à la connaissance. J’ai aussi alerté à de nombreuses reprises sur le fait que le maintien de la guerre au partage, telle qu’elle se manifeste en France par exemple à travers le mécanisme de la riposte graduée instauré par la loi Hadopi, faisait peser sur les lieux d’accès publics à Internet de graves menaces (ici ou ).

    Usages collectifs

    Si le cœur du modèle de Philippe Aigrain porte sur les échanges entre individus, il est tout à fait sensible à l’importance des usages collectifs auxquels plusieurs points sont consacrés dans le document. On retrouve par exemple un point complet sur la nécessité de consacrer les pratiques éducatives et de recherche comme un véritable droit, par le biais d’une exception sans compensation.

    Philippe Aigrain envisage également un rôle central dévolu aux bibliothèques en matière de diffusion des œuvres orphelines. Il prononce des critiques radicales à l’encontre des récentes lois sur le prix unique du livre numérique et sur la numérisation des livres indisponibles du XXe siècle auxquelles les bibliothécaires français se sont opposés. Il propose également de doter le domaine public d’un statut positif afin de le protéger contre les atteintes à son intégrité, ainsi que de renforcer la dynamique de mise en partage des œuvres par le biais des licences libres.

    Par ailleurs, Silvère Mercier et moi-même avons eu le grand honneur d’être invités à contribuer à ce document pour la partie intitulée “Liberté des usages collectifs non marchands” que je recopie ci-dessous :

    A côté des usages non marchands entre individus, il existe des usages collectifs non marchands, qui jouent un rôle essentiel pour l’accès à la connaissance et pour la vie culturelle, notamment dans le cadre de l’activité d’établissements comme les bibliothèques, les musées ou les archives. Ces usages recouvrent la représentation gratuite d’œuvres protégées dans des lieux accessibles au public ; l’usage d’œuvres protégées en ligne par des personnes morales sans but lucratif ; la fourniture de moyens de reproduction à des usagers par des institutions hors cadre commercial ; et l’accès à des ressources numérisées détenues par les bibliothèques et archives.

    A l’heure actuelle, ces usages collectifs s’exercent dans des cadres juridiques contraints, hétérogènes et inadaptés aux pratiques. Le préjugé selon lequel, dans l’environnement numérique, les usages collectifs nuiraient aux ventes aux particuliers ouvre un risque non négligeable que les titulaires de droits utilisent leurs prérogatives pour priver les bibliothèques de la possibilité de fournir des contenus numériques à leurs usagers. Dans un contexte où les échanges non marchands entre individus seraient légalisés, il serait pourtant paradoxal que les usages collectifs ne soient pas garantis et étendus.

    A cette fin, les mesures suivantes doivent être mises en place :

    • Représentation sans finalité commerciale d’œuvres protégées dans des lieux accessibles au public : création d’une exception sans compensation, en transformant l’exception de représentation gratuite dans le cercle familial en une exception de représentation en public, hors-cadre commercial.
    • Usages en ligne non marchands d’œuvres protégées : les personnes morales agissant sans but lucratif doivent pouvoir bénéficier des mêmes possibilités que celles consacrées au profit des individus dans le cadre des échanges non marchands.
    • Fourniture de moyens de reproduction, y compris numériques, par des établissements accessibles au public à leurs usagers : ces usages doivent être assimilés à des copies privées, y compris en cas de transmission des reproductions à distance.

    Enfin se pose la question importante du rôle des bibliothèques dans la mise à disposition (hors prêt de dispositifs de lecture) de versions numériques des œuvres sous droits et non-orphelines. Tout un éventail de solutions est envisageable depuis la situation où les bibliothèques deviendraient la source d’une copie de référence numérique de ces œuvres accessible à tous jusqu’à une exception pour leur communication donnant lieu à compensation.

    Nouvelles taxes

    À tous les bibliothécaires engagés et plus largement à tous les professionnels du secteur de l’information-documentation qui se sentent concernés par ces questions, je voudrais dire qu’il est temps à présent de régénérer les principes de notre action pour embrasser une vision plus large que celle qui a prévalu jusqu’à présent, notamment dans le cadre de l’action de l’IABD.

    Il n’est plus possible aujourd’hui de soutenir que les bibliothèques ne sont pas concernées par la question de la légalisation du partage non marchand. Il n’est pas possible non plus de continuer à se battre sur des sujets périphériques, comme les exceptions au droit d’auteur, sans s’associer à une refonte en profondeur du système de la propriété intellectuelle. Ces tactiques se cantonnent à l’écume des choses et elles manquent l’essentiel. Elles ont hélas conduit à des défaites tragiques, comme ce fut le cas avec la loi sur la numérisation des livres indisponibles. Il n’est plus question d’obtenir simplement un rééquilibrage du droit d’auteur dans l’environnement numérique, mais bien de le refonder à partir d’autres principes !

    Les propositions qui figurent dans ce document doivent être défendues et portées au plus haut niveau lors de la consultation à venir sur l’acte II de l’exception culturelle, qui sera conduite dans le cadre de la mission Lescure. Les lobbies des industries culturelles sont déjà lourdement intervenus en amont afin que les questions essentielles ne soient pas posées lors de cette consultation. Les choses semblent courues d’avance et j’ai  déjà eu l’occasion de dénoncer le fait que l’on cherchera certainement à nous faire avaler la mise en place de véritables gabelles numériques. On voudra instaurer de nouvelles taxes sans consécration de droits au profit des usagers et sans même remettre en cause de la logique répressive qui est au cœur de la loi Hadopi !

    Cliquer ici pour voir la vidéo.

    Tous ceux qui s’intéressent aux libertés numériques et à l’avenir de la création sur Internet devraient s’emparer de ces propositions et les porter à l’attention des pouvoirs publics. Et il me semble que les auteurs et les créateurs devraient être les premiers à le faire.

    Ils sont en effet de plus en plus nombreux à prendre conscience que le droit d’auteur a dérivé vers un système de rentes au profit d’intermédiaires qui ne sont plus à même de leur garantir les moyens de créer, ni même de vivre dignement. Les propositions de Philippe Aigrain sont essentiellement tournées vers les auteurs.  Le point n°7 porte par exemple sur la refonte des contrats d’édition, afin que les éditeurs ne soient plus en mesure de s’accaparer les droits numériques à leur profit, sans reverser une rémunération décente aux auteurs.

    Une économie du partage

    Plus largement, la contribution créative constitue une des seules pistes réalistes pour dégager les sommes suffisantes à la rémunération des créateurs, en sortant de la spirale infernale de la guerre au partage les dressant contre leur public. Elle vise à créer une véritable économie du partage, dont les créateurs seraient de nouveau les premiers bénéficiaires. Par ailleurs, l’une des vertus fortes de ce modèle, c’est d’envisager de rémunérer non seulement les auteurs professionnels, mais aussi la multitude des créateurs amateurs qui contribuent aujourd’hui sur Internet de manière déterminante à la vie de la culture et des idées.

    La parole pour finir à Philippe Aigrain :

    Le numérique porte la promesse de capacités culturelles accrues pour chacun, d’une nouvelle ère où les activités créatives et expressives sont au cœur même de nos sociétés. Dans un contexte souvent hostile, cette promesse montre chaque jour qu’elle est solide. Dans de nombreux domaines, la culture numérique est le laboratoire vivant de la création. Elle donne lieu à de nouveaux processus sociaux et permet le partage de ses produits. De nouvelles synergies se développent entre d’une part, les activités et la socialité numérique et, d’autre part les créations physiques et interactions sociales hors numérique. L’objectif d’une réforme raisonnable du droit d’auteur / copyright et des politiques culturelles ou des médias est de créer un meilleur environnement pour la réalisation de cette promesse. Comme toujours, il y a deux volets : arrêter de nuire au développement de la culture numérique et, si possible, la servir utilement.

    En ce qui me concerne, j’ai trouvé dans ce programme une cause porteuse de sens que je veux servir et qui vaut la peine que l’on se batte pour elle de toutes ses forces! Je le ferai en tant que citoyen, en tant que juriste, en tant qu’auteur numérique, mais aussi et surtout comme le bibliothécaire que je suis, attaché viscéralement à la diffusion du savoir et à la défense des biens communs !

    Billet initialement publié sur le blog de Calimaq :: S.I.Lex :: sous le titre “Réforme du droit d’auteur et financement de la création : il est temps de passer à l’offensive !”

    Image CC Flickr PaternitéPartage selon les Conditions Initiales Certains droits réservés par Kalexanderson

    Retrouvez toutes les chroniques juridiques de Calimaq publiées chaque semaine sur Owni

    ]]>
    http://owni.fr/2012/08/02/au-front-de-la-revolution-du-droit-dauteur/feed/ 10