OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 L’Ecoterrorisme débarque en Europe http://owni.fr/2012/06/26/lecoterrorisme-debarque-en-europe/ http://owni.fr/2012/06/26/lecoterrorisme-debarque-en-europe/#comments Tue, 26 Jun 2012 12:25:31 +0000 Florian Cornu http://owni.fr/?p=113975

Aujourd’hui, aux États-Unis, le simple fait de filmer, de photographier ou de faire un enregistrement dans une ferme ou une entreprise animale pour une utilisation politique peut constituer un délit relevant de l’écoterrorisme.

En 2001, Jeff Luers est condamné à 22 ans de prison  pour avoir brûlé  trois voitures de sport chez un concessionnaire automobile dans le but d’attirer l’attention sur la consommation excessive de pétrole. Il sera relâché au bout de 10 ans.

Mai 2008, Eric McDavid est condamné à 20 ans de prison pour complot visant à saboter les installations fédérales (antennes relais téléphoniques et autres) au nom de l’environnement.

Aucun mort dans ces actions. Les condamnations de ce type se comptent par dizaines. Michael Hough, directeur de la section justice criminelle et sécurité intérieure au FBI estime que les actions d’écoterrorisme ont entraîné plus de 200 millions de dollars de dégâts entre 2003 et 2008. Apparue au Royaume-Uni dans les années 70, la notion d’écoterrorisme est arrivée aux États-Unis dans les années 80. Elle est devenue, en l’espace de deux décennies, une expression utilitaire bâtarde, emblématique de l’Amérique sécuritaire post-11 septembre.

L’expression écoterrorisme était initialement utilisée pour désigner une minorité d’activistes environnementaux et de défense des animaux. Malgré leur caractère non violent revendiqué, ces derniers utilisaient des techniques de protestations potentiellement dangereuses pour la vie humaine: techniques de “tree spiking” pour empêcher les exploitants  de couper les arbres, incendies, bombes artisanales, etc.

Les États-Unis s’attaquent déjà aux activistes des droits des animaux en 1992 par le biais d’un Acte de protection des sociétés animales condamnant les militants à de lourdes amendes. Puis, c’est dans le contexte d’une Amérique meurtrie par les événements des tours jumelles et avec le vote du Patriot act, que l’expression écoterroriste va progressivement se généraliser jusqu’à concerner n’importe quel activiste environnemental causant des dégâts matériels.

En 2002, le FBI envoie un rapport au congrès américain intitulé “La menace de l’écoterrorisme” (The threat of ecoterrorism), stipulant qu’il s’agit de la plus grande menace terroriste aux États-Unis. Il définit l’écoterrorisme comme:

L’utilisation ou la menace d’utilisation de la violence de nature criminelle contre des personnes ou des biens par un groupe environnemental, infra-national pour des raisons politico-environnementales, ou destiné à un public au-delà de la cible visée, souvent de nature symbolique

Le glissement sémantique et symbolique élevant l’attaque contre des biens au rang du terrorisme est définitivement franchi en 2006, lorsque le Congrès américain vote sa première loi sur l’écoterrorisme. Il classifie dès lors certains actes de résistance passive tels que le blocus, la violation de frontières, l’atteinte à la propriété privée ou la libération d’animaux comme des actes “terroristes”, les mettant sur le même plan d’égalité que des attentats à la bombe, des agressions racistes ou encore des tueries à l’arme à feu.

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La loi annonce également que plus les dégâts matériels sont élevés, plus la peine de prison sera lourde. Jusqu’à 5 ans pour moins de 10 000 dollars, jusqu’à 20 ans si les pertes dépassent un million de dollars. Loin de rester lettre morte, les condamnations pour écoterrorisme vont alors tomber en cascade.

Will Potter, journaliste américain indépendant auteur d’un ouvrage consacré à la question, Green is the new red (“Les verts sont les nouveaux rouges”, allusion à l’ex-menace communiste) montre qu’il y a depuis une trentaine d’années un retour progressif de la rhétorique et des enquêtes relatives au terrorisme. C’est ce qu’on appelle désormais communément la “peur verte“.

Si ce type de langage était initialement réservé à des crimes contre des biens ou du harcèlement essentiellement effectués par le Front de libération des animaux et le Front de libération de la planète, cette législation a étendu sa classification du terrorisme.

Loin de n’être qu’une lubie sécuritaire américaine, l’écoterrorisme est devenu un appareil législatif hautement répressif qui semble avoir été repris pour la première fois dans des textes européens en 2003. C’est cependant depuis 2008 qu’Europol, le bureau de police criminelle intergouvernemental consacre une place à l’activisme environnemental dans son rapport sur le terrorisme.

Le terrorisme sauce Europol

Le rapport souligne qu’aucune attaque terroriste ou arrestation liée aux droits des animaux n’a été rapportée par les États membres en 2011 mais qu’un grand nombre d’incidents ont été signalés par la France, l’Italie, les Pays Bas, le Royaume-Uni et l’Irlande.

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Par ailleurs, une analyse des informations publiques mises à disposition par les États montre qu’un grand nombre d’incidents ne sont jamais signalés à l’Union Européenne.

L’office précise que les activités menées par les extrémistes des droits des animaux et de l’environnement utilisant la violence regroupent aussi bien “des actes de vandalisme de faible niveau (tags, détérioration de serrures, etc.) que des actes de destruction avec usage de matériel incendiaire et dispositifs explosifs improvisés”.

Si l’on en croit le rapport, l’industrie pharmaceutique a rapporté 262 incidents dans le monde en 2011. La majorité des attaques  visaient des laboratoires, des écoles et cliniques procédant à des tests sur les animaux pour des produits alimentaires, cosmétiques ou médicinaux.

Viennent ensuite des sociétés variées liées à ces enjeux : des institutions bancaires qui financent ces recherches, des sociétés qui développent des nanotechnologies, une compagnie aérienne ayant organisé des transports d’animaux entre différents labos, ou encore des fast foods…

En France, le rapport pointe du doigt des protestations contre la construction de deux aéroports qui ont tourné à une escalade de violences causant 8 blessés du côté des forces de l’ordre. Il relate également des protestations contre la construction de la ligne de train à grande vitesse Lyon_Turin. Les analystes avancent par ailleurs que l’utilisation de l’énergie nucléaire reste une question centrale pour les groupes écologistes extrémistes qui continuent les actions traditionnelles contre le transport des déchets radioactifs entre États membres.

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Malgré le faible nombre d’incidents majeurs dont le rapport rend compte, c’est bien l’argument économique qui est souligné pour justifier la lutte contre ces groupes ainsi que leur potentiel rapprochement avec des groupes d’extrême gauche. On peut en effet lire que ces incidents causent des millions d’euros de dommage aux compagnies et institutions impliquées dans ces activités. Le rapport précisant que “des individus liés à ces entreprises, ou parfois même des personnes aléatoires sont ciblées comme victimes”

D’après Europol et malgré l’absence  de prototype de groupes ou d’acteurs extrémistes liés à une cause politique environnementale, certaines caractéristiques générales permettent de dégager un “portrait” de l’écoterroriste européen:

La majorité sont relativement jeunes et peuvent être trouvés dans des groupes idéalistes, souvent relativement défavorisés, des jeunes qui ne sont pas d’accord avec certaines tendances à l’oeuvre dans la société et qui, par <conséquent cherchent à atteindre leurs objectifs grâce à l’action violente. Ces groupes tendent à avoir des similarités avec des groupes d’extrême gauche, c’est peut-être une explication de leur coopération grandissante. Ils continueront à attirer des individus radicaux qui sont prêts à utiliser des tactiques violentes. Le professionnalisme et les compétences élevées des membres de ces groupes, tout comme l’usage d’Internet pour le recrutement et la propagande augmente la menace qu’ils constituent

Libérer des visons est un acte terroriste

Le 22 juin 2011, la police espagnole arrêtait 12 activistes membres des organisations Igualdad animal, Animalequality et Equanimal dans une série de raids simultanément organisés dans différentes régions du pays. Le coup de filet avait été commandité par le juge du tribunal de première instance de Santiago de Compostela, suite à la libération de 20 000 visons d’une ferme d’élevage pour fournir le marché de la fourrure.

Si les libérations massives de visons n’ont jamais fait partie des revendications des deux ONG, elles avaient publié peu de temps avant les arrestations des informations compromettantes sur les fermes d’élevage de visons. Les activistes suspectés ont été accusés d’atteinte à l’ordre public, de conspiration, d’association illicite  et de crime contre l’environnement.

Dans des déclarations faites à l’agence d’information Europa Press, le 23 Juin, le juge avançait que les actes des militants arrêtés relevaient de “l’écoterrorisme” et non de l’écologie. Il ajoutait qu’ils provoquaient la terreur et que certaines fermes avaient été contraintes de fermer à la suite de ces actions.

D’après les inculpés, la procédure a échappé à de nombreuses règles de droits fondamentaux notamment durant l’investigation. A titre d’exemple, le maintien en détention des militants (plus de 20 jours pour trois d’entre eux) après leur arrestation était anticonstitutionnel. Plus d’un an après les faits, les inculpés sont toujours dans l’attente d’un procès. (mis à jour le 28 Juin)

C’est un cas similaire encore plus grave qui s’est déroulé en Finlande en 2009. En décembre, de nombreux médias finlandais divulguaient des vidéos et des photos prises légalement pendant deux mois par Justice for Animals ,le principal groupe de défense des droits des animaux du pays, lors de visites dans 30 fermes d’élevage porcin.

Les vidéos (voir ci-dessous, attention la vidéo peut choquer) rendent compte de porcs malades, blessés et en piteux état.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Si diverses autorités du pays liées à l’agriculture avaient promis d’enquêter sur ces révélations, l’affaire prit un tournant improbable deux ans plus tard. En octobre 2011, alors que les fermiers étaient mis hors de cause, deux activistes qui avaient pris part au tournage des vidéos étaient inculpés pour 10 cas d’entrave à la paix et 12 cas de diffamation aggravée.

Les accusations ne s’arrêtaient pas là puisque le bureau du procureur réclamait à l’époque une peine de détention ferme pour le premier militant et une condamnation avec sursis pour la deuxième. En outre, on exigeait des deux activistes ainsi que de deux membres d’une association de soutien à l’organisation Oikeutta eläimille, 180 000 euros de dommages et intérêts. Cette association avait eu le malheur de proposer sur son site le lien vers les vidéos filmées dans les fermes, comme la majorité des sites de médias finlandais à l’époque…

Après une forte mobilisation de soutien et une large couverture médiatique, les activistes ont finalement été acquittés.

Incarcérés pour activisme suspect

Enfin c’est sans doute l’Autriche qui a connu l’un des pires épisodes en matière de procès écoterroriste.

Malgré sa réputation de pays progressiste en matière de droits des animaux, (voir la loi de 2004 sur le sujet) le pays a connu de 2008 à 2011 une affaire judiciaire visant des activistes environnementaux accusés de “terrorisme”.

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En 2007, suite à de nombreux rassemblements et actes de vandalisme sur des magasins de fourrure, deux responsables de la société concernée rencontrent des haut cadres de la police ainsi que le ministre de l’Intérieur. La réunion acte la création d’une unité spéciale d’investigation visant à infiltrer les organisations de défense des animaux pour mieux les connaître.

Durant l’année suivante, les membres de ces organisations sont ainsi espionnés : écoutes téléphoniques, interceptions d’e-mails, traceurs dans leurs voitures, leurs bureaux et jusque dans leur propre domicile. Des agents en civil infiltrent également les ONG pour observer leurs pratiques.

L’affaire prend corps le 21 Mai 2008, lors d’une opération de police organisée à l’échelle nationale. 23 locaux sont perquisitionnés et dix personnes liées à la protection animale (personnes travaillant dans des refuges, enseignants du bien-être animal et organisateurs de campagnes de sensibilisation publiques) sont arrêtées. Les forces de l’ordre défoncent les portes des appartements et locaux visés et rentrent armes au poing.

Les activistes, parmi lesquels figure Martin Balluch, ancien assistant de recherche à l’Université de Cambridge, sont mis en détention provisoire. Quatre d’entre eux y resteront trois mois sans parvenir à savoir précisément les chefs d’accusation pour lesquels ils sont détenus.

Les vilains terroristes se rebellent

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Il faudra trois ans et deux requêtes rejetées par la police avant que la juge en charge du dossier ne rende publique la non conformité des procédures policières et l’absence de preuves avérées quant à la construction ou le soutien à une organisation criminelle.

La raison pour laquelle les dix activistes ont été inculpés sans preuves réside dans un certain nombre de rapprochements établis entre eux et des coupables non identifiés, suspectés d’avoir commis des dommages matériels, des attaques au gaz et une menace à la bombe.

C’est sur cette base, et par un tour de force juridique, que les membres sont suspectés d’être liés à une organisation criminelle. C’est également par ce biais que des activités qui rentrent normalement dans le cadre d’actions d’ONG légales (filmer les conditions des animaux dans les fermes, organiser des manifestations, conférences et ateliers, stocker des tracts contre la chasse ou discuter des stratégies de campagne de communication) sont devenues des preuves, relevant du terrorisme.


Photo par JDHancok [CC-by]

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Grand prix de la répression http://owni.fr/2012/06/19/quebec-canada-manifestations-prix/ http://owni.fr/2012/06/19/quebec-canada-manifestations-prix/#comments Tue, 19 Jun 2012 13:03:10 +0000 Anaïs Richardin http://owni.fr/?p=113618

Police montée québécoise. Photo Xddrox

Lors du Grand prix de Formule 1 qui s’est tenu dimanche 10 juin à Montréal, les dispositifs policiers ont été renforcés pour tenir les manifestants à distance du lieu de l’événement et éviter toute perturbation. Protestant contre la hausse programmée des frais de scolarité et contre la liberticide loi 78 limitant leur droit de manifester, de nombreux contestataires mais aussi citoyens lambda se sont vu interdire l’accès à certaines stations de métro ainsi qu’au parc jouxtant le circuit. En un week-end, 139 personnes ont ainsi été arrêtées, dont 34 pour la seule journée du dimanche 10 juin. Sans compter le nombre de personnes gentiment -mais fermement- reconduites au métro par une escorte policière.

Depuis l’arrêt des négociations entre le gouvernement Charest et les associations étudiantes le 31 mai, le conflit s’enlise. Certains manifestants s’étaient donné rendez-vous dimanche pour tenter de perturber le trafic en utilisant la ligne jaune du métro desservant le lieu du Grand Prix.

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Profilage politique

Une tentative de manifestation contrée par la police qui a employé les grands moyens pour évacuer les jeunes du métro et du parc Jean Drapeau. Depuis, les témoignages de cette journée circulent massivement sur internet laissant penser que les agents du Service de police de la ville de Montréal (SPVM) étaient à l’affut de toute personne arborant le symbole de la contestation : un carré rouge, ou un quelconque accessoire du kit du manifestant comme des lunettes de ski (permettant de marcher incognito sans pour autant contrevenir au règlement de la ville de Montréal qui interdit de manifester le visage couvert) un sac à dos, ou même le roman 1984 de George Orwell. De nombreuses personnes dénoncent dans la méthode d’arrestation un profilage politique. Une accusation réfutée par le directeur de la police de Montréal Marc Parent lors d’une conférence de presse lundi 11 juin :

Des usagers du métro se sont fait demander qu’on puisse fouiller leurs sacs. Il y en a eu une cinquantaine. La moitié ou plus n’avait pas de carré rouge. Et certains qui avaient un carré rouge sont entrés sur le site. Il n’y avait pas de fouille et d’intervention systémique sur les gens au carré rouge.

Nous nous sommes entretenus avec Ian Lafrenière, porte-parole du Service de police de la ville de Montréal (SPVM) qui conteste également cette version des faits :

Les personnes arrêtées de manière préventive sont des gens reconnus comme ayant participé à des manifestations violentes. Sur 180 000 personnes ce jour-là, seules 34 ont été arrêtées. Et sur les 250 000 personnes qui ont transité par le métro, seules 50 ont été dirigées vers la sortie.

Louve PB, de son vrai nom Virginie Bergeron, réfute ce motif d’arrestations. Dans un témoignage publié sur sa page Facebook, elle raconte avoir pris le métro pour se rendre au parc, sans porter de carré rouge, afin de passer inaperçue :

J’avais décidé de ne pas porter de carré rouge. Ni noir. En fait j’avais mis ce que j’avais apporté de plus candide. Une petite robe bleue et des sandales lacées. J’avais mon sac à dos rouge.

Tentative avortée, elle est arrêtée au bout de quelques minutes dans le métro. Escortée par les policiers, elle est alors obligée de prendre une rame en sens inverse pour retourner dans le centre de Montréal, où un comité d’accueil policier l’attend là aussi :

Une policière nous attend et nous dit que si on nous revoit dans une sation de métro, on va être arrêtés.

Pour la jeune femme, le profilage est donc bien réel, toute personne jeune arborant la couleur rouge et n’ayant pas de billets pour le Grand prix étant d’emblée déclarée persona non grata :

De ce que j’ai vu, les gens comme moi se faisaient arrêter à tout vent, on ne m’a jamais demandé de m’identifier. Du moment que j’ai dit que je n’avais pas mes billets je n’avais “pas d’affaire là” (rien à faire là, NDLR) et j’étais évacuée comme si j’avais commis une infraction

Deux journalistes qui étaient ce jour-là en immersion, portaient chacun une pièce de couleur rouge ainsi qu’un foulard et un sac à dos, laissant penser qu’ils étaient manifestants. À peine arrivés dans le métro, des agents demandent à fouiller leurs sacs mais les laissent monter dans la rame. Arrivés au parc du Grand prix, ils rebroussent chemin devant la forte présence policière mais se font arrêter avant de pouvoir regagner la bouche la plus proche, alors qu’ils discutent avec François Arguin, un citoyen qui filme, dit-il, toutes les manifestations. Ils racontent leur périple dans un article paru sur le devoir.com :

Deuxième fouille, donc, en moins de quinze minutes. Un groupe d’agent est formé autour de Raphaël Dallaire Ferland et Catherine Lalonde, un autre autour de François Arguin. Ils sont, en tout, seize agents pour trois individus. L’attitude, pour la même intervention, est beaucoup, beaucoup plus nerveuse que celle adoptée par les agents qui patrouillaient le métro. Les journalistes coopèrent, mais retournent une question pour chacune qu’on leur pose. Pourquoi nous fouiller? “Parce que vous arborez un signe révolutionnaire”, répondra un agent, visiblement excédé, “pis parce que je suis tanné du monde comme vous.”

Menaces fantômes

Ian Lafrenière, nous a expliqué que suite à certaines menaces et tentatives d’intimidation le SPVM avait décidé pour la sécurité de tous d’accroître la présence policière. Allusion à une phrase qui circula massivement lors des manifestations, faisant craindre un rassemblement important :

Charest tu ris mais check bien ton Grand prix.

En prévisions d’éventuelles violences, le SPVM avait donc massivement placé des agents sur la ligne jaune du métro jusqu’à l’entrée du circuit. Entre interpellations, arrestations et fouilles, 21 personnes ont même été placées en détention dans un bus, garé en plein soleil, qui les a reconduit en ville. Une arrestation dont une victime de la répression policière fait le récit :

Nous (les 21 citoyens détenus, NDLR) avons passé plus de trois heures dans le bus (un véhicule de la Société de transport de Montréal affrété pour l’occasion, NDLR), pour un total de quatre heures de détention, sans jamais avoir d’explications. J’ajoute d’autre part qu’à aucun moment nos droits ne nous ont été lus, bien que nous l’ayons réclamé à plusieurs reprises ; le seul droit qui me fut énoncé est l’absurde « droit de garder le silence » qui ressemblait davantage à un « ta gueule » à peine camouflé.

Nul n’est censé ignorer (ni bafouer) la loi

La manière dont les arrestations sont orchestrées suscite le débat. Les policiers ne semblent pas avoir de méthode précise, prenant pour cible des personnes qui leurs semblent sensibles et bafouant le code de déontologie des policiers du Québec.

Les citoyens sont bien décidés à ne pas rester muets face à une telle situation. Si bien que la police est aujourd’hui la cible d’attaques récurrentes. Anonymous a ainsi piraté les mails de 11 000 policiers la semaine dernière, publiant les listes d’adresses privées ainsi que le nom et le matricule des agents. Tandis que Moïse Marcoux-Chabot, un documentariste engagé dans le mouvement depuis ses débuts a réalisé un minutieux travail de documentation sur sa page Facebook. Il a relevé tous les articles de loi relatifs aux arrestations et s’est intéressé à la jurisprudence pour prouver que ces actions étaient illégales et abusives.

Cet intérêt pour la loi donne aussi aux citoyens les moyens de se défendre et les policiers se retrouvent bien souvent face à des personnes qui connaissent leurs droits et ne se démontent pas. Les détenus ne cessent ainsi de questionner les policiers sur leur arrestation. Le détenu du bus relate qu’il n’obtiendra aucune réponse en quatre heures de détention, si ce n’est la justification évasive de sa détention par l’article 31 du code criminel :

La seule raison légale de notre situation fut l’article 31 (1) du code criminel, sans que jamais ne soit précisé ce qui aurait pu les pousser à croire que nous allions troubler la paix.

L’alinéa 1 de l’article 31 stipule en effet qu’ « un agent de la paix qui est témoin d’une violation de la paix, comme toute personne qui lui prête légalement main-forte, est fondé à arrêter un individu qu’il trouve en train de commettre la violation de la paix ou qu’il croit, pour des motifs raisonnables, être sur le point d’y prendre part ou de la renouveler ».

Que constituent des « motifs raisonnables » ? Porter un sac à dos, comme cet enfant de cinq ans qui a du tendre son sac à un policier pour qu’il le fouille ? Ou même un foulard rouge comme Raphaël Dallaire Ferland, ce journaliste parti en reportage incognito dimanche?
Mais les arrestations préventives, qui ne sont  fondées que sur la conviction qu’une personne va commettre un délit, ne s’arrêtent pas là. Les personnes arrêtées sont fouillées, et leurs effets personnels parfois confisqués et altérés comme en témoigne François Arguin. Arrêté dimanche alors qu’il discutait à la sortie du métro avec les deux journalistes, il a été menotté, questionné et s’est vu saisir ses effets personnels, dont la caméra avec laquelle il filmait, avant que les policiers le relâchent après le contrôle d’identité:

On nous annonce que nous allons être escortés en dehors du site et on me remet ma camera, après avoir effacé toute la séquence vidéo d’évènements qui ont précédé notre interpellation, le harcèlement dont j’ai été victime et de la documentation des bris de mes droits fondamentaux de citoyen. C’est a dire profiter d’une journée du samedi a me promener au Parc Jean-Drapeau et filmer sans me faire harceler, insulter, menotter et expulser du parc sans raison par des policiers.

Les policiers se sont emparés de sa caméra pour en effacer le contenu, ce qui est arrivé à de nombreuses autres personnes. Des actes rapportés à Ian Lafrenière en début de semaine et qu’il ne comprend pas :

Ça me surprend beaucoup que les images aient été effacées. puisqu’il y a des caméras partout, des citoyens avec leurs téléphones et aussi les caméras de Radio Canada.

Les images circuleraient donc quoi qu’il arrive. Et quelles images. Cette vidéo de Radio Canada montre que les policiers sont sur les dents et font parfois preuve d’une brutalité qui ne semble pas nécessaire.

Enquête et surveillance

En théorie, l’état-major doit être informé de tout ce qui se passe sur le terrain. Mais face au comportement de certains agents, le SPVM dit avoir lancé des vérifications. Une enquête nécessaire pour faire disparaitre cette impression que les agents peuvent agir en toute impunité. Ian Lafrenière, lui, nous explique que les manifestants sont les auteurs d’une véritable campagne de désinformation :

On ne se bat pas à armes égales, nous de notre coté on se bat avec des faits. Nous faisons des vérifications et des contre-vérifications. On a entendu pendant des jours qu’un homme avait été tué par le SPVM. On a envoyé une équipe à la morgue et au final c’est un journaliste qui a retrouvé la personne, chez elle, bien vivante.

Les témoignages sont parfois à prendre avec des pincettes, mais lorsque beaucoup d’entre eux concordent, y compris avec ceux de journalistes sur place, le doute n’est plus possible. Aujourd’hui, des associations de victimes sont bien décidées à ne pas en rester là. Le comité légal de la CLASSE a ainsi annoncé sur une page Facebook dédiée, être à la recherche de témoins pour un recours judiciaire. De nombreux Québecois dénoncent sur les réseaux la montée en puissance de cet État policier à l’aide de vidéos, comme MrTherio6 qui a lancé sa chaine Youtube agrégeant les vidéos montrant la brutalité policière au Québec.

Cette vigilance des citoyens -copwatching-, s’est accrue depuis la répression massive des manifestations lors du G20 de 2009 à Toronto, mais elle ne semble pas être un problème pour Ian Lafrenière :

Une surveillance est souhaitée et souhaitable donc c’est bien qu’ils nous surveillent, mais il y a une différence entre la surveillance et la désinformation. En tout cas, une cohabitation est nécessaire.

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En Syrie, Freedom 4566 ne répond plus http://owni.fr/2012/03/08/syrie-liberation-freedom-4566-turquie/ http://owni.fr/2012/03/08/syrie-liberation-freedom-4566-turquie/#comments Thu, 08 Mar 2012 14:59:02 +0000 Hédi Aouidj http://owni.fr/?p=101216 OWNI a rencontré le survivant de l'une des premières cellules médias de la révolution syrienne. Ses camarades ont été abattus ou sont en prison. Ils animaient Freedom 4566. Une chaîne sur YouTube à l'origine de plusieurs centaines de vidéos montrant la réalité de la répression, dans toute son horreur.]]>

Les morts syriens, par Ssoosay (CC)

Nous l’appellerons Abu Jaffar, pour des raisons de sécurité, il ne souhaite pas être identifié ni pris en photo. Nous l’avons rencontré de l’autre côté de la frontière, en Turquie. Abu Jaffar, entre deux bouffées de narguilé à la pomme, nous détaille comment ses amis et lui ont monté un centre de média pour couvrir la révolution syrienne. Surtout dans les régions de Lattaquié et de Jisr Al Chourour dans le Djebel Zaouia.

Dans quelles circonstances avez-vous passé la frontière turque ?

J’avais un ami, il s’appelait Mohamed Sabaq. Je parle au passé, parce que mon ami est mort d’une balle dans la tête qui lui a arraché tout l’arrière du crâne, le 27 décembre 2011, il venait de passer la frontière turque, en fait il était 100 mètres dans le territoire turc. Il avait 29 ans. Je le connaissais depuis l’école, nous étions voisins. Ensemble nous adorions regarder des films d’actions, mais en silence, pas comme les autres syriens qui ne font que jacasser pendant un film. Mohamed était toujours calme, réservé, jamais un mot au-dessus de l’autre. Je pense à lui tous les jours.

Comment s’organisait votre travail ?

Moi, j’étais chargé de la logistique, mon ami, Mohamed qui était ingénieur à la télévision syrienne à Lattaquié était le maître d’œuvre technique. C’est lui qui postait les vidéos sur YouTube, toutes les vidéos postées sur le compte Freedom 4566 [NDLR: on y trouve plus de 400 vidéos, en arabe, décrivant la répression au quotidien. Déconseillé aux âmes sensibles] sont de lui. Au début il faisait ça de chez lui et puis nous avons décidé de bouger vers Erber Jaway pour pouvoir attraper le réseau turc. Nous avions des PC portables, des clefs 3G et chacun un iPhone. Cet équipement est vite devenu notre matériel standard pour envoyer des images et communiquer. Mohamed postait des images mais il assurait aussi la formation de certains membres de l’Armée syrienne libre ou de toute autre personne qui le voulait. Quand nous avions besoin de nous réapprovisionner, nous allions en Turquie. Tout le matériel a été financé par des Syriens vivant à l’étranger, dont deux médecins aux Etats-Unis que je ne souhaite pas nommer. L’argent nous était envoyé via Western Union. Nous sommes retournés en Syrie et cette fois nous avons commencé à couvrir un peu mieux Lattaquié, Al Kusair et Al Khoule.

Avez-vous eu conscience que vos communications étaient surveillés par les services syriens ?

Je ne peux pas vous parler trop de notre sécurité informatique, c’est surtout Mohamed qui s’en occupait. Ce qui est sûr, c’est que nous changions de mots de passe très souvent. Notre petit groupe a commencé à s’étendre. Nous avions besoin de gens actifs et qui comprennent vite. Nous avons donc été rejoints par d’autres amis à nous. Il y avait Anas, Bashir et Tarek. Moi je continuais mon rôle logistique, je faisais des allers-retours avec la Turquie pour acheter des appareils photos et les ordinateurs et récupérer les fonds que l’on nous envoyait. Nous avons pu étendre nos opérations et les faire parvenir à Homs, à Jisr Al Chourour et dans d’autres villes.

Une force syrienne libérée

Une force syrienne libérée

Entretien cartes sur table avec l’un des responsables de l’Armée syrienne libre, Amar Ouawi. Il détaille les ...


Anas et Bashir étaient plus particulièrement responsables de la zone de Jisr Al Chourour. La dernière fois que nous avons eu des nouvelles, c’est juste avant que l’armée ne mène un assaut sur la ville. Nous étions très inquiets, nous qui nous voyions tout le temps, il ne pouvait que s’être passé quelque chose de terrible. Dix jours plus tard, nous les avons vus à la télévision officielle syrienne, ils étaient en train de confesser qu’ils étaient des terroristes. Ils montraient les endroits d’où ils opéraient. Ils n’avaient pas de traces de coups sur le visage mais quelque chose de changé dans leur expression, je les connais bien, je savais bien qu’ils n’étaient pas dans leur état normal. Avec Mohamed, nous avons tout de suite envoyé leurs photos aux chaines de télévision arabes, Al Jazeera, Al Arabia. Pour qu’ils ne soient pas exécutés, il faut faire un maximum de publicité. Le régime fait toujours plus attention quand il s’agit de gens connus.

D’autres militants ont-ils remplacé vos compagnons emprisonnés ?

Il a fallu reconstituer une cellule. Nous avons recruté de nouvelles personnes et recommencé. Cette fois-ci elles opéraient à partir de Ramel, le camp de réfugié palestinien de Lattaquié. Il y avait Abu, un Palestinien, Abdel, et Ibrahim. Ils ont organisé les finances, reçu des aides de l’étranger, de France, des États-Unis et d’Arabie Saoudite. Lorsque l’armée a attaqué le camp, elle a mis trois jours à prendre le contrôle. Pendant ces trois jours, ils ont envoyé des images en direct des combats. Ils ont tous été arrêtés à la fin. Nous avons fait la même chose que pour mes amis, nous avons envoyé des photos aux grandes chaines de télévision pour les protéger. Nous étions en train de monter un réseau pour couvrir la campagne et les villes dans notre région quand les forces spéciales ont traqué mon ami Mohamed et l’ont poursuivi, vous connaissez la fin.

Au début, Abu Jaffar était déprimé et en colère d’avoir perdu ses amis. Il a depuis repris ses activités depuis la Turquie, en attendant de recommencer une fois de plus en Syrie.


Illustration par Ssosay (CC-BY)

Carte de la Syrie via CIA World Factbooks

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Police: le boomerang des moyens contre le gouvernement http://owni.fr/2011/02/15/police-le-boomerang-des-moyens-contre-sarkozy/ http://owni.fr/2011/02/15/police-le-boomerang-des-moyens-contre-sarkozy/#comments Tue, 15 Feb 2011 12:09:59 +0000 Jean-François Herdhuin http://owni.fr/?p=46752 La confrontation permanente de l’ancien ministre de l’Intérieur aujourd’hui Président de la République Nicolas Sarkozy avec la justice ne se cantonne plus aux seules questions de sécurité. Il a d’abord considéré que les décisions judiciaires ne répondaient pas aux attentes des citoyens qui demanderaient plus de répression.

Nous pourrions  démontrer qu’il y a moins de crimes de sang, moins de « serial killers », mais il y a toujours eu et il y aura toujours des crimes horribles. L’opinion publique réclame toujours plus de sécurité, elle est effrayée par les crimes de sang, mais c’est la petite et moyenne délinquance qui la frappe le plus souvent et qui la préoccupe. La tentation est grande d’agir sur ce terrain propice aux manœuvres politiques.

Rompre avec cette idéologie du tout sécuritaire de la droite

Je me demande toutefois ce qu’il adviendrait si un crime horrible survenait  à moins d’un mois de l’élection présidentielle de 2012. Cela sauverait-il le gouvernement actuel ou bien serait-ce au profit de l’extrême droite ? Les risques de manipulation de l’opinion existent et des relais sont disponibles dans certains médias pour amplifier l’impact d’un fait divers.

L’abandon de la police de proximité peut expliquer tant l’état d’inquiétude de la population que l’échec du gouvernement dans la lutte contre la délinquance. Mise en œuvre à partir de 1998, cette police de proximité avait été mal conçue et très mal présentée, de manière idéologique, intraduisible dans l’organisation et les stratégies de la police. La gauche devait rompre avec cette idéologie du tout sécuritaire de la droite, mais bien qu’ils s’en défendent, les responsables de la police nationale avaient alors ignoré la notion de répression. Les policiers se sont alors sentis démunis et la population mal protégée. J’étais alors à la tête du commissariat de Beauvais qui avait été choisi comme un des sites pilotes.

Le concept répondait à un besoin de modernisation de l’institution policière, et du service public. Cependant les réformes engagées par la gauche n’ont pas pu être achevées. En 2002, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy qui avait la main sur les questions de sécurité, le nouveau gouvernement balaie tout se qui pouvait se rattacher à la notion de prévention. On oublie même ce qui pouvait rapprocher la police des citoyens pour ne retenir que la dimension sécuritaire.

Dans la Police Nationale, il est conseillé aux commissaires de police d’oublier les idées du passé pour axer leur action répressive sur les techniques de maintien de l’ordre, qui se sont avérées inefficaces. En effet contrairement aux affirmations du ministre de l’intérieur les chiffres de la criminalité n’ont pas baissé depuis 2002, ils ont même augmenté dans les rubriques les plus sensibles: les atteintes aux personnes.

Les techniques de maintien de l’ordre sont-elles utiles ?

Depuis 2002 la Police Nationale et la gendarmerie disposent d’outils plus modernes, les fichiers automatisés ont été améliorés, la police technique et scientifique largement développée. Cette modernisation entamée depuis Pierre Joxe lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, poursuivie par des ministres de gauche comme Jean-Pierre Chevènement, n’a pas profité à la police généraliste, celle des petits commissariats qui traitent la masse de la petite et moyenne délinquance.

Dans les commissariats on vit toujours dans des locaux mal adaptés, même lorsqu’ils sont récents. Parfois les gardiens de la paix vivent dans l’insalubrité, comme les personnes gardées à vue, mais pour la police c’est en permanence. Les policiers sont toujours à la recherche de véhicules en état de marche. Souvent on se cache les clés afin de préserver les véhicules en bon état. Là où il faudrait les personnels les plus expérimentés on affecte des jeunes sortis d’école, avec les risques que cela comporte. Il s’agit de risques physiques bien sûr mais aussi des responsabilités qu’on encourt en cas de dérapage : l’action des policiers peut engager leur responsabilité pénale, civile, et administrative. Les syndicats de policiers parlent à juste titre « d’insécurité juridique » pour ceux d’entre eux, de plus en plus nombreux, qui sont exposés au sein des quartiers difficiles.

Toutefois les techniques de maintien de l’ordre, qui sont favorisées aujourd’hui, exposent davantage les personnels à ces risques. Ce sont en effet des actions collectives qui engagent des personnels en compagnies, sections ou groupes dont il est difficile d’orienter précisément l’action, surtout quand on est coupé du commissariat local et qu’il n’y a pas eu de préparation en amont. Ces techniques sont très peu efficaces. On pourra toujours afficher des dizaines ou des centaines d’arrestations, et dire que 10 000 cages d’escalier ont été visitées, au bout du compte « les prises » sont bien maigres par rapport aux efforts déployés.

Derrière l’affichage statistique il faut apprécier la gravité des infractions relevées. Il s’agit d’outrages, d’usage de stupéfiants (cannabis le plus souvent), au mieux de port d’arme (armes blanches). Des procédures, de plus en plus complexes, sont diligentées pour des infractions mineures qui découragent les fonctionnaires de police. Leur capacité d’initiative est oubliée et ils se mettent à la tâche sur ordre, sans illusion. Ces procédures n’intéressent pas les magistrats qui ne peuvent pas suivre ce flot statistique inutile. En procédant de la sorte c’est tout juste si l’on a pu lutter contre le sentiment d’insécurité. Si la population et les élus réclament une présence policière, ce n’est pas pour deux heures.

On ne fait pas de la police par impulsions, en créant un climat dans lequel la police est plutôt mal perçue. En procédant de la sorte, on ne remplit pas la mission qui est dévolue aux forces de sécurité.

Magistrats et policiers doivent faire des choix

L’étude de la délinquance et son traitement ne peuvent se limiter à l’angle réduit des statistiques. Un fait constaté n’est pas égal à un autre fait : il faut mesurer son impact sur les victimes, sur l’environnement immédiat et même estimer l’atteinte portée aux intérêts de la société. S’il convient d’évaluer les performances, les phénomènes de délinquance n’autorisent pas à utiliser les mêmes instruments de mesure que ceux des activités industrielles et commerciales. Si l’on observe les effets néfastes sur les salariés comme sur les entreprises de ces secteurs, ils ont montré leurs limites. L’évaluation de l’activité des services de police et de gendarmerie devrait être partagée à l’échelon local avec les maires et les conseils municipaux. Il en est de même de la définition des objectifs qui guident l’action des services de sécurité. Le rôle de l’État ne serait pas contesté par ce partenariat local.

Aujourd’hui les magistrats comme les policiers sont contraints de faire des choix faute de ne pouvoir tout appréhender. Il convient de remarquer ici que tous les petits désordres ne devraient pas être judiciarisés. Si l’on veut respecter le principe de la séparation des pouvoirs il ne faut pas « gâcher » l’usage des institutions à vouloir tout traiter.

Dans mes commissariats je consacrais parfois une journée à lire toutes les plaintes, toutes les mains courantes, tous les rapports de police. C’était une façon de percevoir l’activité générale du service sur 24 heures. J’en concluais à chaque fois que nous ne pouvions aller à l’essentiel face à la sollicitation de la population de plus en plus exigeante, devenue inapte à assurer ce que l’on pourrait appeler le contrôle social. Comme nous ne pouvions garder les procédures pour nous (sous réserve de mes considérations sur la vérité des statistiques) tout était adressé au parquet. Je me suis toujours demandé comment les magistrats pouvaient faire le tri de manière sérieuse, sans jamais se tromper sur le devenir d’une procédure.

C’est la cohérence de la chaine pénale qu’il faut renforcer dès l’origine par des actions concertées sur le terrain avec des objectifs communs. Le cas de délinquants récidivistes pourraient être examinés, notamment quant à leur dangerosité dans leur environnement. Les Groupes locaux de traitement de la délinquance, dirigés par des magistrats avec des acteurs de terrain, semblent être une solution à privilégier pour éviter de s’épuiser à traiter le flot statistique de la délinquance.

C’est peut-être la première fois que l’on voit les syndicats de police,  commissaires de police inclus, être solidaires des magistrats. Des courriers de soutien ont été adressés aux syndicats de la magistrature. J’ai comme le sentiment que le Président de la République se trouve face à un front d’acteurs qui se trouvent aujourd’hui placés en « insécurité juridique et matérielle ».

Pour oublier certaines vives querelles plus ou moins récentes, dans le respect de l’indépendance de la justice, on pourrait espérer que des liens se créeront entre magistrats et policiers qui exercent des métiers difficiles, comportant des enjeux si importants pour notre démocratie.

Article initialement publié sur Police et Banlieue sous le titre “Police-Justice: un front commun?”

Crédits Photo CC FlickR par eisenbahner, Alain Bachellier, xtof, biloud43

Image de Une par ToAd

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Ces soldes au rayon justice qui provoquent l’ire des magistrats

Nicolas Sarkozy et la justice: le triomphe du populisme pénal

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Tunisie: ce qui se passe est historique http://owni.fr/2011/01/06/tunisie-ce-qui-se-passe-est-historique/ http://owni.fr/2011/01/06/tunisie-ce-qui-se-passe-est-historique/#comments Thu, 06 Jan 2011 14:39:05 +0000 L'Arabe de C'est La Gêne http://owni.fr/?p=41298 Si vous ne lisez pas trop la presse, si votre seul mode d’information est le journal de 20 heures ou les flashs radio du matin, vous ne saurez probablement pas de quoi je parle quand je dis : « Ce qui s’est passé à Sidi Bouzid, c’est important. ». Et je ne pourrai pas vous en vouloir, parce que personne ne vous parle de ce qui est sûrement l’événement le plus important de ces vingt dernières années dans le bassin méditerranéen.

Depuis maintenant trois semaines et l’immolation par le feu d’un jeune vendeur à la sauvette [en], Mohamed Bouazizi, à qui la police avait confisqué ses produits, la révolte gronde en Tunisie. Partie de Sidi Bouzid, ville sans histoire du centre du pays, plus connue pour son taux de chômage spectaculaire que pour quoi que ce soit d’autre, les manifestations et rassemblements de foules commencent à gagner la destination de plage préférée des Français, dans son ensemble, jetant les bases d’une révolte qui, si elle arrive à toucher toute la population tunisienne, pourrait changer la face d’une nation qui ne vit qu’à moitié depuis vingt-trois ans. Depuis l’accession au pouvoir de son président, Ben Ali, et de ses multiples « réélections ».

La Tunisie, à part Djerba, Nabeul, Hammamet, le club Mickey où beaucoup d’entre vous ont passé un été ou deux, c’est aussi une économie « florissante », basée sur une classe moyenne assez importante et alimentée par une surconsommation générale. Quand on se balade dans les rues de Tunis, sur les bords de mer de Sousse ou dans la zone commerciale du Lac Palace, sur la route de la Marsa ou de Sidi Bou Saïd, il est difficile de réaliser que le fruit est pourri de l’intérieur. C’est parce que les Tunisiens font de leur mieux, depuis des années, pour garder la face. Derrière ces sourires, cette hospitalité, et cette joie de vivre communicative, la réalité est tout autre. Dans un pays qui compte autant de policiers que la France pour une population six fois moins importante (sic), un droit basique, la liberté d’expression, est bafoué chaque jour. Les événements qui secouent la Tunisie depuis trois semaines en sont un exemple criant.

La fortune de quelques-uns fait le malheur de tout le reste d’une population

La révolte qui s’organise (et que certains comparent déjà à celle qui, en Roumanie, a mis à terre le régime Ceaucescu, [en]) est le fruit d’une politique d’abandon d’une grande partie du pays par un gouvernement qui veut avant tout contrôler son image et ses relations extérieures. Là ou le littoral et le tourisme sont fortement subventionnés, vitrines qu’ils sont du boom économique et social tunisien, le reste du pays est laissé à l’abandon. Comme dans beaucoup de républiques bananières d’Afrique, la fortune de quelques-uns fait le malheur de tout le reste d’une population. Sauf qu’ici, les grands groupes industriels et commerciaux sont presque tous trustés par l’entourage, la famille et les proches du président Zine El Abidine Ben Ali.

C’est cette situation, un taux de chômage chez les jeunes diplômés impressionnant, et un bâillon perpétuel posé sur toute voix tentant de s’élever contre le régime en place, qui ont créé la poudrière à laquelle le suicide de Mohamed Bouazizi vient de mettre feu. Ce qui est en train de se passer est historique parce que, pour la première fois, les Tunisiens se soulèvent pour un ras-le-bol général. Ce qui est en train de se passer est historique parce que, pour la première fois aussi, le gouvernement semble dépassé. S’appuyant sur la répression, comme à son habitude, le premier réflexe de Ben Ali a été de faire de cette révolte un événement invisible, instrumentalisé par les « ennemis de la Tunisie ». Pas de média nationaux pour couvrir les évènements, pas, ou peu de médias internationaux, où, comme à leur habitude en Tunisie, intimidés ou étroitement surveillés. Contrairement à l’Iran l’année dernière, il semblerait que la chanson de Gil Scott Heron se retrouve ici confirmée. This revolution will not be televised. [vidéo]

Les informations, elles, arrivent par Internet. Par les comptes Twitter et surtout Facebook de milliers de Tunisiens qui partagent, sans relâche, des vidéos des manifestations, des rassemblements et de la répression. Là encore, le gouvernement tente d’endiguer le flot d’images pour ne pas écorner la sienne. Que ce soit par des articles sur des médias contrôlés « commentés » par des faux intervenants, ou par un blocage pur et simple des accès internet de la population depuis quelques jours, ou pire, l’accès forcé aux boîtes mails et aux comptes Facebook de centaines d’activistes et d’opposants au régime, la chape de plomb que l’on tente de poser sur ces mouvements populaires est pesante. Anonymous, rassemblement d’« hacktivistes » bien connus pour leur attaque ayant mis hors-service Amazon.com et Paypal.com, punis pour avoir censuré et empêché les paiements destinés à Wikileaks en décembre dernier, ont maintenant tourné leur force de frappe vers les organes de censure d’Internet tunisiens.

Le silence de la communauté internationale et des médias

Tout cela se passe à deux heures d’avion de Paris, dans un pays où vous aviez déjà peut-être prévu de passer vos prochaines vacances. Dans un pays où la communauté internationale laisse une classe dirigeante corrompue et avide de gain personnel faire sa loi et renier à sa population ses droits les plus basiques, parce que la petite Tunisie est une amie de longue date. Un pays où mes parents sont nés et où, même si je suis aujourd’hui français, mes racines courent encore profond. Le fait même que je sois parcouru d’une angoisse palpable en appuyant sur le bouton « publier » du blog en dit long sur les méthodes et la situation en Tunisie. La peur des représailles pour dire ce que l’on pense dépasse les frontières. Même dans ce confortable salon du 9ème arrondissement.

Ce qui importe plus que tout aujourd’hui, c’est que cette révolte à huis-clos ne le soit plus. Que les efforts et les cris des Tunisiens se fassent entendre pour que, lorsque la répression dure arrivera (et elle arrivera), Ben Ali et ses méthodes ne puissent laisser libre cours à leur violence à l’abri des regards indiscrets. Que le poids du regard du reste du monde pèse sur les épaules du gouvernement et donne des ailes aux opposants. Ce qui importe plus que tout aujourd’hui, c’est de prendre tout cela au sérieux, parce qu’il en va de la survie d’un pays, d’une nation, de sa population.

Nous sommes en train de vivre un moment historique, et il me parait impensable que les principaux médias français ne s’en fassent pas l’écho. Il me paraît inimaginable que France 2, TF1 ou M6 ne soient pas en alerte permanente pour des événements qui secouent un pays qui a donné à la France une partie non négligeable de sa population. Un peuple entier est en train de se libérer. De se lever et de reprendre le contrôle de sa destinée. Un peuple qui en est là aujourd’hui parce que la France coloniale s’est mise sur son chemin, il y a de cela un siècle.

Et il faudrait faire comme si de rien n’était ?

Pour information, donc, vous trouverez ci-dessous toute une série d’article exposant au mieux la situation en Tunisie (Merci NaddO_). Informez-vous. Soyez au courant, ne restez pas insensibles :
How a man setting fire to himself sparked an uprising in Tunisia, The Guardian
This week in the Middle East, The Guardian
Tunisia’s inspiring rebellion, The Guardian
TUNISIA: Dependence on Europe fuels unemployment crisis and protests, LA Times
La jeunesse défie le président Zine el-Abidine Ben Ali, France 24
Sidi Bouzid trouve des soutiens jusqu’à Tunis, Jeune Afrique
Des manifestations contre le chômage secouent la Tunisie, L’Express
Tunisie : la crise sociale qui s’étend est le revers de la bonne santé économique, Le Monde
« Les Tunisiens, fatigués d’un pays tenu par quelques familles », Rue 89
Tunisia uprising vs Iran election aftermath. Similarities and differences, par Octavia Nasr, éditorialiste libanaise

Billet initialement publié sur C’est La Gêne sous le titre “Fini les conneries”
Images CC Flickr ruminatrix et solidstate_
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Les DVD contrefaits piratent le métro parisien http://owni.fr/2010/09/03/les-dvd-contrefaits-piratent-le-metro-parisien/ http://owni.fr/2010/09/03/les-dvd-contrefaits-piratent-le-metro-parisien/#comments Fri, 03 Sep 2010 09:04:23 +0000 Boris Manenti http://owni.fr/?p=26851 Il est 17 heures. Koudus, un jeune homme originaire du Bangladesh, arrive à la station de métro Strasbourg-Saint-Denis. Dans le couloir principal, il étale à la hâte sur une toile des dizaines de DVD pirates. Son « travail » commence.

Comme Koudus, ils sont nombreux à déballer chaque jour des films copiés, proposés pour une somme dérisoire : deux euros pièce, cinq euros les trois. Rien à voir avec des DVD du commerce, il s’agit de CD contenant des films DivX, un format utilisé essentiellement pour le téléchargement illégal. Difficile à quantifier, le phénomène a pris de l’ampleur au cours des derniers mois.

Les vendeurs de DivX à la sauvette sont de plus en plus nombreux à investir les couloirs de la RATP mais aussi l’entrée des bouches de métro, souvent près de leurs alter-ego qui proposent ceintures, posters ou jouets à musique. « Depuis la fin de l’automne, il y a une présence beaucoup plus importante et plus visible, souligne Frédéric Delacroix, délégué général de l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa). Il y a toujours eu ce type de vendeurs présents de manière sporadique, sur les marchés par exemple. À présent, ils vont jusque dans le métro et dans les rues. »

Atelier clandestin à Montreuil

Zahir est de ceux-là. Lui aussi dit venir du Bangladesh. Les CD piratés font partie de son quotidien. Chaque jour, il descend dans le métro de Saint-Lazare, République ou Marcadet-Poissonniers. Le long d’un mur, il propose aux passants et aux voyageurs ses films trois ou quatre heures durant. Il emporte toujours beaucoup de films, quatre cents, parfois plus. Selon lui, il y aurait beaucoup de ventes. Il est fier de proposer « toutes les nouveautés » : Shrek 4, L’Agence tous risques, Toy Story 3… Sur l’étal de fortune, se croisent des films déjà sortis, encore en salles, voire qui ne sont même pas à l’affiche. Bien souvent de mauvaise qualité, certains se révèlent toutefois de très bonne facture.

D’où vient cette marchandise ? Sur ce point, Zahir reste très vague : « Je vais chercher les DVD. On me les donne et j’en suis responsable. Je dois tout vendre pour être payé ». À Bonne-Nouvelle, Sani en dit un peu plus. Dans un bon anglais, il explique que « tout vient de Montreuil. Là-bas, il y a une fabrique. J’y vais et j’achète chaque DVD 1,20 euros ».

Le Nord-Est parisien, source du trafic ? « Il est très facile de monter un atelier clandestin : un ordinateur à 800 euros avec quatre graveurs suffit, estime une source proche des milieux du téléchargement illégal. Les DivX sont téléchargés sur les réseaux peer-to-peer [de la même manière que de nombreux internautes], avant d’être gravés. Le plus compliqué reste de les écouler… » C’est là qu’intervient la vente à la sauvette. Vendeurs de films ou de ceintures, tous les Bengalis présents dans le métro parisien semblent appartenir au même réseau. « On est tous frères », lance l’un d’eux à Gare du Nord. Difficile cependant de savoir de quel réseau il s’agit ou de remonter plus loin. Les vendeurs refusent de trop en dire et les douanes ou la préfecture de police n’apportent pas plus de réponse…

La menace policière

Mais la vente à la sauvette est loin d’être une pratique lucrative… pour les vendeurs. S’il récupère en moyenne 80 centimes par film vendu, Sani n’y trouve pas son compte. « Quand je vends bien,
je peux manger… Ce n’est pas le cas tous les jours », explique l’homme, SDF depuis son arrivée en France il y a un an. Un message clair de détresse émane de plusieurs vendeurs : « C’est une vie très dure ». La vente des films piratés n’est pour eux qu’un moyen de survie…

Une vente qui n’est pourtant pas sans risque. Sani raconte : « parfois, je me fais arrêter par des policiers. Je leur dis que je ne comprends pas l’anglais. Ils me demandent d’arrêter de vendre et ils me relâchent ». Koudus, lui, dit « faire attention aux policiers ». Lorsqu’ils s’approchent, un guetteur lui fait signe. La toile disposée au sol est alors repliée en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, et le Bengali est déjà loin. « Il faut changer souvent de lieu, pour ne pas se faire remarquer », explique Zahir prudent.

Depuis le début de l’année, plusieurs centaines d’interpellations ont eu lieu. Pourtant, la pression policière sur les vendeurs ne semble pas la panacée. « S’en prendre aux vendeurs eux-mêmes ne sert à rien, souligne l’Alpa. S’ils sont arrêtés le matin, il est clair qu’ils seront relâchés l’après-midi. »

Pour Frédéric Delacroix, il ne s’agit que du bout de la chaîne. « Comme les vendeurs de drogue, il s’agit de réseaux extrêmement structurés qui participent à toute une économie souterraine. »

Un trafic « marginal » ?

Pour quelques films piratés revendus, les vendeurs risquent de lourdes peines. Selon le code de propriété intellectuelle, les Bengalis encourent jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 300.000
euros d’amende, voire plus si les faits sont commis en « bande organisée ». En théorie les acheteurs s’exposent aux mêmes peines, mais jusqu’à présent aucun n’a été poursuivi. « Comme la drogue, ce trafic n’est pas laissé au hasard par les services de police. Des investigations sont actuellement en cours… », plaide-t-on du côté de l’Alpa. Pour autant, les forces de l’ordre semblent peu impliquées. La préfecture de police de Paris juge même le phénomène « marginal ». Une sorte de tolérance des vendeurs à la sauvette semble s’être installée dans le métro parisien.

Les vendeurs ne sont donc pas vraiment inquiétés et le marché se développe alors que s’installe la loi Hadopi afin de punir prochainement les internautes qui téléchargent. Des internautes qui pourraient alors être tentés de se tourner vers un commerce de proximité. Mais la France a encore de la marge avant d’atteindre les proportions américaines ou asiatiques où la contrefaçon de DVD
atteint une ampleur industrielle. Selon une étude du think tank américain Rand Corporation, les DVD pirates rapporterait aux États-Unis « plus que le trafic de drogue » avec des « marges bien
supérieures ». Le phénomène arrive en Europe. Selon les données de la Commission européenne, si 3 millions de disques étaient saisis en 2007, le chiffre grimpait à 79 millions l’année suivante. Le
DVD pirate, comme la VHS en son temps, a encore de beaux jours devant lui.

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[docu] Qui a peur des Gitans ? http://owni.fr/2010/08/15/le-vrai-temps-des-gitans/ http://owni.fr/2010/08/15/le-vrai-temps-des-gitans/#comments Sun, 15 Aug 2010 17:17:28 +0000 Admin http://owni.fr/?p=24846 Cliquer ici pour voir la vidéo.

Tourné en 2009, alors que les gens du voyage n’étaient pas sous les feux d’une actualité aux relents nauséabonds – à tel point que l’ONU a critiqué la politique de répression mise en place par l’UMP – le documentaire “Qui a peur des gitans” nous invite à faire le voyage avec cette communauté de  trop souvent réduite à des clichés. Durant une heure -ça change des sujets longs comme une tête de jivaro d’un 20 heures-, l’équipe de la Télé Libre, emmenée par John-Paul Lepers, prend le temps de nous faire découvrir ces “éternels étrangers de l’intérieur”, jusque dans leurs contradiction : leur mode de vie, la réglementation à laquelle ils sont soumis, le rejet dont ils sont l’objet en général : mon pote le gitan, oui, mais sous la forme d’un CD de musique folklorique.

“Ça se raidit, on regresse sur la question des gitans”, peut-on ainsi entendre. C’était l’été dernier, depuis cette tendance n’a pas été inversée par le gouvernement, toujours en pointe sur la politique sécuritaire populiste.

À lire aussi : le billet très énervé de Jean-Noël Lafargue : La quinzaine du Rrom

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Piratons et donnons pour montrer le chemin http://owni.fr/2009/09/21/piratons-et-donnons-pour-montrer-le-chemin/ http://owni.fr/2009/09/21/piratons-et-donnons-pour-montrer-le-chemin/#comments Mon, 21 Sep 2009 16:39:05 +0000 Thierry Crouzet http://owni.fr/?p=3818 Le monde selon Sarkozy

Il existe au moins deux types de lois, certaines répressives, d’autres incitatives. Hadopi se classe dans la première catégorie alors qu’elle aurait pu se placer dans la seconde et ouvrir de nouvelles possibilités économiques.

Interdiction policière

Par analogie au jeu de Mikado, un problème simple correspond à une des piques qui a glissé hors du tas et qui n’en touche aucune autre. On peut la manipuler sans risques collatéraux et effets de cascade dévastateurs. Je donne souvent l’exemple de la sécurité routière. La solution semble évidente. Si nous roulons moins vite, les risques d’accidents diminuent et, en cas d’accidents, les risques corporels diminuent aussi. En prime, en roulant moins vite, nous consommons moins d’énergie, donc luttons contre le réchauffement climatique.

Réduire la vitesse sur les routes est une mesure efficace qui n’a pas d’impact négatif à l’échelle collective et peu à l’échelle individuelle. Tout le monde s’entend là-dessus. Maintenant reste à savoir comment imposer la réduction de vitesse. On a identifié un problème simple, on a trouvé une solution simple, il reste à la mettre en œuvre.

Le réflexe premier est d’interdire le dépassement d’une vitesse limite. C’est le réflexe du mâle dominant. Du sommet de sa pyramide, il ordonne et attend qu’on lui obéisse. Ceux qui enfreindront la loi seront punis. Pourquoi pas ! Nous avons la preuve que ça marche. Mais à quel coût ? Combien de radars automatiques faut-il installer, surtout combien de nouveaux policiers faut-il déployer sur le terrain ? Ne sommes-nous pas en train de faire grossir la pyramide policière et l’approcher irrémédiablement du seuil où son rendement énergétique devient catastrophique ? Même pour résoudre un problème simple, la solution pyramidale n’est pas nécessairement la meilleure. Interdire coûte cher en plus de provoquer un malaise évident chez les citoyens amoureux de liberté.

Nous ne pouvons pas multiplier indéfiniment les interdictions qui exigent un déploiement de force. Au final, nous aurions un policier derrière chaque citoyen. Et comme les policiers eux-mêmes sont des citoyens, il faudrait aussi des policiers pour surveiller les policiers, on n’en sort pas. Une interdiction n’est efficace que si elle n’implique pas une augmentation de la taille de la pyramide.

Interdiction auto-entretenue

Pourquoi en France les gens ont-ils arrêté de fumer dans les restaurants et les cafés ? Bien sûr à cause de la loi entrée en application le 1er janvier 2008. Mais cette loi s’est accompagnée d’un déploiement policier beaucoup moins spectaculaire et répressif que sur les routes. La pyramide n’a pas eu besoin de faire de la gonflette. Les restaurateurs et les cafetiers, de peur d’une amende, ont eux-mêmes fait la police, secondés par leurs clients soucieux de leur santé. Comme la fréquentation des établissements n’a pas diminué, tout le monde s’est trouvé satisfait par la mesure. L’interdiction s’est auto-entretenue.

Dans les lieux publics, les gares par exemple, l’interdiction bien que plus ancienne a longtemps été moins respectée. Pourquoi ? Dans ces espaces anonymes, tout le monde ignore tout le monde et les plus irrespectueux d’entre-nous prennent des libertés (tragedy of the commons). Les clients ne peuvent pas s’appuyer sur le restaurateur ou le cafetier pour faire eux-mêmes la police à la place de la police. Nous nous trouvons dans le cas où l’égoïsme n’engendre pas la coopération. Il aura fallut l’interdiction plus stricte et plus générale de 2008 pour que, par la force de l’habitude, l’interdiction de fumer se propage aux lieux publics. Tout n’y est pas encore parfait mais la situation s’améliore d’elle-même. Chapeau-bas aux restaurateurs et aux cafetiers.

Quand l’interdiction peut s’auto-entretenir, c’est une arme efficace aux mains des structures pyramidales. Un ordre est donné mais la pyramide elle-même ne le met pas vraiment en œuvre, donc elle ne grossit pas. D’autres interdictions posent plus de problèmes. On en revient aux limitations de vitesse. Si je vois quelqu’un qui va trop vite, je ne peux pas lui dire de ralentir. Je ne vais pas me mettre en travers de sa route pour le freiner. J’ai peu de moyens de faire la police à la place de la police.

Est-ce une fatalité ? Je n’en suis pas sûr. Il existe sans doute un moyen de transformer la plupart des interdictions fortes en interdictions auto-entretenues. Pour la circulation routière, la solution est connue mais elle est si contre-intuitive que les gouvernements rechignent à l’envisager. Elle revient à créer du lien entre les usagers de la route pour qu’ils puissent justement s’auto-policer, façon de provoquer la coopération dans un espace jusqu’alors dominé par l’égoïsme (je vais pas rouvrir le débat, ce n’est pas le sujet).

Concernant la sécurité routière, un gouvernement peut donc légiférer de deux manières. À la mode dure, il limite les vitesses. À la mode incitative, il réduit par exemple les signalisations pour pousser les gens à interagir. Les deux approches ont un coût. La première exige le maintien d’une pyramide policière. La seconde passe par des travaux public effectués une fois pour toutes. Dans le premier cas, on a un coût infini puisqu’il faut le maintenir éternellement, dans l’autre un coût fini.

Quand les membres d’une hiérarchie réfrènent leur désir de progression sociale en faisant grossir la pyramide, ils peuvent, face à des problèmes simples, prendre des mesures qui n’aggraveront pas le bilan énergétique de la pyramide. Ils s’appuient ainsi sur un mécanisme millénaire : celui de la morale. Il faut en quelque sorte que les gens s’approprient les mesures, qu’ils s’en fassent les défenseurs. Ça implique un temps de formation, un temps d’appropriation, puis un temps de généralisation. Pour le tabac, il a fallu expliquer le danger du tabagisme actif et passif, il a fallut que des ligues anti-tabac se forment, puis que les mœurs changent pour qu’enfin l’interdiction s’auto-entretienne parce que nous l’avions collectivement acceptée.

Hadopi

Supposons qu’il soit légitime de lutter contre le piratage (ce qui ne l’est pas mais c’est aussi un autre sujet). Le gouvernement décide alors d’interdire par la méthode dure, la méthode coûteuse et qui ne cherche pas à éduquer les citoyens. N’aurait-il pas pu adopter la méthode incitative ?

Si la raison officielle de la loi est bien la perte de revenu des auteurs, le gouvernement aurait pu inciter au don avec de la défiscalisation par exemple pour les donateurs (les pertes en revenus fiscaux étant en gros équivalentes aux pertes occasionnées par la répression).

Plutôt que punir le geste de partager des informations, il aurait pu encourager le partager de la richesse. S’il ne l’a pas fait, c’est parce qu’il ne veut pas d’un monde de partage mais d’un monde de la rareté, où certains accaparent les richesses.

Les choses se compliquent alors. On comprend que le problème du piratage n’est pas un problème simple mais, au contraire, qu’il équivaut à une pique se trouvant au cœur du jeu de Mikado. Quand on la touche, tout bouge dans la société.

Il ne s’agit pas de protéger les auteurs, mais de lutter contre le partage, qui lui-même implique une économie du don, économie concurrente de l’économie de la rareté propre au capitalisme. On découvre alors qu’une escarmouche juridique fait partie d’un immense champ de bataille où s’affrontent les conservateurs et les réformateurs. Nous n’avons pas fini d’en parler et de nous battre. Le combat ne fait que commencer.

> Article initialement publié sur Le peuple des connecteurs, le blog de Thierry Crouzet

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