OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Sur les traces de la PirateBox http://owni.fr/2011/04/20/sur-les-traces-de-la-pirate-box/ http://owni.fr/2011/04/20/sur-les-traces-de-la-pirate-box/#comments Wed, 20 Apr 2011 08:20:26 +0000 microtokyo http://owni.fr/?p=56561

Passer un week-end à la campagne a du bon : rien de tel qu’une randonnée pour entretenir vos muscles et voir les effets de la rurbanisation. Se mettre au vert, c’est aussi l’occasion d’un apéro au cours duquel vos amis vous soufflent votre prochain sujet de post. Samedi soir, c’est donc au pote/DJ/producteur de drum n’bass-dubstep Jean Zar de délivrer le précieux mot clé : PirateBox. Qu’il soit à nouveau remercié ici, la notion de piratage urbain me taraudant depuis la visite de la Demeure du chaos.

Les corsaires du XVIIIe siècle auraient pu se cantonner aux cours de récré si leurs aspirations ne nourrissaient pas aussi celles des adultes. Que mettent en scène des œuvres aussi différentes que la saga Pirates des Caraïbes et le célèbre essai d’Hakim Bey, TAZ [pdf] - Zones d’autonomie temporaire (1997) ? Des individus réunis dans des espaces démocratiques où chacun échange et partage librement, en marge d’un État centralisateur distillant l’information au compte-goutte à ses populations. À moins d’être vraiment réac’, comment ne pas adhérer ?

Hadopi, muse des hackers ?

Intéressons-nous à Bey. Dès le début du web, il voit dans ce réseau non hiérarchisé d’informations le terreau idéal pour ses zones temporaires d’autonomie. L’évolution de la marche mondiale lui donnera raison :

Comme Gibson et Sterling, je ne pense pas que le Net officiel  parviendra un jour à interrompre le Web ou le contre-Net. Le piratage de données, les transmissions non autorisées et le libre-flux de l’information ne peuvent être arrêtés. En fait la théorie du chaos, telle que je la comprends, prédit l’impossibilité de tout Système de Contrôle universel. Le web n’est pas une fin en soi. C’est une arme.

Une arme ? Plutôt un arsenal : co-production de logiciels libres, hackers, espaces d’expression participatifs et communautés affinitaires sont autant de techniques permettant de contrer lois et monopoles.

Dernière pépite française en date, Hadopi, ou comment faire la chasse aux internautes soupçonnés de télécharger illégalement des fichiers sur le principe du mouchardage. Dans un premier temps, des acteurs privés comme les ayants droit et les éditeurs épient puis dénoncent les adresses IP des ordinateurs incriminés en s’invitant dans les échanges  peer-to-peer. Le ver est dans le fruit.

C’est ensuite Hadopi (donc l’État) qui sévit : mails d’avertissement, lettres en recommandé, amende, voire suspension de connexion ou procès. Surveiller et punir, on connaissait déjà la chanson. C’était sans compter sur la débrouillardise des internautes fort empressés d’appliquer la stratégie de la disparition si chère à Nietzsche, Foucault et Deleuze. S’extraire du regard omniprésent de la loi en cryptant l’adresse IP de son ordinateur personnel ou en indiquant une fausse.

Le développeur allemand I2P [en] propose ainsi un réseau d’adresses IP anonymes. Le navigateur libre Mozilla va dans le même sens en proposant la fonctionnalité Do not track [en]. Cette stratégie renvoie peut-être à deux demandes de liberté plus fondamentales : celle d’échanger librement des paroles et des fichiers, et celle d’utiliser le web anonymement, en toute privacité , sans être traqué par d’innombrables mouchards – sites, navigateurs et moteurs de recherche en tête. Les données de votre connexion Internet engraissent bien des informaticiens et des marketeurs !

Elle revient à moins de 100 euros

Si cette dernière phrase vous donne la chair de poule, c’est que la PirateBox [en] est pour vous. Conçue par l’universitaire new-yorkais David Darts [en], c’est une boîte à repas pour enfants… abritant une plateforme WiFi portable permettant de chatter et de partager tous types de fichiers dans le plus parfait anonymat. Sobrement composée d’un routeur wireless, d’un serveur Linux connecté à un disque dur USB et d’une batterie, la PirateBox permet à tout internaute se trouvant à proximité de se connecter et d’échanger avec les membres du réseau. De quoi satisfaire les plus mobiles d’entre nous !

Fonctionnant en réseau fermé (pas de raccord avec d’autres box ou d’autres sites), les avantages sont nombreux : le caractère éphémère et hyperlocal du réseau permet de rencontrer de nouvelles têtes partout où se trouve une PirateBox. On rompt ainsi avec l’entre soi assez typique des communautés supposées plus ouvertes (Facebook, QuePasa…).

D’autre part, le fait que la box n’enregistre ni votre adresse ni votre historique de navigation permet d’échanger des fichiers sans risquer de passer sous les fourches caudines des sbires d’Hadopi. Mobilité, privacité et simplicité semblent les atouts de cette box enfantine. Histoire de joindre l’utile à l’agréable, le design du skull apporte un doux parfum de détournement.

Mais le plus fort dans cette affaire, c’est que, dans le plus pur esprit Do It Yourself, vous pouvez monter une PirateBox vous-même pour moins de 100 euros. David Darts est un mec bien, il vous laisse les tutoriels ici [en] ! On vous sent brûlant d’impatience, regardez ce petit docu :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Déjà utilisée à NYC, Oslo ou Paris, la boîte pirate est bien plus qu’un simple gadget technologique. En misant sur son caractère artisanal et privatif, elle relativise la notion (si tendance) de trace numérique.

À l’heure où l’on parle à tout bout de champ d’éditorialisation participative de la ville, la Box semble remixer plusieurs leitmotivs alternatifs : la générosité et la bonne humeur hippie, le no future punk des années 70, la méfiance des radios rock face aux industries culturelles et l’anonymat des  raves parties des années 1990.

La PirateBox n’en finit pas avec les traces. Elle permet aux usagers à la fois d’en laisser entre membres du réseau (amitiés naissantes, partage de fichiers et de valeurs), et de ne pas en laisser à leur insu à des acteurs du web intéressés par l’argent et/ou le pouvoir.

Le savoir, j’y ai droit !

On le sait, la technologie n’est qu’un outil. Elle ne donne ni le mode d’emploi clé en main ni le sens à la société qui l’utilise. Toute généreuse que soit la PirateBox, elle ne résout pas la confusion qui s’opère souvent entre désir d’accès pour tous au savoir et protection des droits d’auteurs. A moins de devenir soi-même un tyran, on ne peut systématiquement en appeler à la générosité forcée de celles et ceux qui créent quelque chose de leur tête et/ou de leurs mains.
Risquons-nous à cette banalité : en ce monde où il est difficile de ne vivre que d’amour et d’eau fraîche, il est légitime pour un créateur de vouloir et pouvoir gagner sa vie avec son travail. La PirateBox aurait t-elle le même potentiel d’effet pervers que les échanges peer-to-peer ?

David Darts propose la Free Art Licence [en], sur le principe du copyleft, double jeu de mot par rapport au copyright. Parmi les grands axes de celui-ci, copying in not theft !. En d’autres termes, un auteur peut autoriser la copie, la diffusion, l’utilisation et la modification de son œuvre par des tiers.

Sans être juriste, on peut se rappeler ce que disait le sociologue Marcel Mauss il y a près d’un siècle : toute société, à commencer par celles traditionnelles non régies par l’argent roi, fonctionne sur le principe du don et du contre-don. Le fait d’avoir toujours une obligation de réciprocité, fut-elle symbolique (reconnaissance, soutien, participation), permet d’équilibrer les rapports sociaux et rend possible davantage d’égalité. Ce que fait l’autre est à la fois un don et un dû dès lors que je m’inscris dans la même logique d’échange.

Cette PirateBox, on l’aime parce qu’elle est accessible à tous, nous fait gagner en privacité et facilite la diffusion du savoir hors des seuls paramètres du profit. On l’aime aussi en ce qu’elle est un outil de questionnement sur nos pratiques de téléchargement et notre rapport à la production d’œuvres. Le débat amorcé par les licences libres et l’éthique sont de bonnes pistes.

Par exemple, cette maxime de la plate-forme de labels musicaux indépendants, CD1D : télécharger c’est découvrir, acheter c’est soutenir. Mais aussi, celle de Lénine reprise par quelqu’un de plus pacifique, Edgar Morin : moins mais mieux.


Publié initialement sur le blog Microtokyo, sous le titre, Avec la Pirate Box, partager votre butin !
Crédits photos et illustrations :
Photos de la Pirate Box par David Darts [cc-by-nc-sa] ; Logo du Copyleft stylisé pirate ; Leaker-Hacker par Abode of Chaos [cc-by] sur Flickr

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La démocratie inachevée http://owni.fr/2010/02/02/la-democratie-inachevee/ http://owni.fr/2010/02/02/la-democratie-inachevee/#comments Tue, 02 Feb 2010 12:01:24 +0000 Thierry Crouzet http://owni.fr/?p=7544

L’idéal démocratique ne s’accomplira que si nous envisageons tous les modes possibles d’organisation de la société, et non seulement le modèle pyramidal qui implique la représentation de type monarchiste. Certains secteurs de la société ont peut-être besoin de pyramidal, d’autres non. Seulement, faudrait-il accepter les autres possibilités ! Nadia vient de me faire repenser à ces questions par ses questions.

Qu’est-ce que l’auto-organisation ?

Un système est auto-organisé quand il n’a pas besoin d’un organe de contrôle central pour fonctionner (structure non pyramidale). J’ai souvent donné l’exemple des oiseaux qui volent en flotte ou des paquets TCP/IP sur le Net. On peut dire la même chose des piétons sur les grands boulevards ou dans les couloirs du métro.

Auto-organisé ne veut pas dire inorganisé, mais que l’organe de contrôle est distribué. Cet organe qui prend en général la forme d’un jeu de règles que respectent les agents, peut apparaître au cours de l’évolution, des règles étant peu à peu sélectionnées parce qu’elles offrent quelques avantages au système.

Nous-mêmes, qui résultons de ce phénomène d’auto-organisation, pouvons imaginer des règles a priori et vérifier si elles mènent à des auto-organisations. Cette approche passe par des simulations. Dans le domaine technique, on s’en tire à peu près, notamment en s’inspirant de la nature. Mais c’est plus difficile pour faire interagir des gens, ce qui implique des expériences à petites échelles avant d’imaginer les généraliser.

Nous ne faisons aujourd’hui que balbutier la politique de l’auto-organisation. On a vu quelques amorces lors des campagnes électorales aux États-Unis. Al-Qaeda est passée maître dans cet art. Quelques entreprises le pratiquent.

Mais il ne faudrait pas oublier qu’une bonne part de notre société est déjà auto-organisée de manière implicite. La plupart des choses que nous faisons durant une journée ne résultent pas d’une consigne émise par un organe de contrôle central. En fait, il est presque plus facile de parler de ce qui n’est pas auto-organisé (la plupart des entreprises, des partis politiques, des gouvernements…) que de ce qui l’est (tout le reste).

J’ai bien sûr mon exemple préféré d’auto-organisation : la circulation routière. L’organe de contrôle est totalement distribué : les signalisations éparpillées sur le territoire donnent des consignes ponctuelles, mais la plupart du temps nous sommes livrés à nous-mêmes. Rien ne nous empêche de jouer aux autotamponneuses sinon quelques règles.

La règle n’a pas toujours pour fonction de réduire la liberté. Elle peut souvent l’accroître.

Il ne faut pas chercher des exemples d’auto-organisation au grand jour. Nous sommes dans une société gouvernée par des pyramides, elles attirent la lumière. Les AMAP sont, par exemple, une façon d’auto-organiser sur le territoire un circuit alimentaire alternatif. L’auto-organisation est par principe souterraine, structurelle, fédératrice. Quand on la voit se manifester au cours d’une campagne électorale, c’est déjà sous une forme pervertie.

Note sur l’autogestion

Quand je parle de l’auto-organisation, on me renvoie souvent à l’autogestion. Pour moi l’autogestion, c’est typiquement la coopérative. Tous les employés possèdent l’outil de production, éventuellement à parts égales. Maintenant une coopérative n’est pas nécessairement auto-organisée. Elle peut adopter une structure pyramidale.

Inversement, un système auto-organisé n’est pas nécessairement égalitaire. La nature est dans une grande mesure auto-organisée et il y existe des puissants et des faibles.

Ainsi Internet, qui repose sur de nombreux mécanismes auto-organisés, n’en est pas pour autant égalitaire (il est même tout sauf égalitaire).

Dans un système auto-organisé, les agents ne sont pas plus libres que dans un système pyramidal. Le fait de ne pas voir clairement l’organe de contrôle ne signifie pas qu’on ne lui obéit pas. Parfois il est même plus facile d’éructer contre un guignol bien visible que contre des forces plus souterraines.

De la démocratie

L’organisation pyramidale ou l’auto-organisation ne sont pas en concurrence dans l’absolu. Simplement, en un âge de complexité croissante, la démocratie doit adopter des organisations capables de gérer la complexité (l’incapacité de gérer la complexité nous ferait verser vers la dictature et vers une gigantesque récession).

L’auto-organisation est alors une méthode à considérer. Elle est démocratique par définition : elle confère le pouvoir au peuple puisqu’il se retrouve distribué entre les individus. Mais chacun d’entre eux ne dispose pas d’un pouvoir équivalent.

L’auto-organisation en elle-même ne garantit ni la liberté, ni l’égalité, ni la fraternité. Pas plus que le système pyramidal d’ailleurs.

Dans la quatrième partie de mon Alternative nomade, je montre que la liberté et la fraternité sont consubstantielles. Plus nous nous lions, plus nous accroissons notre liberté, ce qui est la seule stratégie de survie dans un monde qui se complexifie.

La complexité du monde nous pousse à adopter l’auto-organisation, une auto-organisation qui maximise la liberté et la fraternité (ce qui ne serait pas le cas si la complexité n’était pas extrême). Pour le même prix, nous avons la liberté, la fraternité et la complexité… ou la catastrophe.

Reste l’égalité, l’égalité en droit bien sûr. Je ne pense pas qu’une forme d’organisation puisse intégrer en elle-même cette idée, justement parce que c’est une idée qui a émergé assez tardivement.

Imaginons de fortes inégalités. Certains liens se retrouvent déséquilibrés, des liens de type maître-esclave. Ils réduisent l’intelligence collective, donc présentent un handicap pour l’ensemble de la société. Dans un monde de plus en plus complexe, nous avons tout intérêt à lutter contre les inégalités pour ne pas nous affaiblir globalement. Le troisième pilier de la démocratie est nécessaire dans un environnement complexe.

Manager vs leader

J’ai discuté de cette nuance dans la seconde partie du Cinquième pouvoir. Pour résumer. Le manager connaît la solution. Le leader donne envie de trouver une solution et de la mettre en œuvre.

Alors oui il y aura toujours des leaders, parce que des hommes auront plus d’énergie, plus de stamina, plus de charisme… plus de facilité à créer des liens. L’égalité en droit n’empêche pas la diversité.

Mais il faut se placer dans la perspective des TAZ. Le leader d’une TAZ ne sera pas nécessairement le leader d’une autre. Les circonstances font le leader.

Nous devons mettre en place des structures souples pour que les leaders puissent émerger vite et rentrer dans le rang tout aussi vite. Faire tout le contraire de ce que nous propose la politique actuelle. Où il faut longtemps pour atteindre le sommet, ce qui ne donne aucune envie d’en redescendre.

Pouvons-nous empêcher un leader de s’accrocher ? La complexité sans cesse croissante devrait se charger de faire le ménage. Un leader qui s’accroche, qui n’est plus capable d’accompagner la complexité, devient un frein… il pénalise le système… qui fera émerger un autre leader si nécessaire.

PS : Je ne pense pas avoir dit qu’Internet était une société. Internet est un territoire où une part de notre société se développe. Si notre société a un pied sur un territoire, un pied sur un autre, elle ne peut que boiter. C’est toute la société qui ressent les claudications. C’est une autre façon de décrire le cycle 1/Information 2/Homme 3/société 4/Homme. Transformer l’information, transforme la société.

» Article initialement publié sur Le Peuple des Connecteurs

»Image d’Illustration par PaDumBumPsh sur Flickr

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