Plus récemment encore, des professionnels de la justice (magistrats et avocats), de la protection judiciaire de la jeunesse, de l’administration pénitentiaire, également de l’ouest de la France, ont publié un communiqué commun (pdf) pour faire savoir à quel point il leur est de plus en plus difficile d’assurer leurs missions à cause de la réduction de leurs moyens.
Il y est écrit, notamment, qu’au tribunal pour enfants de Nantes entre 2007 et 2010 les procédures de protection de l’enfance ont augmenté de 14,5 %, les procédures pénales de 23 % et les mesures d’exécution des peines de 182 %, qu’au cours de la même époque le nombre de juges des enfants est passé de 6,5 à 5,6 avec en même temps la suppression d’un poste de greffier.
De leur côté les personnels de la PJJ dénoncent la réduction des effectifs (120 postes sur 830 supprimés en 3 ans dans le grand ouest), la fermeture de 2 foyers et de 3 ateliers de formation professionnelle, et, surtout, l’impossibilité actuellement de mettre en place auprès des mineurs les plus en difficulté d’un suivi cohérent et efficace sur le moyen ou long terme.
Enfin, les services privés qui participent à la protection de l’enfance dénoncent les restrictions budgétaires et de postes, la multiplication des mesures en attente et par voie de conséquence l’aggravation de la problématique dans les familles non prises en charge suffisamment tôt, et regrettent d’être mis trop souvent en situation d’impuissance.
Au-delà de ce communiqué, nombreux sont les juges des enfants qui dénoncent dans toute la France le nombre de mesures prononcées mais non exécutées faute de personnel suffisant dans les services éducatifs, le délai d’attente étant parfois de six mois voire une année entière.
Ce qui est préoccupant, c’est que quand un enfant en danger dans sa famille y est laissé quand bien même une décision le confiant à un tiers est prise, cela par manque de moyens des services éducatifs, un drame peut se produire à tout moment, dans ou en dehors de la famille, par ou contre le mineur.
À la même époque une radio du service public a diffusé un reportage sur l’hôpital public. Une infirmière interrogée a expliqué que chaque matin elle part travailler la peur au ventre. Pourquoi ? Parce que du fait de la réduction du budget plusieurs postes d’infirmière ont été supprimés et que de ce fait celles qui restent et qui ont tellement à faire doivent courir du matin au soir. D’où un risque permanent d’erreur. Cette infirmière a dit au journaliste :
Je sais qu’à force d’aller vite je vais un jour ou l’autre commettre une erreur, et que cela risque d’être grave pour un malade.
Dans ce même reportage une femme était interrogée sur sa mère, âgée, malade et hospitalisée. Elle expliquait que sa mère est atteinte d’une pathologie qui, pour ne pas dégénérer trop vite, impose qu’elle ne reste pas immobile toute la journée. D’où la nécessité, selon les médecins, que des tiers l’aident quelques dizaines de minutes par jour à se lever et à se déplacer.
Mais malgré la prescription médicale, le personnel soignant de l’hôpital, notamment les infirmières, a expliqué que personne ne dispose du temps à consacrer à cette dame. Sa fille a donc été contrainte de recruter une aide soignante extérieure, et de la payer pour qu’elle aille à l’hôpital faire ce qui est normalement le travail d’une infirmière.
Le jour où elle ne pourra plus faire face à cette dépense, qu’elle craignait proche, cette femme verra probablement l’état de sa mère se dégrader, sans pouvoir faire quoi que ce soit.
Enfin, voici quelques semaines, une institutrice expliquait à son tour que dans sa classe de presque 30 enfants, depuis que pour cause de réduction des budgets et de suppressions de poste on lui a enlevé l’assistante qui l’aidait, elle fait dorénavant du gardiennage et non de l’éducation. Car auparavant l’assistante s’occupait des enfants les plus turbulents pour que l’institutrice se consacre avec les autres à sa mission d’enseignement. Ce qui n’est plus aujourd’hui possible. Et elle se demandait comment les parents allaient réagir du fait d’une prise en charge au rabais de leurs enfants.
La problématique de ces trois situations est la même. Les gouvernants décident en connaissance de cause de réduire les moyens des services publics essentiels, les professionnels de ces services sont dans l’incapacité de produire un travail de qualité, sont poussés à la faute, et le risque de dérapages, d’incidents ou de drames est permanent.
Non seulement on peut regretter la dégradation planifiée des services publics, mais ce qui est tout aussi inacceptable c’est qu’en cas d’incident, les mêmes qui ont décidé de réduire les moyens financiers et humains de ces services n’hésiteront pas à désigner les professionnels comme seuls responsables de tout dysfonctionnement, ceci afin de masquer leur propre responsabilité. On l’a bien vu dernièrement dans l’affaire dite “de Pornic”.
Par ailleurs, pour ce qui concerne plus particulièrement les mineurs, il existe une contradiction flagrante entre un discours de façade, notamment concernant la délinquance des plus jeunes que l’on voudrait réduire à tout prix, ce qui est légitime, et en même temps la volonté de réduire les moyens de la justice des mineurs dont la mission est, à travers les mesures éducatives civiles et pénales, de favoriser un mieux-être d’enfant perturbés, et, par voie de conséquence, de réduire les parcours délinquants.
C’est bien pourquoi sur le terrain se rencontrent dans les tribunaux, les écoles, les hôpitaux, tant de professionnels compétents, disponibles, dévoués, mais qui sont de plus en plus dépités de ne pas pouvoir offrir à leurs concitoyens les services auxquels pourtant ils ont (devraient avoir) droit.
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Billet initialement publié sur Paroles de juges sous le titre “Moyens des services publics et responsabilité des professionnel”
Illustrations Flickr edster951
La ville est un Homme comme les autres, pourrait-on écrire, à en juger par la profusion de métaphores corporelles utilisées pour décrire l’espace urbain. On finirait presque par oublier que cette humanisation de la ville (et le titre de cette chronique en est un clin d’œil) va dans les deux sens. Si la ville a bien un “cœur”, des “poumons” et un “cerveau”, c’est qu’elle a aussi des “rides”, des “cicatrices” et des “cancers”. Certaines “blessures” sont d’envergure, et les collectivités s’acharnent depuis toujours à les “soigner” à coups de grands travaux et ravalements de façade.
Mais la majorité ne sont souvent que de “petits” bobos : accrocs dans le bitume, problèmes de voirie, bancs cassés ou monceaux de poubelles non retirées (un groupe Flickr leur est dédié ; quelques autres exemples capturés par Nicolas Nova). Problème : bien que relativement mineurs, ce sont justement ces incidents qui contribuent à alimenter tension et frustration chez les citadins qui se les coltinent au quotidien. Le designer (et spécialiste de la ville numérique) Adam Greenfield résume la situation en une simple formule : “cities are all about difficulty” [en].
Malheureusement, les collectivités ne sont pas en mesure d’intervenir sur ces bobos bénins, non pas faute de moyens (quoique…), mais surtout faute de signalement. Il serait en effet bien difficile voire impossible, pour une collectivité, d’observer avec minutie chaque recoin de l’espace urbain. La solution est donc toute trouvée : mettons à profit “l’intelligence collective” qui caractérise les villes. Et si c’était les citadins, justement confrontés au quotidien à ces blessures hyperlocales, qui se chargeaient de faire remonter les informations ? Après tout, on n’est jamais si bien servi que par soi-même.
Le concept est simple, et se résume d’ailleurs dans le nom d’un de ces services, SeeClickFix [en] : “See (identifier le problème), Click (le signaler sur la cartographie participative) et Fix (résoudre le problème mis au jour publiquement)” (via). En quelques années, de nombreuses applications similaires se sont développées ça et là : aux Pays-Bas (BuitenBeter), au Royaume-Uni (FixMyStreet, [en]), à Lisbonne (Na Minha Rua [pt])… Certains se limitent au web, d’autres existent déjà sur mobile afin de permettre aux citadins de signaler en temps réel les problèmes qu’ils rencontrent. En France, la ville de Mérignac s’est lancée dans la course avec un service gracieusement baptisé Léon (c’est quand même autre choses que les injonctions déshumanisées des apps anglo-saxonnes, vous ne trouvez pas ?). L’application n’est pour l’instant disponible que sur Internet, mais l’idée est là, témoignant d’un engouement certain, et plutôt compréhensible.
En effet, les vertus sont nombreuses. D’une part, cela facilite grandement le travail des agents et techniciens de la collectivités. D’autre part, et c’est peut-être le plus le plus important, de tels services favorisent l’inclusion du citadin dans ce vaste organisme qu’est la ville. En se sentant “investi” d’une mission (même microlocale), le citadin prend conscience de son rôle actif dans le fonctionnement de la ville. Ces services s’inscrivent dans la droite ligne de la “ville 2.0” (le terme a vieilli, mais qu’importe), dans laquelle l’individu devient un acteur à part entière dans le système urbain.
On pourrait arrêter la chronique ici. Mais si vous nous lisez régulièrement, vous savez que ce n’est pas notre genre. Car derrière ses parures enthousiasmantes, ce type d’application pose de nombreuses questions.
La première est liée au risque (relatif) d’abus de la part des citadins (exemple : je géolocalise avec insistance les problèmes situés sous ma fenêtre). En prolongement, il existe un risque plus concret de voir la collectivité dépassée par les événements. Comment hiérarchiser les alertes ? Dans une intelligente analogie [en], Adam Greenfield propose de faire appel au savoir-faire des développeurs (ça fera plaisir à certains !), en s’inspirant des systèmes de “bug-tracking” utilisés pendant le développement d’un logiciel. Il s’agirait pour le citadin-contributeur de prioriser les “bugs” observés selon trois variables :
Il est logique que les applications existantes à l’heure actuelle ne se soient pas encore penchées sur cette hiérarchisation des alertes. Mais gageons que cela ne saurait tarder dans les v2 qui devraient voir le jour.
Plus épineuse est la question du fondement idéologique qui sous-tend ce type d’applications. Simon Chignard en avait déjà débattu dans un excellent billet… sur l’open data (Une idée de gauche ? sur Asso-Bug, repris sur OWNI) ; les deux problématiques sont en effet fortement liées :
L’Open Government donne des outils pour mesurer l’efficacité de l’action publique. On connait l’exemple du site See, Click, Fix qui permet de signaler un problème de voirie par exemple. Comme le soulignent les auteurs de la contribution “The Dark Side of Open Government” dans l’ouvrage précité [Open Governement : collaboration, transparency and participation in practice], cette transparence et cette exigence de rendre des comptes (accountability) surexposent mécaniquement les défaillances et les limites de l’action publique, plutôt que les réussites ou le travail réalisé.
De surcroît, ces services créent une pression supplémentaire sur les agents des services publics. Justement :
Autre point-clé, l’open data [ndlr : mais c’est aussi valable pour les FixMyStreet-like] concerne aujourd’hui essentiellement les données issues du secteur public. C’est donc sur le secteur public que la pression de la transparence est mise.
Avec un risque évident : voir le secteur privé s’emparer de cette mise en avant des défaillances du secteur public :
“Et quid de l’influence du secteur privé sur nos vies quotidiennes ? [...] On retrouve la croyance en la capacité du marché et du secteur privé à assumer certaines fonctions de l’État – et de quoi parle-t-on lorsqu’on donne la possibilité au secteur privé de développer des applications et services que la collectivité ne peut ou ne souhaite pas développer ?”
Inversement, on pourrait d’ailleurs se demander si le risque ne serait pas de voir des collectivités en profiter pour “démissionner” de leurs missions de maintenance, en déléguant plus que nécessaire aux citadins ou aux acteurs privés. Sans aller jusque là, il me semble nécessaire, en conclusion, de s’interroger sur le climat que de telles applications instaurent dans l’espace urbain.
La ville est un Homme comme les autres, disions-nous. Or, il ne faudrait pas oublier que ce sont justement les rides et les cicatrices qui donnent aux Hommes tout leur charme. Si la “réparation” de la ville n’est pas à remettre en cause, on peut se demander si cela doit forcément passer par une ville lisse et aseptisée, dont on ne connaît que trop bien les dérives. On retrouve ici une problématique proche de la “prévention situationnelle” : comment sortir d’une logique des extrêmes qui opposerait d’un côté la ville abîmée, de l’autre la ville kärcherisée ? (sans que ni l’une ni l’autre ne soit vivable)
L’une des possibilités les plus enthousiasmantes, mais c’est subjectif, propose d’exploiter les créations artistiques comme “sparadraps” urbains. Et si les briques LEGO devenaient des “pansements de ville”, à l’image du projet collectif Dispatchwork[en] par Jan Vomman ? Au lieu de cacher les bobos de la ville, les briques colorées viennent ici réenchanter l’espace urbain. Les vertus d’inclusion du citadin-acteur sont d’ailleurs préservées, voire renforcées, puisque c’est à lui de “réparer” l’espace comme il l’entend.
De même, des graffitis pourraient venir recouvrir les rides murales d’une ville vieillissante. Attention toutefois à ne pas faire office de cache-misère, comme je le dénonçais ici, en écho à Transit-City. Mais ceci est une autre histoire… pour une prochaine chronique ?
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Images CC Flickr Nicolas Nova (image de une et mur au sparadrap) et Philippe Gargov (banc)
Paroles utilisées dans les titres : Alain Souchon (Allo Maman Bobo), Doc Gynéco (Viens Voir Le Docteur / Dans Ma Rue)
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Chaque lundi, Philippe Gargov (pop-up urbain) et Nicolas Nova (liftlab) vous embarquent dans le monde étrange des “urbanités” façonnant notre quotidien. Une chronique décalée et volontiers engagée, parce qu’on est humain avant tout, et urbain après tout ;-) Retrouvez-nous aussi sur Facebook et Twitter (Nicolas / Philippe) !
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Un démembrement dont Luc Joulé et Sébastien Jousse ont filmé les conséquences néfastes en région Provence Alpes-Côtes d’Azur dans leur documentaire sorti le 17 novembre, Cheminots.
Face aux panneaux recouverts de guirlandes de boutons lumineux articulés d’aiguillages, deux hommes vont et viennent depuis leurs écrans de contrôle et la baie vitrée qui donne sur les rails ensoleillés de la Provence. Ils font le même métier mais ont été séparés arbitrairement : l’un gère le fret, l’autre, « l’infra » (pour infrastructure). Un des exemples de l’absurdité des fractionnements imposés par la direction : dans ce même bureau, ces deux agents doivent gérer les mêmes rails mais en ne regardant que leur moitié des trains.
Solidaires, les cheminots observés deux ans durant par les réalisateurs ne se révèlent que dans leurs gestes précis d’artisans des moteurs aux gros cylindres en aorte qu’ils réparent en silence dans des ateliers monumentaux. La peur et l’inquiétude les empêche de parler, « on n’arrive pas l’exprimer » répètent-ils, des quais de la gare de Marseille aux PC d’aiguillage. Ce n’est pas tant leur petite histoire à eux qui les intéresse, c’est plutôt celle d’un idéal de service public, d’une exigence : « avant, si la loco n’était pas prête, on la laissait pas partir, pour des raisons de sécurité, raconte avec les mains un retraité des ateliers d’Arles. Mais ça s’est perdu ça. »
Perdu ? Pas vraiment. Plutôt dilué dans les exigences nouvelles de la direction : « on voit les machines moins souvent », raconte un mécanicien avec affection et inquiétude. Sa pire hantise, c’est l’accident, le déraillement pour une motrice mal révisée… Sans même parler de l’impératif de sécurité, le service lui-même en prend un coup : au montage des trains, des secteurs ont été définis in abstracto, plus question de prendre une voiture à la volée pour combler un vide, alors que « avant, on ne se posait même pas la question, avoue un responsable de l’assemblage. Maintenant, on se les vend [les voitures, wagons et motrices, NdR], on se les loue, ou se les sous-loue ».
Par des situations de tension, que seuls portent les visages de leurs acteurs, Cheminots montre un paradoxe invisible au grand public : nombre d’incidents mis sur le compte de la paresse des agents de la SNCF sont le fruit des mesures préalables à la privatisation que certains usagers espèrent pour améliorer le service. Entre les plaintes et la pression de la direction, les agents se démènent : ce corps qui faisait un tout par ses veines et ses navettes est désormais un étrange labyrinthe où ils continuent d’essayer de guider les voyageurs. Et souffre de mal faire.
Une cohésion, une camaraderie ouvrière reste vivante : on se salue au passage, on s’entraide entre générations… Même si un jeune gars des ateliers des motrices confie que « la direction essaie de me dissuader de parler avec les plus vieux… mais comment je vais apprendre le métier si ce n’est pas avec leur savoir ? » Sur les quais, c’est une autre affaire : les gens qui vendent les billets ne saluent plus les gens de l’accueil, parfois, les agents en gare, même couleur de casquette, même sifflet au cou, ne savent pas le nom de leur collègue, de l’autre côté de la plate-forme. IDTGV, SNCF, Artesia…Ils cohabitent déjà : la privatisation se fond dans les couleurs du service public.
Dans le fret, les locos Veolia sont déjà sur les rails, arrivent « comme des trains fantômes » conduits par des agents du privé qui ne connaissent pas les codes et ne savent pas répondre aux questions des aiguilleurs… Certains craignent les incidents. D’autres savent qu’il y en a déjà eu. Invités par les réalisateurs dans une salle de repos pour regarder le film de Ken Loach, The Navigators, racontant la privatisation du chemin de fer britannique, une équipe salue d’un silence les images. « on refuse d’y croire », lâche l’un d’eux. Mails ils relèvent dans les détails de cette fiction leur présent, comme si l’image seule réussissait à retranscrire leur malaise.
Leur rage est toute entière dans leur silence. Face à Raymond Aubrac, un cheminot bourru lance comme en colère :
« il faut attendre que les gens souffrent pour qu’ils bougent.
-Mais parfois, il faut peut-être leur dire qu’ils souffrent, parce qu’ils ne s’en rendent pas compte ! » Corrige le résistant.
Les résistances, il y en a, marginales mais humaines. Surfinancés par rapport aux TER, les TGV ne doivent souffrir aucun retard aux yeux de la SNCF… Mais quand des petites lignes traînent, certains agents en gare bravent l’interdiction pour éviter aux usagers de louper leur train. Des désobéissances au joli nom de « correspondances sauvages » que la direction n’a pour le moment jamais sanctionné. « Quand chacun des cheminots travaillera pour TER, VFE, ou peut-être Air France ou peut-être Virgin… les choses seront encre pires, s’inquiète le désobéissant. Parce qu’on travaillera plus pour le même prestataire de service et on n’aura même plus besoin d’échanger. »
A deux pas de la gare Saint Lazare, nous avons rencontré Sébastien Jousse, un des deux non-cheminots auteur de ce film.
Il y a une sorte de pudeur familiale, qui est d’autant plus forte que la direction elle-même fait pression sur les cheminots pour qu’ils n’abordent pas le sujet entre eux. De façon générale, la SNCF est un outil qui supporte mal la partition : il y a une notion de coresponsabilité qui a été mise en place par la société de façon quasi militaire et qu’elle démantèle maintenant. L’homogénéité de ce réseau a été remis en cause par cette séparation : ce n’est pas que les agents travaillent plus, c’est qu’ils sont obligés de travailler moins bien. Et ça les ronge de l’intérieur, ils sont paralysés.
Les cheminots ne savent plus comment exprimer leur rôle social : il y a une culture d’entreprise qui a été jusqu’ici un ciment dans cette entreprise et que la direction perçoit désormais comme un frein au changement. Les cheminots ont une identité très fibrée et ça fait partie de choses que nous avons voulu filmer : ce lien entre le travail et l’identité, ce moment où le boulot « fait société » et commence à être plus qu’une façon de gagner sa vie.
Or, il y a comme une ambition des boîtes de briser ce lien en cassant les métiers pour isoler les gens et les rendre malléable.
Depuis qu’on demande aux commerciaux de remplir des reporting, ils ont moins de temps pour se concentrer sur ce qui est le coeur de leur métier : nouer des contacts avec les usagers pour les connaître et mieux les aider.
Dans le film des Lumières, l’arrivée du train anime le quai, il y a des dizaines de personnes qui montent et descendent… Le train anime la société, il la fait bouger : on ne mesure pas notre dépendance vis-à-vis du train, notamment quand il y a des grèves, les gens ont tendance à dire que les trains sont une affaire de cheminot alors qu’ils créent le lien et structurent le territoire. Les trains font société.
Les gens ont tendance à dire que les trains sont une affaire de cheminot alors qu’ils créent le lien et structurent le territoire. Les trains font société.
Et, en regard, ce TER où ne monte que deux personnes feraient hurler n’importe quel responsable politique qui dirait que « ce n’est pas rentable » un train qui ne s’arrête que pour deux voyageurs. Or, c’est exactement le contraire : c’est ça le service public ! La rentabilité ne dicte rien à la société qui peut, du coup, se mettre vraiment au service des usagers. A la City, j’ai rencontré des patrons de société financières qui se plaignaient de la privatisation qu’ils avaient pourtant défendus car la dégradation du service empêchait leurs salariés d’aller au boulot !
Au départ, c’est le comité d’entreprise des cheminots de Paca qui nous a demandé de faire cette résidence artistique, le projet est né au bout de deux ans : nous n’avions eu aucun problème pour tourner, la direction régionale était habituée et un refus aurait posé des gros problèmes avec la représentation syndicale, surtout dans ce coin. Quand nous avons vraiment cerné notre sujet, nous avons eu besoin d’autorisations nationales pour des tournages qui nécessitaient de passer par la communication du groupe. Et là, nous avons essuyé un refus.
Photo FlickR CC No life before coffee ; Michel Molinari ; Giorgio Raffaelli ; Portitzer.
]]>Le Monde de ce matin titre doctement sur le nouveau plan stratégique de La Poste qui, Ô surprise, s’apprête à réduire encore plus sa masse salariale pour, soi-disant, s’adapter à l’érosion de l’activité courrier tout en conservant une belle courbe turgescente de rentabilité.
Ce que ce papier sans mise en perspective ne dit pas, c’est :
De la même manière, les effectifs étant gérés en flux tendu, les absences, que ce soit des congés ou des maladies, entraînent régulièrement des dysfonctionnements de service sur lesquels La Poste reste d’une discrétion exemplaire. Les postiers volants (ceux qui n’ont pas de tournée affectée) sont le plus souvent des précaires qui connaissent peu ou mal leurs secteurs : temps de tri augmenté de manière exponentielle et temps de tournée hors limite.
Mais comme même les volants viennent régulièrement à manquer, une tournée vacante est :
Bien sûr, La Poste nie toute pratique de délestage des tournées, mais dans les faits et les cambrousses, il y a des jours où la petite voiture jaune est aux abonnés absents.
Face à l’explosion de l’habitat péri-rurbain qui augmente significativement les points de tournées et le nombre de foyers par tournée, les nouveaux foyers en lotissement ne sont plus desservis, mais les boîtes sont regroupées à l’entrée du lotissement. Donc, plus de ports de recommandés et de colis : services disparus sans compensation financière.
Et surtout, le modèle à l’espagnole nous guette, avec regroupement des boîtes des petits villages à la mairie, avant de passer directement à la fin de la desserte du dit village, avec boîtes postales obligatoires dans quelques centres de tri cantonaux.
Résultat intéressant de cette stratégie de démolition programmée du service courrier : non seulement, on crée des chômeurs avec un enthousiasme qui ne s’érode jamais, non seulement on ruine la notion de service public sans aucun bénéfice pour l’usager, mais surtout, on crée un gaspillage et de la pollution à tire-larigot, parce que la simple perspective de la rentabilité immédiate ne se préoccupe jamais des conséquences collectives de ses choix.
Si l’on suit la logique stratégique postale jusqu’au bout, d’ici très peu de temps, là où un gus salarié desservait 200 foyers avec une seule voiture, il y aura bientôt un chômeur de plus et 200 péquins qui prendront chacun leur caisse chaque jour pour aller chercher le courrier au bourg à 10 ou 20 bornes de là.
On n’arrête vraiment pas le progrès !
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Billet initialement publié sur le blog Monolecte sous le titre La Poste s’assoit sur le service public.
Image CC Flickr coincoyote et claytron
]]>Laurence a reçu une lettre. Une lettre de l’inspecteur d’académie. Dans sa lettre l’inspecteur lui écrit:
Laurence, si vous ne vous sentez pas capable de faire ce métier, il faut démissionner.
C’est vrai quoi, les places sont chères, et il y a sûrement plein de Claire qui attendent un poste. Dans sa lettre l’inspecteur lui écrit aussi :
Laurence, les elèves ont le droit d’avoir devant eux des enseignants compétents.
C’est vrai quoi, surtout quand il s’agit d’élèves difficiles.
Oui mais voilà. Laurence, elle avait envie et tout aussi certainement besoin de faire ce métier. Apprendre le programme d’histoire ou de mathématiques ou de français, ça Laurence y est très bien arrivée. C’est une partie du métier qu’elle avait choisi. Mais apprendre comment on fait passer un programme d’histoire, de mathématiques ou de français à une classe de 32 élèves de 13 ou 14 ans, ça, on ne le lui apprend plus à Laurence. On la met devant les élèves, on lui colle un “tuteur” enseignant – qui n’est souvent même pas dans le même lycée ou collège qu’elle – et on lui dit débrouille-toi Laurence.
Messieurs.
–Monsieur l’inspecteur d’académie dont je ne connais pas le nom,
–Monsieur Luc Châtel, ministre du management national et de l’éradication nationale des psychologues scolaires**,
–Monsieur Xavier Darcos, ancien ministre de l’éradication nationale de la formation des enseignants,
Vous avez tous les trois des métiers qui doivent certains jours vous paraître aussi difficiles que celui de Laurence. J’ignore si vous êtes ou si vous avez été sous anxiolytique. Que vous portiez tous les trois l’écrasante responsabilité de l’effondrement programmé d’un système, celui de l’instruction publique, passe encore. Que vous ou votre mentor, vous réclamiez régulièrement de l’héritage de Jaurès ou de Jules Ferry, passe encore. Vous pouvez “jouir pleinement de la supériorité reconnue que les chiens vivants ont sur les lions morts” (Jean-Paul Sartre). Après tout, vous êtes nommés ministres ou inspecteur, vous êtes convaincus que le secteur privé peut assurer des missions qui incombaient jusqu’ici aux services publics, dans l’éducation comme ailleurs, et vous mettez en oeuvre le programme permettant de faire aboutir vos idées. Donc acte. “C’est le jeu”. Mais la lettre que vous venez tous les trois d’envoyer à Laurence signe la fin de la partie.
Avec cette lettre cesse le jeu et commence l’indéfendable. Supprimer la formation des maîtres, placer ces nouveaux maîtres “dans des classes”, attendre que certains d’entre eux s’effondrent, et leur signifier par courier hiérarchique que “les élèves ont le droit d’avoir devant eux des enseignants compétents” et que le cas échéant ils feraient mieux “de démissionner”, est une stratégie managériale ayant effectivement déjà fait ses preuves, et dont l’avantage est de révéler à ceux qui l’ignoreraient encore l’étymologie du mot “cynisme”. Comme des chiens. Vous avez, “messieurs qu’on nomme grands”, merveilleusement contribué à l’enrichissement de l’horizon sémantique du cynisme : ce qui était au départ le seul mépris des convenances sociales, désignera désormais également le total et absolu mépris de l’humain.
Un nouveau cynisme dont l’alpha et l’oméga est constitué de la seule doctrine managériale. Une machinerie implacable, chez France Télécom comme dans l’éducation nationale désormais, qui fabrique des Laurence dans le seul but de les broyer, pour s’économiser l’annonce d’un énième plan social, pour accélérer encore un peu le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.
Vous avez, messieurs, parfaitement raison sur un point : les élèves ont le droit d’avoir devant eux des enseignants compétents. Mais vous avez patiemment, minutieusement, laborieusement transformé l’école de la république en un immense tube digestif. Une machine à bouffer de l’humain.
D’un tube digestif il ne peut sortir que de la merde. C’est pas du management, c’est de la biologie.
J’ai souvenir d’une école de la république d’où sortaient des citoyens.
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Article initialement publié sur Affordance.info
Illustration CC FlickR par …::: Antman :::…
]]>Danger oui, car la télé publique n’est pas destinée à devenir la télé de retraités qui, faut-il le rappeler, ont majoritairement voté Sarkozy en 2007… Sans compter que la redevance est payée par tous les Français. En plus, aux retraités, TF1 leur fournit déjà de belles images d’une France mythifiée grâce au journal de mister Pernaut. Le 13 heures de TF1, c’est un peu comme une vieille horloge chez notre grand-mère, ou ces enregistrements vidéo montrant un aquarium en continu, c’est un meuble immonde qui prend la poussière.
Mais la « pernauïsation » de l’info guette l’ensemble des JT, et notamment ceux du « service public ». Il suffit de voir le nombre d’images d’archives en noir et blanc utilisées par le journal de 20 heures sur France 2 pour s’en rendre compte. Ça se veut « pédago » (« Mais coco, c’est normal, les Français sont cons, et puis, il faut bien éduquer les jeunes »), mais de plus en plus, ça ressemble aux actualités d’avant-guerre façon Pathé, qu’on regardait sur La Sept Arte dans l’émission culte « Histoire Parallèle » du grand historien Marc Ferro.
Sauf que là, on est en 2010, et que ce n’est pas une émission historique. Mais, « coco », il est toujours plus facile de rechercher des images d’archives plutôt que d’apporter une vraie analyse aux téléspectateurs, sans parler d’info tout court, en dehors des sacro-saintes dépêches AFP. Il ne faudrait surtout pas prendre de risques ou se fatiguer…
Depuis des années, le traitement médiatique de nos chères « banlieues » est juste affligeant. Anecdote : pour rechercher des « témoins » issus des quartiers « sensibles », Arlette Chabot, ancienne directrice de l’information de France 2, puis de France Télévisions, avait convoqué un jour Dominique Le Glou, rédacteur en chef au service des sports de la chaîne, juste parce que ce dernier est originaire de Seine-Saint Denis, et y a habité jusqu’à encore très récemment !
Preuve manifeste de la distance sociale écrasante qui existe entre une élite politico-médiatique enfermée dans le triangle – Neuilly (M6), Boulogne (TF1, Canal+), 15e arrondissement (France Télévisions) –, véritable ghetto télévisuel, et la grande majorité de la population de la capitale. Il est vrai que les stagiaires de la rédaction viennent rarement du 93… mais plutôt d’écoles de journalisme socialement endogames (filles et fils de profs, de cadres, de hauts fonctionnaires…). Les enfants de diplomates ou de ministres profitent également des passe-droits de papa maman pour pouvoir faire mumuse devant les caméras.. Vous n’avez pas remarqué le nombre de jeunes journalistes à la télé qui jouissent aujourd’hui d’un nom à particule ? Sans parler des « filles et fils de ».
Dans le même temps – à part peut-être lors de l’époque Sérillon – les infos sur les chaînes publiques ont depuis longtemps abandonné le terrain de l’international ou de l’Europe. Les correspondants sont sous-utilisés. Ces dernières années, les heureux nommés ne connaissent souvent que très superficellement les pays qu’ils sont chargés de couvrir, à de rares exceptions près – Charles Enderlin en Israël, Phlippe Rochot en Chine, ou Dominique Derda en Afrique, mais que dire de Jacques Cardoze à Londres, de Maryse Burgot à Washington ou d’Arnaud Boutet à Berlin… – et les envoyés spéciaux n’ont que rarement les moyens pour partir longtemps en reportage.
Exemple : les manifestations en Iran au printemps dernier n’ont pu être couvertes sur place, car l’envoyé spécial présent là-bas est revenu à peine quelques jours avant le début des événements. Autre symbole : à peine 1 minute 30 a été consacrée par Pujadas au discours du Caire du Président Obama, mais toutes les équipes de reportage ont été réquisitionnées durant une journée entère pour couvrir sa courte visite en France, tout ça pour faire mousser « super Sarko ». Ou alors en période de championnats du monde ou de JO, on passe de longues minutes sur les médailles tricolores… ou la « grève » de joueurs de foot.
Aujourd’hui, en tant que journalistes, nous sommes de véritables incendiaires, par rapport à la situation internationale. Par notre traitement sensationnel, nous développons les antagonismes sans donner les véritables clés aux téléspectateurs
se désespère un grand reporter de la deuxième chaîne… Qui se souvient que Pujadas le 11 septembre 2001, s’était exclamé « génial » devant une équipe de Canal + au moment où le deuxième avion percuta le World Trade Center ? Dans les couloirs, des journalistes dénoncent même le « pujadisme » ! Une information nombriliste et nationaliste…
En 2005, lorsque Patrick de Carolis, l’ancien président de France Télévisions prend ses fonctions à la tête de la télé publique, quelques jours plus tard, Clichy-sous-Bois et de nombreuses villes de la région parisienne s’embrasent. Les médias internationaux s’interrogent avec leurs gros sabots sur le modèle d’intégration à la française. Les cars de retransmission déboulent au cœur des « cités ». Certains journalistes de la presse parisienne découvrent pour la première fois les copropriétés de Clichy et le plateau de Montfermeil – « t’as pas l’impression que ces immeubles ressemblent à un univers concentrationnaire ? », me souffle un « grand reporter » à l’époque. Ou encore :
Tu sais, c’est la première fois de ma vie que je prends le RER
me confie une collègue journaliste. Quelques jours auparavant, une journaliste du Journal du Dimanche dans un portrait du maire de la ville, Claude Dilain, avait d’ailleurs écrit : « dans les rues tristes de Clichy, les rares passants ont l’habitude de baisser la tête ». Comme si le 15e arrondissement de Paris était plus joyeux…
FT : 70 % du public de la fiction a plus de 50 ans
Mais Patrick de Carolis s’intéresse davantage au passé de la France, lui qui produisait et animait l’émission « culturelle » Des Racines et des Ailes. De belles cartes postales en somme… Durant son mandat, et sous la houlette de son numéro 2, Patrice Duhamel, il va ainsi mettre à l’antenne de grandes fictions historiques et « patrimoniales » du type Maupassant. Si les premiers essais rencontrent un certain succès d’audience, depuis ces programmations patinent, et rassemblent un public toujours plus vieillissant. Selon une étude de 2009 de la « direction des études » de France Télévisions, 70 % du public de la fiction a plus de 50 ans. Les nombreux schémas de ce dossier confidentiel sont sans appel : seules les séries américaines comme FBI, portés disparus, ou Cold Case, arrivent à rassembler un public plus divers.
À peine 25 % des téléspectateurs des téléfilms Chez Maupassant, saison 1 et 2, avaient moins de 50 ans. En moyenne, sur 100 personnes qui regardent une fiction sur France 2, 53 sont âgées de plus de 60 ans (dont 34 femmes) ; 20 ont entre 50 et 59 ans (dont 13 femmes). Seulement 17 adultes ont entre 35 et 49 ans, et 7 jeunes adultes entre 15 et 34 ans. À titre de comparaison, TF1 en 2007-2008 en programmant notamment Les Experts Miami le mardi soir, arrivait à rassembler 60 % de moins de 50 ans sur cette tranche, même si la première chaîne souffre également d’un vieillissement (mais moins prononcé) de ses fictions françaises traditionnelles.
Au printemps dernier, le vieux sage Hervé Bourges, 77 ans, ancien président de TF1 publique, de France Télévisions et du CSA, poussait une gueulante contre les maigres résultats de la télévision publique concernant la « diversité » :
France Télévisions n’est pas encore la télévision de tous les Français
critiquait-il en rendant à Carolis le rapport du comité permanent de la diversité à France Télévisions qu’il préside.
Et Bourges d’enfoncer le clou : ma télé publique n’est pas assez colorée à l’antenne et elle l’est encore moins en interne. Il signale des cas de discrimination et, surtout, le manque de cadres sensibles à ces questions. Le comité en profita pour présenter des préconisations. En réponse, Patrick de Carolis ne manqua pas de culot : « Ce n’est pas la télévision (…) qui édicte la règle sociale. (…) On ne peut pas reprocher à la télévision la monochromie des élites françaises qui (…) occupent une partie de l’espace médiatique ». Surtout, ne changeons rien…
Une nouvelle fois, Carolis s’est donc laissé aller à un satisfecit facile. Mais le gardien du temple, Bourges, lui a rappelé les vrais enjeux pour la télévision publique. Pour lui, si la diversité sur les écrans français revêt un « enjeu éthique et citoyen », il constitue aussi un « enjeu économique ». Car « la diversité peut amener vers France Télévisons un public plus jeune » qui permettra notamment à l’audiovisuel public de « rester au centre du paysage audiovisuel français ».
Et il y aura du boulot… Au début de l’année, une grande réunion entre le comité permanent de la diversité et plusieurs cadres et producteurs de France Télévisions fut l’occasion d’un grand festival de mauvaise foi. À part peut-être la productrice Simone Harrari soulignant devant le comité que « des études ont été menées en Grande-Bretagne et ont suggéré d’inclure dans les programmes adressés à des communautés en particulier pour éviter le risque de se couper d’une partie du public », et déplorant que « ce genre d’initiatives ne risque pas d’y voir le jour car la France n’est pas un pays communautariste ».
La productrice Catherine Barma, elle, botte en touche : « Il y a certainement des raisons à la faible présence, d’une manière générale des personnes issues de la diversité dans l’actualité et, par conséquent dans les médias. Dans ce contexte, le rôle d’une productrice montre là ses limites pour ses interventions dans ce domaine ». Comme si « l’actualité » était une donnée naturelle qui s’imposait à tous, et notamment aux acteurs du monde médiatique ! Mais Catherine Barma préfère rappeler que les quatre animateurs qui présentent les quatre émissions qu’elle produit pour France Télévisions « incarnent chacun la diversité culturelle française, avec leur talent avant tout, mais avec leur origine également et également leur vie respective et leur expérience… » Dans le lot, on trouve: Laurent Ruquier, Frédéric Lopez, Daniel Picouly, Mustapha el Atrassi. Test quiz : cherchez les gays parmi eux…
Au service des Sports – connu par la fraîcheur de ses présentateurs –, Daniel Bilalian se permet des remarques proches du grand n’importe quoi. Premier constat du patron du service : « La diversité dans le domaine des sports est à l’antenne chaque jour ou presque, dans la mesure où nombre de champions d’origines ou de nationalités les plus diverses sont présents à l’occasion des directs et des reportages ». C’est bien connu : les Noirs jouent mieux au basket ou courent plus vite…
Autre remarque de « Bil »: « Pour ce qui concerne les journalistes, nombre de cameramen sont issus de la diversité ». En plus, les cameramen sont souvent mignons, mais ça tombe mal, on les voit rarement à l’écran… Justement, le petit père Daniel se félicite que l’une des deux commentateurs « vedettes », Kader Boudaoud, soit « présent sur les plus grands événements de football ainsi qu’à Stade 2 ». C’est vrai que ça change de Nelson Montfort, Patrick Montel ou Lionel Chamoulaud. Et pour finir ce festival, Bilalian explique même que « le directeur des sports est lui-même représentant de la diversité », en faisant allusion à ses origines arméniennes. Qu’est-ce qu’on rigole.
Le prochain feuilleton de France 2, "Plus blanche la vie", une passionnante saga avec de supers acteurs.
Les autres cadres de France Télévisions interrogés par le comité évoquent chacun « leur » « personne issue de la diversité », et tentent tant bien que mal d’évoquer les projets pouvant s’y rapprocher : commémoration du Cinquantenaire des indépendances africaines, une émission à la Réunion et une autre en Tunisie du magazine Des Racines et des Ailes, le concert de soutien à Haïti (sic)… Une responsable des programmes note également sans rire que l’émission de débat Ce soir ou jamais (France 3, présentée par Frédéric Taddéi), « aborde des thèmes concernant notre société, ainsi “Faut-il une loi pour interdire la burqa ?”, “Le retour du CV anonyme”, “Identité nationale, pourquoi en débattre ?”, “La Suisse et les minarets”, parmi tant d’autres ».
On retrouve la même expression de la « diversité » chez Patricia Boutinard-Rouelle, directrice de l’unité de programme documentaires, qui remarque que « les questions liées à l’intégration des populations d’origine étrangère sont également traitées : le voile islamique, les violences faites aux femmes, les bandes violentes… » On dirait du Zemmour… De leur côté, les producteurs dénoncent en chœur les problèmes d’organisation interne de France Télévisions, et le « guichet unique » qui aurait été installé sous la présidence Carolis. Bref, comme d’habitude, ces derniers ne se prononcent pas sur le contenu de leurs programmes, mais sur la manière dont ils vont réussir de les refourguer. Enfin, Patrice Duhamel, ex-numéro 2 du groupe, fait dans la méthode coué : « France Télévisions a l’intention d’être proactif sur cette question ».
En réalité, France Télévisions et ses producteurs sont incapables de ressentir la société telle qu’elle se vit aujourd’hui. « Avec [mon téléfilm] Clara Sheller, j’ai choqué les hautes sphères du service public », dénonce son auteur Nicolas Mercier à Têtu.com en mai dernier. Quoi de plus normal quand un récent numéro Des Racines et des Ailes consacré à Paris, et au quartier du Marais, n’évoque nullement la présence de la culture gay dans ses rues !
Encore plus récemment, le numéro de Complément d’Enquête sur l’affaire Bettencourt consacre un reportage à François-Marie Banier, sans évoquer une seule fois le mot « homosexuel » ou « gay ». Les journalistes préfèrent user de sous-entendus et de formules alambiquées. Ils évoquent ainsi « un homme discret », « un enfant atypique », « un adolescent tourmenté », un « Bel ami »… Alors même que Banier a toujours été « out ». Avec la télé publique, le placard est de mise, obligatoire même : il ne faudrait surtout pas effrayer les grands-mères des maisons de retraite…
Plus globalement, l’unité culture de France 2 ne s’occupe que d’opéra, de musique classique, ou de peintures du Louvre. Les cultures urbaines n’ont pas leur place sur France Télévisions. Un seul magazine diffusé sur France 5, intitulé « Teum teum » (abeugeubeu), est consacré aux banlieues, et encore, en présence d’un « people » qui s’y déplace. Ça fait plus classe… Depuis la suppression malheureuse en 2002 de l’émission culte Saga Cités, bien peu de choses ont été faites… ou plutôt quasiment rien.
D’ailleurs, Rémy Pflimlin, le nouveau président de France Télévisions, a décidé de nommer Bertrand Mosca « directeur délégué aux programmes, chargé de l’innovation, des nouvelles cultures et de la diversité ». Tout un programme… Mosca, 54 ans, avait été directeur des programmes de France 3 quand Rémy Pflimlin, le nouveau président de France Télévisions, dirigeait la chaîne. Il était précédemment directeur des programmes jeunesse de la chaîne dans les années 1990. Et bien avant… pigiste à Gai Pied. On lui doit des programmes tels que C’est mon choix (produit fort cher par Reservoir Prod, la boîte de Delarue, les chiffres sont à découvrir dans France Télévisions off the record), les Minikeums (ou on trouvait un petit Black) ou le feuilleton quotidien Plus belle la vie (où les téléspectateurs on découvert des couples homos !).
Sa mission : rajeunir enfin les antennes du groupe.
Et si c’était trop tard ?
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Marc Endeweld est auteur du livre France Télévisions off the record, Flammarion (Fnac, Amazon, Des Livres, Decitre)
Billet initialement publié sur Minorités.
Images CC Flickr Kofoed, esc.ape(d), Thomas Hawk et Wisconsin Historical Images
“I don’t want to go to a government office to do a government thing. It should all be online (…) That saves time for people and it saves money for the Government — the processing of a piece of paper and mailing it back costs many times more than it costs to process something electronically. There will come a point where you don’t need all the physical offices any more.”- Sir Tim Berners-Lee
Dans un plan, qui sera prochainement annoncé, la BBC prévoit de fermer deux stations de radio (Station 6 Music et Asian Network), la moitié de son site web ainsi que de réduire ses dépenses sur l’importation de programmes américains.
Le budget du service web sera amputé de 25% et il en va de même pour les membres du personnel. Mark Thompson, directeur général de la BBC, a d’ailleurs rencontré les syndicats. Ceux-ci sont inquiets car six cents emplois sont menacés. Le site web de la BBC devrait à l’avenir traiter plus de sujets d’actualité et moins de sujets magazine.
Mark Thompson prévoit également de fermer BBC Switch et BBC Blast. Les deux chaines, qui s’adressent à un public entre 15 et 30 ans, sont très populaires. Si elles disparaissent, le marché reviendrait à ITV et Channel 4.
Le secteur sportif prend, lui aussi, un coup dans l’aile. En effet, les dépenses liées aux droits de retransmission, pour les événements sportifs, seront revues à la baisse.
Le budget global de BBC 2 sera quant à lui, revu à la hausse. 25 millions devraient lui être attribués.
Plus de 90 000 personnes ont déjà manifesté leur mécontentement sur le web, à propos de la fermeture de BBC 6 Music. Sur le site de réseau social Facebook, plusieurs groupes ont déjà été créés pour sauver la station de radio. Du côté des artistes, ça bouge aussi. Dan Bull, compositeur anglais, a écrit une chanson intitulée “Dear Auntie (An open letter to the BBC)”. Voici la vidéo :
Cliquer ici pour voir la vidéo.
Tout ceci ne serait-il qu’un jeu politique ? La BBC semble se préparer au scrutin de mai prochain. Les conservateurs sont donnés grands favoris. Problème ? Les Tories sont soutenus par les médias de Rupert Murdoch. James Murdoch, le fils du magnat de la presse, est très critique vis-à-vis de la BBC. La chaine représente, selon lui, une concurrence trop importante pour le “Times” et “The Sun”. Jeremy Hunt, ministre de la Culture (Parti Conservateur), entend avoir une discussion avec la BBC au sujet de ses activités.
Pour plus d’informations sur ce sujet, voici quelques liens :
“BBC signals an end to era of expansion” – Times Online
“BBC chairman Sir Michael Lyons admits licence fee cut possible” – Times Online
]]>Billet initialement publié sur Around the news
Photo A Princess sur Flickr
Je lis avec passion les analyses de mes comparses d’aventures éditoriales on-line et en particulier ici, sur la “crise de la presse”, “l’avenir des médias”, la “révolution internet” (…) et je m’étonne d’un point commun, d’un fil rouge, d’une évidence incontestée : les médias doivent réinventer, chercher, retrouver, un “business model”.
Un média devrait forcément être rentable ? Non!
Qui ose dire ceci ? “Un média doit arriver à l’équilibre, comme toute bonne entreprise”, vous confirmera toute tête bien faite … Et bien pensante ! Je connais pourtant des médias qui ne perdent pas d’argent. Souvent, ce sont aussi ceux qui n’aspirent pas à en gagner en temps que tel.
Ces médias, des blogs, des réseaux associatifs, des pure-players et média sociaux, entre-autres (parlons chacun de ce que l’on connait véritablement ;) ) qui trouvent leur “économie” ailleurs, autrement, n’en sont pas moins indépendants. Non, un média, le média, ne doit pas forcément être rentable, en soi. Il peut et (doit ?) s’inscrire dans un écosystème.
C’est ce que tentent par exemple de faire, de façon différente, les PME derrière Rue89 ou Owni, entre autres exemples. Diversifier les sources de revenus. Vivre d’autres chantiers, de métiers et de savoir-faire connexes et pas forcément de son audience, de sa seule production éditoriale. Cela veut dire penser autrement la “sallederedaction.com” à l’heure de “l’infobésité” et intégrer l’économie “à rebond” ou plutôt l’écologie, celle de la recommandation, du lien et de la réputation.
L’audience serait le Saint Graal. Halte ! Que dit “la demande” ?
Il en va de cet axiome “l’audience doit être croissante et cette croissance doit être constamment cherchée” comme du culte de la croissance en macro-économie et donc en politique. Non, ce n’est pas évident. L’audience n’est pas la seule fin qui vaille, même si l’on ne fait pas acte de journalisme pour soi. Et ce n’est pas élitiste que de dire cela si l’on considère qu’il n’y a pas un (seul) modèle et que peuvent co-exister des artisanats pluriels.
L’audience d’une source, d’une marque, d’un propulseur, est à regarder inscrite dans un réseau, un maillage de flux, de recommandations, d’agrégateurs, de “curators”. Aussi une pépinière ou des réseaux de médias sociaux dont aucun ne dépasserait seul les 100 000 VU/mois aurait sens et poids à partager lignes de codes, community managers et autres serveurs, par exemple.
Ni les barrières et péages on-line ni la quête seule du Graal publicitaire (ou de l’appli magique) ne contenteront aucun business plan qui ne saurait se réinventer, s’ouvrir vraiment. La rédaction est peut-être “morte”, les médias en aucun cas. Reste que ce far-west persistant qu’est le paysage médiatique français (et pas seulement) à l’heure de la grande recomposition numérique manque cruellement d’offre qualitative et de radars vers cette offre. Mais aussi semble-t-il de demande, ou d’adéquation avec la demande.
L’accès à Internet et à l’information est-elle un service public ? Oui !
C’est ma marotte. Et plus le temps passe plus j’en suis convaincu. Par delà les questions de “business model” et de course à l’audience ou à l’échalote, l’idée même qu’une “économie” au sens libéral du terme, est forcément nécessaire à la préexistance de tout en ce bas monde me pose question.
N’y a-t-il pas la place pour un beau débat ici ?
> Que pourrait-être un service public du web et de l’information on-line ?
Tenter de fédérer le travail de plumes, de journalistes, de chercheurs et autres blogueurs et veilleurs n’est-il pas en ce sens un (bon vieux) service rendu au public, dont les expériences auraient un intérêt (général) à se multiplier ?
Comme de redoutables “conservateurs” de musées (traduction horripilante de “curators”) qui joueraient les “metteurs en scène” exigeants de perles découvertes dans leurs navigations devenues granulaires, des millions d’être humains, IRL, compilent, sélectionnent et donnent à voir et à penser des URL remarquables.
Cette médiation culturelle a une valeur sociale considérable. Ensemble, HomMedias, Digital Journalists, News Hackers, nous sommes les néanderthaliens d’un continent neuf : le web, ce média pas comme les autres.
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Images CC: Thomas Hawk, Patrick Gage, Irina Souiki /-)
]]>Mais la question du financement des chaînes du groupe France Télévision et de Radio France reste à l’ordre du jour, notamment en vertu des réglementations européennes. Les taxes imposées aux chaînes privées chiffonnent quelque peu Bruxelles. En effet, l’Etat accorde une aide financière à toutes les chaînes publiques et ce, semble-t-il, au détriment des règles de concurrence mises en place par la Commission Européenne.
Cette loi qui fut votée à l’emporte-pièce au mois de janvier 2009, suite à la réforme voulue par le Chef de l’Etat en janvier 2008 avait fait les choux gras de la presse, fait naître maints débats sur le financement du service public… fallait-il faire casquer les spectateurs en augmentant le redevance ? Créer un nouvel impôt ? Une nouvelle taxe ? Qui taxer ? réponse facile du gouvernement : les chaînes privées. (lire à ce propos)
Et là, le bât blesse… l’aide de 450 millions d’€ accordée par le France au service public sera issue de fonds collectée auprès des opérateurs de téléphonie mobile (qui n’ont pas plus de rapport avec le service publique que la cirrhose avec l’eau minérale des Vosges) et auprès des TF1, C +, M6 et consort… Le privée finance le public dont l’Etat à voulu qu’il soit débarrassé d’une partie de ses financements… Sans pour autant qu’il soit question d’illogisme voire d’absurdité dans ce mode de financement qui n’avait jamais été prévu a priori, il s’agit tout de même d’une règle d’un nouveau capitalisme absolument délicieuse où l’on demande à des concurrents de se financer entre eux. Une façon comme une autre de faire évoluer le kolkhoze…
Toujours est-il que la Commission siégeant à Bruxelles n’a visiblement pas le même sens de l’humour que le Gouvernement qui avait pris ces décisions. Les nouveaux taxés pourraient intenter une action auprès de l’Europe au nom du respect des règles de concurrence. Les pubs des chaînes privées financent les non-pub du service publique. Ubu es-tu là ?
Derrière la question du financement et des aides de l’Etat au secteur public se pose la question de la mission dudit service. Jusqu’à preuve du contraire, il doit rendre service au public, proposer des programmes de qualité, culturel.. etc. Tout cela avait été voulu par Nicolas, le grand pourfendeur d’un renouveau de France Télévision. On constate cependant qu’Intervilles est toujours diffusé sur F3 au nom, sûrement, du mieux-disant culturel…
Justement, quand dans le cadre des missions qui lui sont allouées, les chaînes publiques achètent à prix d’or, pour rester dans le peloton de tête des audiences des séries, du foot, de l’athlétisme récemment ou des jeux à faire frémir d’angoisse, quid de la mission de service public ? Tel est la question posée par Bruxelles à l’Elysée. Quatre mois d’enquête vont être menées pour faire un point clair sur ce qui est fait de cette aide de l’Etat via les chaînes privées.
La remise en cause de cette loi est dont patente… alors que la suppression totale de la publicité est prévue fin 2011. En dehors de ces 450 millions problématiques, l’Etat devra trouver une solution et 200 millions d’euros annuels pour financer le service publique dont on peine toujours à voir la différence de programmation face aux concurrents privés…
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