OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les honnêtes gens au Sénat http://owni.fr/2012/02/20/les-gens-honnetes-resistent-a-leur-fichier/ http://owni.fr/2012/02/20/les-gens-honnetes-resistent-a-leur-fichier/#comments Mon, 20 Feb 2012 14:05:36 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=98706 gens honnêtes", du nom de ce projet visant à ficher l'ensemble de la population française, qui a connu un précédent sous l'Occupation. Le gouvernement pousse des quatre fers pour que soit adopté ce texte avant les prochaines échéances électorales. ]]>

Le gouvernement fait tout pour que soit adoptée, avant la présidentielle, la très controversée proposition de loi sur la protection de l’identité.

Déposée en juillet 2010, ce projet vise à ficher l’état civil, ainsi que les empreintes digitales et photographies numérisées de l’ensemble des titulaires d’une carte d’identité. A terme, ce sont quelques 60 millions de “gens honnêtes”, pour reprendre le terme utilisé par un sénateur pour qualifier ce fichier censé lutter contre l’usurpation d’identité, qui pourraient être concernées.

Ce mardi 21 février au Sénat, le projet de loi sera examiné en quatrième lecture. Profitant de la présence de Michel Mercier, garde des Sceaux, les sénateurs de l’opposition se sont lâchés :

Un réel danger, une véritable bombe atomique. (Virginie Klès, PS)

Une atteinte disproportionnée aux libertés fondamentales. (Eliana Assassi, PC)

N’attendons pas qu’éclatent de grands scandales. Essayons d’agir vite. Notre responsabilité est d’alerter en amont. Notre devoir de législateur est d’anticiper et non de subir ! (Jacques Mézard, RDSE)

N’êtes-vous pas censé défendre la justice et les libertés ? Quand le Gouvernement auquel vous appartenez reconnaîtra-t-il enfin par son action que le libéralisme économique et l’impératif sécuritaire ne sont en aucun cas plus légitimes que le droit à la protection de la vie privée ? C’est d’ailleurs d’autant plus vrai que les gouvernants instrumentalisent bien souvent l’insécurité pour justifier des mesures attentatoires aux libertés fondamentales. (Leila Aïchi, écologiste)

“Bombe à retardement pour les libertés publiques”

Lobbying pour ficher les bons Français

Lobbying pour ficher les bons Français

Dans une relative discrétion, l'idée de créer un fichier de 45 à 60 millions de Français honnêtes a reçu un accueil ...

Au-delà des petites phrases et des questions de principe, la palme de la saillie la plus circonstanciée émane probablement de François Pillet, sénateur du Cher apparenté UMP. Ce vice-président de la commission des lois du Sénat connaît d’autant mieux le sujet que, rapporteur de la proposition de loi, il y a consacré pas moins de trois rapports parlementaires. François Pillet est également celui qui a auditionné les 14 représentants du Gixel, ce lobby des industriels des cartes à puce et de la biométrie qui lui ont expliqué que l’adoption du projet leur permettrait de gagner des contrats à l’étranger.

François Pillet n’est aucunement opposé au fait de ficher les “honnêtes gens“, mais à la possibilité d’exploitation policière de ce fichier administratif, qu’il avait qualifié, dans son second rapport parlementaire de “bombe à retardement pour les libertés publiques“.

Pour rassurer les sénateurs et se conformer à l’avis de la Cnil, Claude Guéant et les députés UMP avaient accepté de limiter l’exploitation policière de ce fichier aux seules infractions relatives à l’usurpation d’identité. François Pillet n’est pourtant pas rassuré. Pour lui, “le dispositif proposé (…) ouvre la voie à d’autres empiètements, à l’avenir, afin d’étendre peu à peu le périmètre de l’utilisation du fichier central biométrique de la population française“. Lors de l’examen du texte en commission des lois, le sénateur enfonce le clou :

Ce texte n’apaise pas nos inquiétudes mais, bien au contraire, en suscite de nouvelles. Tout d’abord, il serait possible de recourir au fichier dans le cadre d’enquêtes sur des infractions dont le lien avec l’usurpation d’identité est ténu, voire inexistant : délit de révélation de l’identité d’un agent des services spécialisés de renseignement, faux en écritures publiques, même lorsque celles-ci ne portent pas sur l’identité d’une personne, escroquerie, même lorsque l’escroc ne se dissimule pas sous une fausse identité.

Au cours de son examen à l’Assemblée, le 1er février dernier, le député Serge Blisko (apparenté socialiste) s’était lui aussi étonné de cette extension du nombre de délits permettant aux policiers de consulter le fichier biométrique :

Est-il utile de consulter un fichier biométrique comportant des renseignements intimes sur plusieurs dizaines de millions de personnes pour des délits mineurs tels que le franchissement illicite d’un portillon dans le métro ou le déplacement sans titre de transport ? C’est en effet ce que cela signifie. Je veux bien croire que, pour certains, sauter le portillon dans le métro doit être puni d’une peine très lourde. Mais faut-il pour autant recourir à un fichier biométrique ? Nous craignons une telle dérive. Il est encore temps de revenir à la raison, de ne pas faire en France ce qui n’existe dans aucun pays démocratique d’Europe et de mettre à l’abri nos concitoyens d’aujourd’hui et de demain de ce monde “orwellien” – permettez-moi cette expression – de fichage généralisé.

Le FNAEG, créé pour ficher les empreintes génétiques des criminels sexuels, a ainsi depuis été élargi aux simples “suspects” de la quasi-totalité des crimes et délits. Aujourd’hui, près de 70% des gens qui y sont fichés n’ont jamais été condamnés pour ce qui leur a valu d’être fiché. De même, rien n’empêchera d’élargir le fichier des “gens honnêtes” à de nombreux autres usages.

“Hors de tout contrôle judiciaire”

Le Parlement veut ficher les honnêtes gens

Le Parlement veut ficher les honnêtes gens

Le projet de ficher 60 millions de "gens honnêtes" oppose sénateurs et députés. Depuis le 12 janvier dernier, ces ...

Dans le troisième rapport [PDF] qu’il a consacré à la question, François Pillet déplore qu’”en outre, l’accès à la base serait possible en dehors des procédures prévues [dans la mesure où] l’accès aux données de la base centrale en dehors des procédures prévues fait basculer d’une logique de vérification d’une identité sur laquelle pèse des soupçons, à une logique d’identification dans le cadre d’une recherche criminelle“.

De plus, “les services spécialisés – notamment ceux qui sont chargés de la lutte contre le terrorisme – pourraient y avoir accès hors de tout contrôle judiciaire, puisque le texte ne l’exclut pas“. Pour lui, la possibilité d’utiliser ce fichier administratif à des fins policières pourrait être déclarée anticonstitutionnelle :

Qu’il s’agisse de l’accès au fichier dans les cas non prévus par le texte ou de celui de l’accès ouvert aux services chargés de la lutte contre le terrorisme, les garanties prévues par l’Assemblée nationale paraissent ainsi incomplètes ou insuffisamment précises.
Une telle imprécision pose inévitablement la question de la constitutionnalité du dispositif, alors qu’il appartient au législateur de définir avec précision les garanties légales nécessaire à l’exercice ou la protection des libertés publiques.

Et le sénateur de s’interroger sur la “levée de l’interdiction des procédés de reconnaissance faciale“. Claude Guéant, tout comme les industriels auditionnés à l’Assemblée, avaient précisément évoqué la possibilité, à terme, d’exploiter les systèmes de reconnaissance biométrique faciale afin d’identifier des individus filmés par des caméras de vidéosurveillance.

Or, et dans la mesure où les députés “n’ont apporté aucune précision sur les autres utilisations qui pourraient être faites de la base, par exemple, dans le cadre d’une consultation judiciaire opérée sur le fondement des articles 60-1, 60-2 et 99-3 et 99-4 du code de procédure pénale” (qui portent sur les perquisitions et saisies de données informatiques), François Pillet dénonce également ce détournement de finalité du “fichier des gens honnêtes” :

Dans le silence de la loi, devra-t-on considérer qu’un juge d’instruction pourrait demander à ce qu’une personne, dont le visage a été enregistré par une caméra de surveillance soit identifiée à partir des images numérisées dans le fichier central biométrique, ce qui reviendrait à valider ponctuellement des dispositifs de reconnaissance faciale ?

Pas d’équivalent depuis Vichy

François Pillet rappelle enfin le “refus, très majoritaire en Europe, des fichiers biométriques de population” :

L’Allemagne s’y refuse, invoquant explicitement son passé, ainsi que le Royaume-Uni et la Belgique, pourtant très avancée dans la mise en place de cartes d’identité électroniques. Le ministre de l’intérieur des Pays-Bas a annoncé en avril que les 6 millions d’empreintes digitales recueillies pour l’établissement de passeports biométriques seraient effacées.

Fichez les tous !

Fichez les tous !

Ce mercredi, dans une relative discrétion, l'Assemblée nationale a adopté un texte permettant de ficher la quasi totalité ...

Ce 21 février, le Sénat refusera très probablement d’adopter la proposition de loi telle que Claude Guéant l’a reformulée à l’Assemblée qui, sauf coup de théâtre, devrait l’adopter d’ici la présidentielle. En tout état de cause, François Pillet restera dans les annales comme celui qui, le 31 mai dernier, inventa l’expression de “fichier des gens honnêtes” pour qualifier ce projet, sans équivalent depuis la carte d’identité de Vichy.

En novembre dernier, le site web du groupe UMP du Sénat publiait un communiqué intitulé François Pillet veut “un fichier des gens honnêtes” qui, paradoxalement, expliquait pourquoi il ne veut pas de ce fichier :

Démocrates soucieux des droits protégeant les libertés publiques, nous ne pouvons pas laisser derrière nous un fichier que, dans l’avenir, d’autres pourront transformer en outil dangereux et liberticide.
Que pourraient alors dire les victimes en nous visant ? Ils avaient identifié les risques et ils ne nous en ont pas protégé. Monsieur le ministre, je ne veux pas qu’à ce fichier, ils puissent alors donner un nom, le vôtre, le mien ou le nôtre.


Illustration par Truthout.org (CC-byncsa)

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Lobbying pour ficher les bons Français http://owni.fr/2011/12/22/lobbying-pour-ficher-les-bons-francais/ http://owni.fr/2011/12/22/lobbying-pour-ficher-les-bons-francais/#comments Thu, 22 Dec 2011 14:50:25 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=91287

Le 13 décembre dernier, une vingtaine de députés ont adopté, en seconde lecture et dans un hémicycle clairsemé, la proposition de loi sur la protection de l’identité visant à créer un “fichier des gens honnêtes” (sic) de 45 à 60 millions de Français. Il servira de socle à la future carte d’identité électronique. Les parlementaires ont également validé la proposition de Claude Guéant de pouvoir se servir de ce fichier à des fins de police judiciaire, alors que le Sénat s’y était pourtant vertement opposé par 340 voix contre (dont 127 sénateurs… UMP) et 4 voix pour.

Véritable serpent de mer, la question de la modernisation de la carte d’identité a été plusieurs fois débattue ces dix dernières années. La Grande-Bretagne et les Pays-Bas ont eux décidé, cette année, d’abandonner ou de geler leurs projets respectifs. D’autres pays, comme les Etats-Unis, n’ont pas de carte d’identité. À contre-courant, le projet français illustre aussi des intérêts stratégiques industriels de la France, comme le reconnaît sans ambages Jean-René Lecerf, le sénateur à l’origine de la proposition de loi :

Les entreprises françaises sont en pointe mais elles ne vendent rien en France, ce qui les pénalise à l’exportation par rapport aux concurrents américains.

Le 31 mai, lors de la discussion au Sénat, Jean-René Lecerf soulignait ainsi que “sur la carte d’identité, nous avons été rattrapés, puis distancés par de nombreux États, dont nombre de nos voisins et amis, au risque de remettre en cause le leadership de notre industrie, qui découvrait alors la pertinence du proverbe selon lequel nul n’est prophète en son pays” (voir Fichons bien, fichons français !).

La liste des personnes entendues par François Pillet, le rapporteur de la proposition de loi au Sénat, montre bien l’ampleur du lobbying dont il a fait l’objet : on y dénombre en effet deux représentants du ministère de la justice et six du ministère de l’Intérieur, deux représentants de la CNIL et deux autres du Comité consultatif national d’éthique, un représentant de la Ligue des droits de l’homme, du Conseil national des barreaux et de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales.

Mais pas moins de quatorze représentants du Groupement professionnel des industries de composants et de systèmes électroniques (GIXEL) : trois de Morpho, deux de Gemalto, deux de l’Imprimerie nationale, deux d’Oberthur, deux de ST Microelectronics, un d’Inside Secure, un de SPS Technologies et de Thalès, soit la totalité des 8 membres du groupe cartes à puce du GIXEL. Auquel on ne peut adhérer qu’en déboursant une cotisation forfaitaire de 21 500 euros.

Dans son rapport, François Fillet souligne que les industriels du GIXEL lui ont ainsi fait valoir que “l’absence de projets en France, pays qui a inventé la carte à puce et possède les champions du domaine, ne permet pas la promotion internationale d’un modèle français de gestion de l’identité. Leurs succès à l’international, face à une concurrence allemande ou américaine seront plus nombreux, s’ils peuvent s’appuyer sur un projet concret national“.

Philippe Goujon, le député rapporteur de la proposition de loi à l’Assemblée, évoque lui aussi dans son rapport le lobbying dont il a fait l’objet :

Comme les industriels du secteur, regroupés au sein du groupement professionnel des industries de composants et de systèmes électroniques (GIXEL), l’ont souligné au cours de leur audition, l’industrie française est particulièrement performante en la matière (…) Les principales entreprises mondiales du secteur sont françaises, dont 3 des 5 leaders mondiaux des technologies de la carte à puce, emploient plusieurs dizaines de milliers de salariés très qualifiés et réalisent 90 % de leur chiffre d’affaires à l’exportation. Dans ce contexte, le choix de la France d’une carte nationale d’identité électronique serait un signal fort en faveur de notre industrie.

Menaces pour la France

Dans sa plaquette de présentation (.pdf), le GIXEL, qui se présente comme un “accélérateur d’électronique“, se targue ainsi, au titre des ses “actions spécifiques“, de “préparer la carte nationale d’identité avec l’Administration“.

Un autre document (.pdf) intitulé “France Numérique – L’identité numérique au coeur de l’économie française“, co-signé du GIXEL et de l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS, dépendant du ministère de l’intérieur) et daté de juin 2011, présente la Carte Nationale d’Identité Electronique (CNIe) comme un “projet national (qui) permettra de mieux protéger l’identité des Français et d’accélérer le développement de l’économie numérique tant pour le secteur public que privé” :

Les industriels français sont prêts. L’engagement gouvernemental national officialisé et concrétisé par un projet national constituera la référence indispensable pour concurrencer d’autres initiatives portées par d’autres pays.
L’absence actuelle de projet en France laisse le champ libre à d’autres nations, pour imposer de nouvelles normes, des produits ou des services au détriment des intérêts nationaux français et de son industrie.

Evoquant des “menaces pour la France et son industrie“, les auteurs du document estiment que “l’absence de projet national français donne une force incomparable à d’autres pays, qui forts de leur projet national, mettent leurs industriels en position d’exporter leurs solutions basées sur leur carte d’identité électronique” :

Les Etats-Unis ont entamé une réflexion stratégique sur la gestion des identités. Elle impactera les normes et donnera naissance à des solutions technologiques qui pourraient s’imposer aux delà (sic) de leurs frontières. Les pays qui n’auront pas développé la technologie perdront des marchés de produits et services, des emplois et leur gouvernement, de la TVA.

En l’espèce, les Etats-Unis n’ont pas de carte d’identité, et aucun projet de ce type n’est prévu à l’horizon. L’argument du GIXEL, pour qui l’absence de carte d’identité électronique française porterait atteinte à la France et à son industrie est d’autant plus étonnant que trois des quatre premiers acteurs mondiaux des documents électroniques d’identité et de voyage (passeport électronique, carte d’identité, permis de conduire, carte de santé), sont… français, et qu’ils sont donc particulièrement bien placés pour “imposer aux delà de leurs frontières” leurs normes et solutions technologiques, comme le reconnaît in fine le GIXEL quelques lignes plus bas, cherchant ainsi à vanter “l’expertise unique de l’industrie française” :

Oberthur, Morpho et Gemalto fournissent 70% des programmes nationaux dans le monde avec un capital de plus de 150 références.

544 cantines scolaires

Le GIXEL s’était déjà fait connaître pour avoir proposé de déployer des installations de vidéosurveillance et de biométrie dès l’école maternelle, afin d’habituer les enfants à ne pas en avoir peur, ce qui lui avait d’ailleurs valu de remporter un prix NovLang aux Big Brother Awards. Dans un “Livre Bleu” réunissant les propositions des industries électroniques et numériques, paru en juillet 2004 et présentant les “grands programmes structurants” de la filière, on pouvait en effet lire ce passage proprement orwellien :

La sécurité est très souvent vécue dans nos sociétés démocratiques comme une atteinte aux libertés individuelles. Il faut donc faire accepter par la population les technologies utilisées et parmi celles-ci la biométrie, la vidéosurveillance et les contrôles.

Plusieurs méthodes devront être développées par les pouvoirs publics et les industriels pour faire accepter la biométrie. Elles devront être accompagnées d’un effort de convivialité par une reconnaissance de la personne et par l’apport de fonctionnalités attrayantes :

  • Éducation dès l’école maternelle, les enfants utilisent cette technologie pour rentrer dans l’école, en sortir, déjeuner à la cantine, et les parents ou leurs représentants s’identifieront pour aller chercher les enfants.
  • Introduction dans des biens de consommation, de confort ou des jeux : téléphone portable, ordinateur, voiture, domotique, jeux vidéo
  • Développer les services « cardless » à la banque, au supermarché, dans les transports, pour l’accès Internet, …

La même approche ne peut pas être prise pour faire accepter les technologies de surveillance et de contrôle, il faudra probablement recourir à la persuasion et à la réglementation en démontrant l’apport de ces technologies à la sérénité des populations et en minimisant la gène occasionnée.

Ce même Livre Bleu tenait à préciser que “l’effort pour lutter contre le terrorisme doit être comparé à un effort de guerre comme celui que nous avons consenti pendant la période de guerre froide” et que, en terme d’enveloppe budgétaire, “l’importance de l’enjeu est tel qu’un effort de R&D publique et industrielle comparable en proportion du PIB à celui consenti pour construire la force de dissuasion française de 1958 à 1980 et le soutien à l’industrie correspondant serait une réponse proportionnée au problème“.

Interrogé sur cette diatribe militaire, Pierre Gattaz, fils d’un ancien patron du CNPF, et président du GIXEL, expliqua que qu’”on est de toute façon parti pour augmenter tout ce qui est contrôle de sécurité, de transport, d’identification…, on le voit bien avec les passeports numériques, avec les cartes d’identité ou de santé, où il y a toujours des cartes à puce avec des informations biométriques” :

Nous ne sommes pas là pour savoir si c’est trop ou pas assez, nous sommes avant tout des industriels et nous mettons en place les systèmes et équipements pour servir la police, la justice, et l’armée.

A défaut de savoir si la police, la justice, et l’armée ont bien été servis par le GIXEL, force est de constater que les écoles, elles, sont envahies : six ans seulement après la parution du Livre bleu, 544 établissements scolaires, en France, utilisent des systèmes de reconnaissance d’empreintes biométriques palmaires dans leurs cantines scolaires. Ils étaient 333 en novembre 2009.

Au vu de l’explosion du nombre de demandes, et afin d’éviter d’avoir à les traiter au cas par cas, la CNIL a en effet créé, en 2006, un dispositif d’autorisation unique permettant aux chefs d’établissement de déclarer l’installation de tels systèmes biométriques. Il leur est interdit d’utiliser des systèmes de reconnaissance des empreintes digitales, au profit de la reconnaissance du contour de la main, moins intrusif, et ils doivent fournir un système alternatif à ceux qui refusent la biométrie.

Utilisation massive

Dans un autre rapport intitulé “2012 – 2017 : Le temps de l’ambition“, récemment publié par la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication (FIEEC), dont le GIXEL fait partie, on découvre que la filière a de son côté inscrit, dans la liste de leurs “objectifs à 5 ans” le fait de “revoir le corpus législatif pour permettre l’utilisation massive des outils d’identification électronique” et de “déployer la carte d’identité électronique de façon massive” :

  • Avoir revu le corpus législatif pour permettre l’utilisation massive des outils d’identification électronique tout en garantissant les libertés publiques, en lien avec la Commission Nationale Informatique et Liberté (CNIL).
  • Généraliser les outils numériques de gestion et de suivi des flux physiques (marchandises, ports, aéroports, etc.).

La mesure clé à mettre en oeuvre :
Lancer des programmes massifs d’équipements d’outils de sécurité numérique, notamment pour la sphère publique.

Des exemples / pistes de réflexion

  • Sécurité des personnes : déployer la carte d’identité électronique de façon massive.
  • Bâtiments : généraliser les outils de sécurité électronique pour les bâtiments publics, Etat, administrations, collectivités locales.

L’Alliance pour la confiance numérique (ACN), créée par la FIEEC pour “représenter l’industrie de la confiance numérique, en particulier, auprès des pouvoirs publics” et qui réunit notamment Bull, Safran Morpho, Thalès, Orange, Gemalto, Cassidian, CS ou encore la Caisse des dépôts, “se propose d’être l’interlocuteur privilégié sur les questions de sécurité numérique” :

Une très grande partie des outils et des technologies de la sécurité existe déjà et la France a des atouts industriels et de service pour prendre un leadership mondial sur ce marché. En revanche, (…) si peu de marchés de sécurité s’ouvrent en France c’est parce que le sujet a du mal à émerger au niveau des décideurs de manière structurée. Il est nécessaire de développer un marché structuré et solvable.

Dans son dossier de presse (.pdf), l’ACN déplore ainsi que la France adopte souvent “des solutions étrangères alors que la France est très bien placée pour les fournir et les exporter grâce à des technologies reconnues : biométrie, carte à puce, systèmes d’identification ou encore détection d’activité pour la sécurité“.

Elle plaide ainsi, elle aussi, pour le “déploiement effectif, à court terme, de la Carte Nationale d’Identité Electronique“, qualifié de “proposition majeure“, et cite, entre autres “exemples d’apport du numérique“, un certain nombre de “solutions (qui) devront maintenir l’équilibre entre les contraintes perçues comme acceptables par la société et les opérateurs, et le besoin d’augmenter le niveau de sécurité” :

 contrôle d’accès en mouvement, coopératif ou non, avec reconnaissance faciale ou de l’iris ;
 reconnaissance à la volée, faciale ou de l’iris, avec capacité à identifier et localiser ;
et, en terme d’amélioration de l’efficacité de la vidéo-protection :
 la caractérisation sémantique d’individus pour la recherche sur signalement ;
 la détection d’événements anormaux ;
 le développement de l’exploitation de caméras mobiles, embarquées ;
 la vision nocturne, la prise en compte des conditions environnementales difficiles.

Isabelle Boistard, qui fut déléguée au développement du Gixel pendant 11 ans, est aujourd’hui chef de service chargée des affaires économiques à la FIEEC. Elle figure également dans la “liste des représentants d’intérêts” (en clair, des lobbyistes) sur le site de l’Assemblée nationale, tout comme sur celui du Sénat, au titre de déléguée générale de l’ACN, où elle représente également ATT, Bull, Cassidian, CS, France Télécom Orange, IBM, Id3, Gemalto, Keynectis, Morpho, PrimX, Radiall, SAP, Siemens, STS, Thales, Xiring. Yves Legoff, délégué général du Gixel, y représente quant à lui Gemalto, Imprimerie nationale, Inside Secure, Oberthur Technologies, Sagem Morpho, SPS, STMicroelectronics, et Thales Security Systems.


Photos via Flickr sous licences Creative Commons : source
Image de Une à télécharger par Marion Boucharlat et Ophelia Noor pour Owni /-)

Retrouvez les articles de la Une “Fichage des gens honnêtes” :

Takkiedine et Safran fichent la France et la Libye
Vers un fichage généralisé des gens honnêtes
Morpho, numéro 1 mondial de l’empreinte digitale

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http://owni.fr/2011/12/22/lobbying-pour-ficher-les-bons-francais/feed/ 114
Takieddine et Safran fichent en cœur http://owni.fr/2011/12/20/takieddine-et-safran-fichent-la-france-et-la-libye/ http://owni.fr/2011/12/20/takieddine-et-safran-fichent-la-france-et-la-libye/#comments Tue, 20 Dec 2011 15:45:21 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=91204

Dans le secteur des technologies de sécurité,Ziad Takieddine, l’intermédiaire sulfureux impliqué dans plusieurs affaires politico-financières, ne s’est pas contenté d’aider la société française Amesys à vendre à la Libye un système de “surveillance massive” de l’Internet. Il s’est également activé à vendre à Kadhafi un “système d’identification des citoyens libyens” (passeport et carte d’identité), au nom d’une autre entreprise française, Safran (autrefois nommée Sagem).

Selon plusieurs notes remises à la justice et provenant de l’ordinateur de Takieddine, celui-ci s’est illustré en défendant mordicus Safran auprès d’un certain Claude Guéant. Celui-là même qui, aujourd’hui, veut imposer la création d’un fichier de 45 à 60 millions de “gens honnêtes” afin de lutter contre l’usurpation d’identité, mais aussi et surtout d’aider Safran à conquérir de nouveaux marchés (voir Fichons bien, fichons français !). Morpho, la filiale de Safran chargée des papiers d’identité biométriques, qui se présente comme le “n°1 mondial de l’empreinte digitale“, est en effet l’entreprise pressentie pour le déploiement de ce fichier des “gens honnêtes“.

Ces divers documents, qu’OWNI s’est procurés, montrent qu’en juillet 2005, Ziad Takieddine déplorait la tournure que prenait le projet INES de carte d’”Identité Nationale Electronique Sécurisée” annoncé par Dominique de Villepin quelques mois plus tôt, mais qui commençait à s’enliser :

C’est un programme majeur, le plus important jamais conçu dans l’identification des citoyens en France. C’est un « enfant » de Sarkozy lors de son premier passage à l’Intérieur (2002 à mars 2004), mais qui n’a guère progressé depuis son départ, alors que les attentats de Londres viennent de succéder à ceux de Madrid (11 mars 2004).

Depuis le printemps, se déroule sur la place publique un débat stérile sur INES où une certaine France des contestataires habituels dit n’importe quoi et où la CNIL est dans son rôle habituel d’inhibiteur des systèmes d’information cruciaux 1/ pour la lutte contre le terrorisme et contre la criminalité en général (fraude identitaire), 2/ pour réaliser l’administration électronique et les gains de productivité qui en découlent.

Ziad Takieddine n’avait pas, à l’époque, rendu publique cette dénonciation en règle de ceux qui pointaient alors du doigt les problèmes d’atteintes à la vie privée, et aux libertés, que soulevait ce “programme majeur, le plus important jamais conçu dans l’identification des citoyens en France“.

C’est d’autant plus dommage qu’il nomma le fichier où il prit ainsi la défense de ce fichage en règle de l’ensemble des Français d’un sobre “FICHEZ.doc” (les majuscules sont de lui), comme s’il ne s’agissait pas tant de lutter “contre le terrorisme et la criminalité“, ni de promouvoir “l’administration électronique“, mais bel et bien de “ficher” les Français…

Soulignant que “le ministère de l’Intérieur (…) n’a tout simplement pas la capacité propre de mettre au point et de bien gérer un programme de l’ampleur d’INES, aboutissant à la production d’environ 50 millions de cartes d’identité et de séjour et de 20-30 millions de passeports“, Ziad Takieddine plaidait par ailleurs, dans ce même document, pour “confier la maître (sic) d’œuvre du programme INES à Sagem pour en accélérer la réalisation” :

En confiant la maîtrise d’œuvre du programme INES à Sagem, le ministre de l’Intérieur gagnerait en accélérant son action et en simplifiant ses relations avec les industriels.

En l’espèce, “les industriels” n’étaient pas tous traités à la même enseigne : Takieddine tint en effet à préciser que “les systèmes de personnalisation que Thales avait vendus dans les années 1980-90 (dont celui de l’actuelle carte nationale d’identité) sont techniquement obsolètes“, alors que “parmi les industriels français, Sagem est l’acteur de loin le plus important dans l’identification des citoyens – ayant surtout travaillé au grand export – , le plus qualifié pour la maîtrise d’œuvre et le seul pour la biométrie“.

 

« L’Alliance »

Les poids lourds du secteur avaient pourtant, quelques mois auparavant, signé une paix des braves, afin de se répartir le marché. Le 31 mars 2005, la lettre d’information Intelligence Online révélait en effet que, le 28 janvier précédent, Jean-Pierre Philippe, directeur de la stratégie de EADS Defence and Security Systems, Pierre Maciejowski, directeur général de Thales Security Systems, et Bernard Didier, directeur Business Development de Sagem, avaient signé dans la plus grande discrétion un “mémorandum of understanding” (MOU) les engageant à présenter une offre commune pour bâtir “un grand système d’identité européen” :

Leur objectif est d’obtenir, d’abord auprès du ministère français de l’intérieur, puis dans d’autres pays, une délégation de service public pour mettre en oeuvre – et éventuellement financer – les futures architectures nationales d’identification. La création de ce consortium soulève toutefois quelques vives réactions, notamment parmi les grandes sociétés de services informatiques telles que Atos, Cap Gemini, Accenture, IBM Global Services qui ne veulent pas être exclues d’un marché qui, en France seulement, tourne autour d’un milliard d’euros.

Takieddine ne fut pas particulièrement bien entendu par son ami Claude Guéant, comme le révèle cet autre document, daté de septembre 2005, où il déplore que l’appel d’offres concernant le passeport biométrique, lancé par Bernard Fitoussi, directeur du programme Ines, ait été “dirigé vers THALES en excluant SAGEM“. Evoquant des “discussions avec CG” (Claude Guéant), Takieddine écrivait que SAGEM avait alors décidé de :

Ne pas revoir sa position vis à vis de THALES dans cette consultation parce que cela affaiblirait la position de « l’Alliance » et ne peut conduire qu’à la polémique avec le partenaire, ce qui ne serait pas rassurant pour le Ministère qui souhaite que l’opération se fasse rapidement.

Evoquant le projet INES, Ziad Takieddine estimait alors que “la solution immédiate à apporter sera un partenariat (la co-traitance) entre SAGEM – THALES – l’Imprimerie Nationale, garantissant des prix compétitifs” :

Il faut parvenir à un accord, si ce message est transmis à THALES : c’est gagné.

 

Takieddine soulignait également qu’”il est à craindre que la France prenne une position en recul par rapport aux projets anglais ou espagnol“. De fait, la Grande-Bretagne, dont le Vice-premier ministre (libéral, et de droite) a depuis été élu pour enterrer la société de surveillance, a décidé, en février dernier, d’abandonner purement et simplement son projet de carte d’identité, de détruire, physiquement, les disques durs comportant les identifiants de ceux qui avaient postulé pour en être dotés, et de demander à son ministre de l’immigration d’en publier les preuves sur Flickr, et YouTube :

Après avoir perdu contre Thalès, Sagem se fera ensuite souffler le marché par un troisième concurrent, Oberthur. Mais l’Imprimerie nationale intenta un recours (.pdf), arguant du fait qu’elle seule détient le monopole de la fabrication de titres d’identité. En janvier 2006, l’Imprimerie nationale n’a pas encore emporté le marché, mais Takieddine, dans un troisième document, tente une nouvelle fois de placer son client, évoquant cette fois le risque d’”un conflit social très difficile à gérer, surtout au niveau politique par N. Sarkozy si le ministère persévérait dans son alliance avec Oberthur” :

SOLUTION : le marché est notifié sans appel d’offres (grâce au monopole de l’Imprimerie Nationale) qui s’engage à s’associer au meilleurs des industriels français (SAGEM en premier chef, mais également THALES et OBERTHUR).

Non content de chercher à influencer Claude Guéant, Takieddine se paie également le luxe de proposer de virer le président de l’Imprimerie nationale, et de le remplacer par un certain Braconnier :

Pour s’assurer de la mise en œuvre rapide et efficace de cette solution, il était impératif que le Président actuel de l’Imprimerie Nationale (Loïc de la Cochetière, totalement décrédibilisé par sa gestion de l’affaire), soit révoqué ad-nutum et remplacé par un homme de confiance du Ministère.

Un candidat, crédible et motivé est M. Thierry Braconnier (Groupe Industriel Marcel Dassault) : 12 ans au sein du Groupe Dassault, administrateur de la société nationale de sécurité de l’information Keynectis, qu’il a contribué à créer avec le soutien de l’ensemble du gouvernement (Gilles Grapinet, alors à Matignon et aujourd’hui Directeur de Cabinet de M. Thierry Breton a été l’un des principaux parrains administratifs de la création de Keynectis). Possède un réseau relationnels avec les industriels parmi lesquels SAGEM / THALES / OBERTHUR.

Encore raté : Loïc Lenoir de La Cochetière dirigea l’Imprimerie nationale jusqu’en 2009.

 

Au même moment, Ziad Takieddine travaillait également, pour le compte de Sagem et auprès de la Libye de Kadhafi, sur plusieurs contrats visant à moderniser les Mirage F1 et Sukhoi de l’armée libyenne, à sécuriser les frontières libyennes, mais également à un “programme d’identification des citoyens libyens” (passeport et carte d’identité), comme l’atteste cet autre document :

Sagem Consulting Agreement – Program

 

Contactée, Safran n’a pas été en mesure de nous dire si ces contrats avaient finalement abouti, ou pas.


Photos via Flickr par Dave Bleadsdale [cc-by] et Vince Alongi [cc-by].

Image de Une à télécharger par Marion Boucharlat et Ophelia Noor pour Owni /-)

Retrouvez les articles de la Une “Fichage des gens honnêtes” :

Lobbying pour ficher les bons français
Vers un fichage généralisé des gens honnêtes
Morpho, numéro 1 mondial de l’empreinte digitale

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http://owni.fr/2011/12/20/takieddine-et-safran-fichent-la-france-et-la-libye/feed/ 2
Le droit français tordu pour Kadhafi http://owni.fr/2011/09/28/amesys-libye-kadhafi-droit/ http://owni.fr/2011/09/28/amesys-libye-kadhafi-droit/#comments Wed, 28 Sep 2011 11:02:54 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=81232

Ces dernières semaines, du ministère de la Défense jusqu’à Matignon, personne n’a été en mesure de nous détailler le cadre juridique ayant permis à la société française Amesys de vendre des matériels d’espionnage électronique et de surveillance d’Internet au régime du colonel Kadhafi. En particulier le redoutable système de surveillance Eagle. Des esprits soupçonneux en déduiraient que ces livraisons débordaient largement les cadres juridiques existants. Trois mois après la révélation, par OWNI, de cette transaction, et près d’un mois après que Mediapart et le Wall Street Journal l’ont confirmée, documents à l’appui, on n’en sait pas davantage sur les raisons pour lesquelles Amesys se sentait habilitée à livrer ces matériels, servant à repérer des opposants pour mieux les torturer ensuite.

Dans le seul communiqué publié par Amesys, le 1er septembre, la direction de la communication du groupe Bull, dont Amesys a pris le contrôle l’an passé, affirmait :

Toutes les activités d’Amesys respectent strictement les exigences légales et réglementaires des conventions internationales, européennes et françaises.

Une direction de la communication confiée à la fille de l’actuel ministre de la Défense Gérard Longuet. Le même jour, Christian Paul, député PS de la Nièvre, demandait au gouvernement d’éclaircir le rôle exact “de l’État français dans la vente et l’emploi d’armes technologiques destinées à la surveillance de l’Internet en Libye” :

Si ces technologies avaient été commercialisées sans l’aval officiel de l’État, quelles mesures le gouvernement entend-il prendre pour qu’à l’avenir, elles soient soumises à cette procédure, et ainsi, ne puissent être vendues à des régimes autoritaires ?

Près d’un mois plus tard, le gouvernement n’a toujours pas répondu. Réagissant à une question d’un journaliste du Monde, le porte parole du Quai d’Orsay, le 7 septembre, n’en a pas moins déclaré que “le logiciel Eagle ne [faisait] pas l’objet d’un contrôle à l’exportation, l’État n’a pas de visibilité sur son exportation; nous démentons donc toute implication dans des opérations d’écoute de la population libyenne.”

Le 12, l’association Sherpa annonçait le dépôt d’une plainte contre X, au motif qu’”à ce jour, aucune autorisation du gouvernement n’aurait été délivrée afin de permettre à la société AMESYS de vendre le système de surveillance susmentionné“.

Amesys profite d’un vide juridique

Contactée par OWNI, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), dont le directeur général préside la commission consultativerelative à la commercialisation et à l’acquisition ou détention des matériels permettant de porter atteinte à l’intimité de la vie privée ou au secret des correspondances“, précise qu’elle n’est compétente qu’en matière de fabrication, d’importation, d’exposition, d’offre, de location ou de vente en France, mais pas d’exportation…

Dans son rapport 2010, qui vient tout juste de sortir, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), qui siège dans cette commission, précise de son côté que l’investissement d’entreprises étrangères dans des entreprises de fabrication ou de vente de “matériels conçus pour l’interception des correspondances et la détection à distance des conversations” doit certes faire l’objet d’une autorisation préalable délivrée par la commission. Mais l’exportation de ces mêmes matériels, y compris à des régimes dictatoriaux qui s’en serviraient pour identifier les opposants, ne relève, lui, d’aucun régime d’autorisation préalable.

Joint par OWNI, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), chargé du contrôle des exportations des matériels de guerre, avance pour sa part que le système Eagle n’avait pas besoin d’obtenir l’agrément préalable de la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) chargée, pour le compte du Premier ministre, d’émettre un avis sur l’autorisation, ou non, de ce genre de transactions.

Amesys avait-elle le droit de protéger Kadhafi ?

Le système Shadow de brouillage des télécommunications, qui équipe le 4X4 sécurisé vendu par Amesys, comme l’a expliqué Mediapart, relève bien du matériel de contre-surveillance et de guerre électronique qui ne peut être exporté que s’il est approuvé par la CIEEMG, tout comme Cryptowall, le logiciel de chiffrement des communications qui faisait partie de l’accord qui relève, lui, du “matériel de sécurité (…) utilisant des procédés de chiffrement” visé par la liste. Malgré plusieurs relances, le SGDSN n’a pas été en mesure de nous dire si la CIEEMG avait autorisé, ou non, Amesys à vendre ces produits à la Libye.

Quant au système Eagle d’espionnage de l’Internet, sa livraison au régime du colonel Kadhafi violerait d’autant moins “les exigences légales et réglementaires françaises” qu’il n’en existerait pas vraiment en la matière. Une approche contestable.

La guerre électronique, cœur du métier d’Amesys

L’armement est pourtant le principal secteur d’activités d’Amesys, comme en témoigne sa fiche de présentation sur ixarm.com, le portail des professionnels du secteur.

Le document (.pdf) visé par l’Autorité des marchés financiers (AMF) qui détaillait l’”apport en nature” qui a permis à Crescendo Industries, la holding contrôlant Amesys, de prendre le contrôle de 20% du capital de Bull — et donc de placer Philippe Vannier, le créateur d’Amesys, à la tête de Bull —, précise de son côté que l’objet social de l’entreprise est l’”l’étude, la fabrication, le négoce, la maintenance de tous matériels électriques, électroniques de guerre, de combat et de défense” et que son “portefeuille d’activités” recouvre essentiellement des produits destinés à la Défense et Sécurité :

contrôle des communications, systèmes d’information gouvernementaux, équipements de guerre électronique, traitement du signal pour la guerre électronique, cryptographie…

Initialement spécialisée dans la guerre électronique, la société s’est diversifiée dans les technologies à usage dual, comme l’expliquait (.pdf) en 2009 Philippe Vannier, son PDG:

Les applications civiles appuyées sur notre expérience des systèmes militaires nous ont (…) permis de réaliser, de 2004 à 2008, une croissance organique annuelle moyenne de 27 %. Les chiffres le montrent. En 2004, la défense pure représentait 18 millions d’euros, soit 60 % de notre chiffre d’affaires, tandis que la part de la sécurité était faible. En 2008, 80 % de nos 100 millions d’euros de chiffre d’affaires se répartissent à parts égales entre les deux domaines : 40 millions pour la défense et 40 millions pour la sécurité.

Philippe Vannier qualifiait par ailleurs de “très lourds” les procédures et circuits à suivre pour obtenir l’autorisation d’exportation de matériel sensible :

En outre, au sein de l’Europe, les règles et les critères d’exportation ne sont pas homogènes. En France, avant de faire une offre, il faut obtenir des autorisations d’une commission interministérielle, ce qui dure souvent deux à trois mois. Les concurrents étrangers nous prennent de vitesse en faisant d’abord l’offre, puis en demandant l’autorisation. Nous pouvons aussi nous voir refuser une exportation sur un type de matériel autorisé en Allemagne ou en Angleterre. C’est choquant.

Le même n’en avait pas moins réussi à vendre en 2007 à la Libye son “Homeland Security Program“, pour 26,5 millions d’euros… A la décharge d’Amesys, ce contrat avait, selon les documents rendus publics par Mediapart, été conclu à la demande de Nicolas Sarkozy, avec l’appui de Claude Guéant et Brice Hortefeux, et grâce aux bons soins du sulfureux intermédiaire et marchand d’armes Ziad Takieddine, dont le nom est mêlé à des scandales politico-financiers et qui, pour le coup, a touché d’I2E (devenu, depuis, Amesys) la bagatelle de 4,5 M€.

BEN Marine, filiale d’Amesys spécialisée dans les instruments de navigation maritime civils et militaires et présentée comme “la clé du succès de la société Amesys International“, se vante ainsi d’avoir une activité commerciale soutenue en Arabie Saoudite ou au Pakistan. Des territoires qui passionnent les enquêteurs financiers en charge de reconstituer les circuits occultes empruntés par d’autres industriels français de l’armement.


Illustrations et photos via Flickr : Ssoosay [CC-BY] ; Creativity103 [CC-BY] ; SFBrit [CC-BY-ND]

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http://owni.fr/2011/09/28/amesys-libye-kadhafi-droit/feed/ 11
Écoutes en Libye : Défense de communiquer http://owni.fr/2011/09/01/ecoutes-en-libye-defense-de-communiquer/ http://owni.fr/2011/09/01/ecoutes-en-libye-defense-de-communiquer/#comments Thu, 01 Sep 2011 17:13:13 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=77790 L’implication d’une entreprise française, Amesys (rachetée par Bull en 2010), dans la surveillance généralisée des télécommunications libyennes, a successivement été démontrée par OWNI en juin dernier, puis, cette semaine, par le Wall Street Journal (WSJ), la BBC et, enfin, le Figaro. Mais les responsables d’Amesys et de Bull refusent de répondre à nos appels téléphoniques, et ils n’ont toujours pas réagi officiellement. Les sites web d’Amesys et de Crescendo Industries -la holding qui chapeaute Amesys, et qui détient 20% des actions de Bull-, par contre, ont brusquement été fermés mardi dernier, au lendemain de la publication de l’article du WSJ.

La personnalité et les CV des responsables de Bull qui, normalement, seraient habilités à s’exprimer à ce sujet, ne sont peut-être pas étrangers à ce silence. Tiphaine Hecketsweiler, embauchée en tant que directrice de la communication du groupe Bull en janvier 2011, est en effet la fille de Gérard Longuet, lui-même nommé ministre de la défense en février 2011… Elle était précédemment consultante associée à Image7, la célèbre société de conseil en communication d’Anne Méaux, elle-même proche de Gérard Longuet, qu’elle avait rencontré au début des années 70 au sein du Groupe union défense (GUD, organisation d’extrême-droite particulièrement active dans les années 70), puis au Parti Républicain (qui permit à nombre d’anciens militants d’extrême-droite d’entrer dans l’arène politique “classique“).

De son côté, Philippe Vannier, le PDG de Bull, était précédemment président du directoire de Crescendo Technologies, la holding qui avait repris I2E, devenu Amesys. Au moment de son rachat, pour environ 105 millions d’euros, son chiffre d’affaires, en progression de 25% en 5 ans, n’était que de 100 millions d’euros, soit 11 fois moins que celui de Bull. Mais l’acquisition d’Amesys s’était traduite par une augmentation de capital de Crescendo Industries, conférant à cette dernière 20% des parts de Bull. Devenu actionnaire majoritaire, loin devant France Telecom (8%), Crescendo avait dès lors pu placer Philippe Vannier à la tête de Bull.

En annonçant le rachat d’Amesys, Bull déclarait avoir “pour ambition de construire le leader européen dans le domaine des systèmes de traitement de l’information et des communications critiques et hautement sécurisées“, tout en vantant le fait qu’Amesys était positionnée sur des niches technologiques à forte valeur ajoutée allant de l’”intelligence stratégique par l’interception et l’analyse du signal” à la guerre électronique en passant par des “solutions pour la sécurité intérieure et le contre-terrorisme (ex : surveillance du trafic IP, géolocalisation)” ou encore la vidéosurveillance dans les métros, ainsi que l’“Infotainment” via la diffusion de vidéos en ligne dans les trains (les deux utilisent les mêmes câbles et technologies, NDLR).

Non content d’impliquer, politiquement, l’Elysée et le ministère de la défense, il en va aussi de la stratégie de souveraineté de la France : le 4 août dernier, le Fonds stratégique d’investissement (FSI), créé en 2008 pour aider les entreprises jugées stratégiques, annonçait en effet son entrée au capital de Bull, à hauteur de plus de 5%. Un sens du timing qui fait rêver.

Bull, au coeur du complexe militaro-industriel français

Fin mai, le site reflets.info s’interrogeait sur l’utilisation, et les clients, du système Eagle/Glint d’Amesys, un produit d’écoute « nationwide » qui, couplé à un système d’archivage en petaoctets permet d’intercepter et de stocker des volumes incroyables de données, IP, GSM satellitaires…:

Quel type de pays peut bien s’intéresser à cette problématique singulière qu’est « comment écouter tout le monde »? Se pourrait-il que ce genre de produits puisse faire le bonheur de certaines dictatures ? Et si c’était le cas … Est-il possible que les autorités françaises ne soient pas au courant de la vente de tels équipements ? Il est évident que non.

En juin dernier, OWNI révélait que, de fait, Amesys avait bien vendu aux autorités libyennes son “système d’interception électronique permettant à un gouvernement de contrôler toutes les communications qu’elles entrent ou sortent du pays“, une information confirmée, mardi dernier, par le Wall Street Journal et par cette vidéo de la BBC, qui ont pu visiter l’un des centres d’interception des télécommunications libyens.

Ce jeudi, Le Figaro révèle de son côté que des fonctionnaires de la Direction du Renseignement Militaire (DRM) ont travaillé, dès juillet 2008, aux côtés des ingénieurs d’Amesys, pour former policiers, militaires et services de renseignement libyens au déploiement de ce système Eagle de mise sur écoute de l’ensemble du pays :

La Libye fournissait alors un laboratoire intéressant puisqu’elle allait permettre à Bull de tester son système sans limite, sur un pays de plusieurs millions d’habitants. « Nous avons mis tout le pays sur écoute, explique notre interlocuteur. On faisait du massif: on interceptait toutes les données passant sur Internet: mails, chats, navigations Internet et conversation sur IP. »

Le Figaro précise par ailleurs que l’interlocuteur des militaires français et des cadres de Bull, celui qui “négociait les fonctionnalités du produit et qui nous donnait des directives“, n’était autre qu’Abdallah Senoussi, beau frère de Kadhafi et chef des services secrets libyens, également connu pour avoir été condamné par contumace pour son implication dans l’attentat du vol 772 d’UTA dans lequel périrent en 170 personnes en 1989.

Le journaliste du Figaro conclue étrangement son article en précisant qu’”une version du logiciel Eagle, conforme à la loi, est utilisée en France depuis 2009“. On sait que les services de renseignement français disposent de capacités d’interception des télécommunications, notamment au travers du système surnommé Frenchelon, mis en oeuvre par la DRM et la DGSE. Reste à savoir ce que signifie l’expression “conforme à la loi“, dès lors que les services de renseignement ont précisément pour vocation de pouvoir faire ce que la loi n’autorise pas…

Etrangement, i2e, devenu Amesys en 2006, avait précédemment vendu à la Libye, en avril 2006, un système de chiffrement des télécommunications, Cryptowall, afin d’échapper… aux “grandes oreilles” d’Echelon, le système américain d’interception des télécommunications. L’information avait été révélée, fin août, par Médiapart, qui précisait que la vente avait été cautionnée par la place Beauvau (du temps où Nicolas Sarkozy et Claude Guéant étaient au ministère de l’Intérieur) et la présidence de la République, et obtenue grâce à l’intermédiaire libanais Ziad Takkiedine qui, pour cela, aurait touché, en violation de la loi, près de 4,5 millions d’euros de commissions.

D’après nos informations, le code source du logiciel était en fait modifié, par un fonctionnaire du ministère de la Défense, de sorte que son algorithme de chiffrement soit amoindri. Objectif : permettre aux services français de déchiffrer les messages soit-disant résistants aux grandes oreilles américaines… Reste à savoir en quelle mesure le déploiement du système Eagle/Glint d’interception de l’ensemble des télécommunications libyennes n’a pas, lui aussi, facilité le placement sur écoute des Libyens par la France et, partant, les opérations militaires de l’OTAN visant à libérer la Libye.

Reste enfin à savoir, comme l’a plusieurs fois souligné Reflets.info, suivi en cela par Christian Paul, dans une question parlementaire posée ce jeudi, sur quelles bases juridiques les autorités françaises ont ainsi autorisé l’exportation de ces outils. Pour le député socialiste, elle devrait « à l’évidence être soumise au contrôle et à l’autorisation des autorités françaises, car ils sont assimilables à des armes technologiques ».


MaJ : dans un communiqué, mis en ligne ce jeudi vers 20h, la direction de la communication d’Amesys précise que le “matériel d’analyse” qu’elle a livré aux autorités libyennes en 2008 ne portait que sur “une fraction des connexions internet existantes, soient quelques milliers” et qu’il n’incluait “ni les communications internet via satellite – utilisées dans les cybercafés- ni les données chiffrées -type Skype- ni le filtrage des sites web (et que) le matériel utilisé ne permettait pas non plus de surveiller les lignes téléphoniques fixes ou mobiles” :

Toutes les activités d’Amesys respectent strictement les exigences légales et réglementaires des conventions internationales, européennes et françaises. Amesys n’opère aucun centre d’écoute téléphonique ni internet à aucun point du globe.

OWNI n’a jamais écrit qu’Amesys surveillait les appels téléphoniques fixes, mobiles pas plus que les connexions satellites, ni qu’elle opérait elle-même un centre d’écoute. Contacté par OWNI, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) confirmait la nécessité d’une autorisation de la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériel de guerre (CIEEMG) pour les produits de guerre électronique, tout en affirmant ne rien savoir de cette affaire…

Pendant des années, les logiciels de chiffrement ont été considérés, en France, comme des armes de guerre” et, à ce titre, interdit à l’exportation. Reste donc à savoir quel régime juridique régit l’exportation des outils de surveillance, d’analyse et d’interception des télécommunications.

MaJ du 02/09 : le communiqué d’Amesys a disparu… vous pouvez en retrouver une copie sur cette page.


Retrouvez nos autres articles sur ce sujet:

La Libye sur écoute française

La preuve du double jeu de la France en Libye

Pour nous contacter, de façon anonyme et sécurisée, en toute confidentialité, n’hésitez pas à utiliser le formulaire de privacybox.de : @owni, et/ou @manhack et/ou @oliviertesquet. Si votre message nécessite une réponse, veillez à nous laisser une adresse email valide (mais anonyme).

Voir aussi « Gorge profonde: le mode d’emploi » et « Petit manuel de contre-espionnage informatique ».

Crédits photo: Flickr CC binnyva.

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http://owni.fr/2011/09/01/ecoutes-en-libye-defense-de-communiquer/feed/ 13
Tribune : Internet, notre dernier espace de liberté http://owni.fr/2009/09/15/tribune-internet-notre-dernier-espace-de-liberte/ http://owni.fr/2009/09/15/tribune-internet-notre-dernier-espace-de-liberte/#comments Tue, 15 Sep 2009 07:54:44 +0000 Guillaume Champeau http://owni.fr/?p=3625 Jérôme Bourreau-Guggenheim, licencié de TF1 pour avoir fait connaître à sa députée UMP son hostilité personnelle à la loi Hadopi, a choisi Numerama pour publier cette tribune qui est à la fois une charge contre le traitement que réserve le gouvernement à Internet, et un message d’espoir et de solidarité pour ceux qui souhaitent défendre un internet libre et porteur d’avenir :

A la veille de la reprise des débats parlementaires sur le projet de loi HADOPI 2, de nombreuses personnalités politiques ainsi que certains représentants du monde de la culture, se sont exprimés une nouvelle fois pour caricaturer les opposants au projet de loi. Leurs déclarations offensent l’ensemble d’une génération pour qui Internet est avant tout un formidable outil de communication et de participation à la vie publique.

La récente polémique sur les propos controversés du ministre de l’intérieur, tenus le 5 septembre dernier à l’Université d’été de l’UMP, révèle le mal aise de la classe politique, et tout particulièrement de la majorité présidentielle, face à ce média rebelle qu’est Internet, le dernier espace de critique de l’action gouvernementale. Lundi matin, invité sur France 2, Jean François Copé, président du groupe UMP à l’Assemblée Nationale, réaffirmait sa volonté de réguler le net au prétexte de défendre la liberté… un comble ! La veille, c’est Henri Guaino, la plume du président de la République, qui affirmait au micro de France Info que « la transparence absolue, c’est le totalitarisme ». Nous pourrions longuement discuter sur la sémantique de cette affirmation au risque de tomber dans l’absolutisme. Ce n’est pas la transparence en tant que telle qui compte car être transparent ne signifie pas nécessairement être clair, ni être compris.

L’exécutif doit avant tout veiller à ouvrir et nourrir des débats publics en fournissant à tout un chacun les moyens, les capacités réelles, d’intervenir efficacement et de s’investir dans la vie politique telle que l’exige sa fonction de citoyen. Mais tout cela est le signe de leur fascisme rampant, de la dictature joviale du corporatisme.

Les masques tombent : sous couvert de défendre les intérêts des artistes qui seraient spoliés par le téléchargement illégal (en fait les rentiers du système), le gouvernement montre son vrai visage, et abat ses cartes d’une stratégie de répression massive de la liberté d’expression des internautes. La transparence est pour eux l’ennemi de la liberté (!) et Internet, « le tout à l’égout de la démocratie » comme l’a déclaré sans retenue Denis Olivennes, le rédacteur du rapport éponyme qui a inspiré la loi.

Que dire également des propos tenus par Christophe Lameignère, PDG de Sony France et président de la SNEP, qui assimile les internautes à des collabos (ndlr des nazis), à des « voleurs à la petite semaine qui n’ont aucun courage », « des gens qui sont dans le principe de la dénonciation » ?

Le piratage d’un courriel privé entre un citoyen et sa députée est l’exemple prématuré de ce qu’il est à craindre d’une surveillance des communications électroniques, généralisée et automatisée, qui fera de chaque internaute et de chaque citoyen, un suspect, un terroriste. Le monde de la politique est beaucoup plus cruel qu’on ne l’imagine. Cette affaire scandaleuse, qui a choqué des millions de français, suffit à elle seule, à montrer que les délateurs, ceux qui n’ont aucun courage ni aucune morale, sont bien les instigateurs de cette loi liberticide. Ils n’ont eu de cesse de censurer le débat démocratique, de réprimer fortement les «mal-pensants» et de faire taire tous ceux qui proposent des solutions alternatives, constructives et ambitieuses pour le financement de la création sur Internet.

Qu’importe que la loi HADOPI soit inefficace, qu’elle remette en cause le principe de la présomption d’innocence, qu’elle fausse la libre concurrence du marché et qu’elle soit massivement rejetée par les internautes, le gouvernement s’entête. Il n’y a aucun doute, avec cette loi, et celles qui la suivront, la France est en passe de rejoindre l’Iran, la Chine, la Biélorussie, la Libye et de bien d’autres régimes autoritaires qui redoutent la transparence, et occultent la vérité. Le contrôle des médias est la clé du pouvoir, et comme l’a déclaré le président de la République devant le congrès de Versailles au mois de juin dernier : « J’irai jusqu’au bout ».

Les mois à venir seront déterminants, il est plus que jamais tant de réagir et d’élever notre voix pour défendre nos libertés avant qu’il ne soit trop tard. Les médias, les artistes et toutes les forces démocratiques de notre pays ne doivent pas succomber à la pensée unique, nier l’évolution technologique et se faire les complices de ce viol, au risque de porter une lourde responsabilité dans la dérive totalitaire qui nous menace. Il faut lutter ensemble contre la corruption structurelle qui accompagne, dans tous les États du monde, le pouvoir.

Très loin d’anéantir les artistes, Internet est une occasion extraordinaire de stimuler la démocratie en encourageant la diversité et la richesse de la création. Les moyens de la financer, de donner une juste rétribution aux créateurs, existent, il suffit de les mettre en oeuvre.

Internet est une bibliothèque universelle, la source inépuisable du savoir et des connaissances accessible à tous. C’est également le vecteur des libertés, de l’expression des opinions, le point commun entre 1,4 milliards d’internautes, le reflet de la société contemporaine. La révolution numérique a donné aux citoyens les moyens de participer au débat public, de travailler ensemble pour faire face aux défis de la pauvreté, du changement climatique et de l’économie. Nous vivons un moment unique dans l’histoire de l’humanité, celui de créer une véritable société mondiale.

C’est notre devoir de protéger et de transmettre aux générations futures, l’immense espoir que représente Internet, celui de construire un monde meilleur.

Jérôme Bourreau-Guggenheim
Web entrepreneur, anciennement responsable du Pôle Innovation de TF1

> Article diffusé sous licence Creative Common by-nc-nd 2.0, écrit par la rédaction pour Numerama.com

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