Baliser la relation patient-médecin sur Internet

Le 5 août 2010

Alors que le principe de tradition est fort chez les médecins, comment mieux intégrer l'Internet pour améliorer la relation avec le patient ? Comment aider ce dernier à utiliser l'outil ?

Internet modifie la relation patient-médecin, une évolution positive mais la présence de médecins français sur le web est encore bien trop timide. C’est ce qui est ressorti du débat organisé par le Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom) sur “L’évolution de la relation médecins-patients à l’heure d’Internet” [PDF] en mai. Cependant certains aspects de la question suscitent parfois des points de vue divergents.

Le Cnom a bien avancé sur le plan théorique : il a proposé au printemps dernier une charte de conformité ordinale applicable aux sites des médecins [pdf]. Elle précise encore plus ses recommandations en matière de déontologie médicale émises en 2008 [pdf]. Rappelons avant d’entrer dans son détail qu’un médecin est déjà tenu de respecter le code de déontologie médicale quel que soit le média où il communique. Il sera ainsi toujours interdit de pratiquer la médecine comme un commerce (article R. 4127-19 du Code de la santé publique), ce qui interdit la publicité.

La position prudente du Cnom

La position générale du Cnom est claire : ne rien imposer mais proposer un guide. Libre à chacun de la respecter ou pas. Dans ce sens, il ne délivrera pas d’agrément. De même, il conseille seulement de demander la certification Health On Net officiellement chargée de cette partie par la Haute Autorité de Santé sans lui donner de caractère obligatoire. Sachant que si un médecin passe devant le conseil disciplinaire, le fait qu’il ait dérogé à ce cadre sera un élément en sa défaveur puisque les recommandations ont une valeur anticipatoire.

Le Cnom a réservé le nom de domaine .medecin.fr. Si un médecin veut y héberger son site, il devra respecter les principes de la charte de conformité ordinale, “très restrictive, qui ne va pas susciter l’enthousiasme : la fantaisie est interdite. C’est nécessaire, quitte à ouvrir ensuite“, indique le docteur Lucas, vice-président du Conseil de l’ordre en charge des technologies de l’information et de la communication. Pour les animation Flash et les couleurs acidulées, on repassera donc.

L’échange est strictement encadré, se limitant à une icône de contact pour prendre rendez-vous. “Il y a obligation de dialogue, le colloque singulier, c’est-à-dire la relation verbale entre un médecin et un patient, mais pas d’être scotché à la messagerie. Le médecin a autre chose à faire, cela parait dangereux“, explique le docteur Jacques Lucas. Par exemple, vous ne pourrez pas détailler vos symptômes. Sur le dialogue médecin/patient, le Cnom prône de façon générale une très grande prudence, en raison de la fragilité psychologique potentielle du patient.

Denise Silber, fondatrice de Basil Strategies, société de conseil en e-santé, comprend l’arrière-plan juridique qui a guidé ce point, mais “n’est pas sûre que ce soit une bonne chose d’exclure cette possibilité : il existe déjà des messageries. Cela doit évoluer dans le sens de l’échange. Les problème sont les mêmes IRL et en ligne.” De fait, il est déjà possible de dire à une secrétaire médicale voire à son médecin via un bon vieux téléphone de quoi l’on souffre.

De l’information statique

Il sera possible de donner de l’information mais avec des interdits : dans le cas de la chirurgie esthétique, par exemple, il ne sera pas possible de poster des photos avec “avant”/”après”. On ne s’étonnera pas que l’information statique soit recommandée. Forum, prudence…  “On ne s’improvise pas modérateur, les médecins le font sous leur responsabilité, avance Jacques Lucas. Nous-mêmes nous avons préféré de pas en offrir sur le site du Cnom.” Ils ne sont pas non plus ayatollesque puisqu’ils ne prônent pas la modération a priori.

Denise Silber trouve cette position “un peu limitative. La charte pourrait laisser la possibilité de faire d’autres choses qui ne sont pas dans la liste : faire un point de l’état d’avancement de sujets, faire des réflexions médicales. Il n’est pas évident que cela cadre avec la charte.” Elle estime aussi que l’interactivité pourrait être inclue : “Le médecin doit garder sa libre expression. Il devrait pouvoir répondre sur des sujets d’actualité. Et il pourrait y avoir un système de question-réponses entre médecins et patients.

Une opinion partagée par Marie-Thérèse Giorgio, de Médecins Maîtres-toile (MMT), une association de médecins-webmaster : “Un site statique a un intérêt limité, on souhaite de l’interactivité. La plupart des sites MMT ont un forum.

Prudence donc dans l’ensemble pour l’heure, mais qui peut se justifier par l’absence de jurisprudence disciplinaire. Le projet est entré dans sa phase concrète en juin avec l’ouverture d’une messagerie @medecin.fr. Ceux qui s’engagent à respecter la charte seront inscrits sur la liste du Cnom. Rendez-vous dans quelques mois pour voir si elle a du succès. Dixit le docteur Lucas, elle a été “bien accueillie dans l’ensemble.” Marie-Thérèse Giorgio ne pense pas que tous les médecins auront à terme leur site : “C’est chronophage, même si des sociétés font des sites clés en main. Que le médecin lambda préconise des sites d’accord, mais tous ne pourront pas alimenter, c’est utopique.

Lors du débat du printemps dernier, le docteur Lucas estime que la formation initiale des médecins et des praticiens de santé en général devrait plus intégrer les TIC qu’elle ne le fait actuellement. Un point de vue qui laisse songeuse Marie-Thérèse Giorgio : “La nouvelle génération n’en a pas besoin, c’est plutôt dans l’autre sens, cette réflexion semble déconnectée.” En revanche, faire de la formation continue lui parait plus pertinent. Le docteur Jacques Lucas précise que “le problème de la formation continue, c’est que les médecins qui détiennent le pouvoir dans ce domaine sont des anciens.” On arguera qu’un médecin peut de lui même suivre quelques cours sans en référer en haut. Par-delà la formation continue, le docteur Lucas a aussi insisté sur la nécessité d’investir dans l’équipement. Car contrairement à ce que l’on pourrait penser, tous n’utilisent pas la carte vitale et ne sont de fait pas obligés d’avoir un ordinateur dans le cadre de leur travail.

Certification: certes mais encore

Autre problème à résoudre, celui de la certification, méconnue et remise en cause. De façon générale, comment guider avec efficacité les patients vers des sources d’information fiable ?

La certification HONcode  sera-t-elle bientôt concurrencée par celle de MMT ? Marie-Thérèse Giorgio nous a indiqué que l’association envisageait de créer sa propre certification : “Nous sommes une structure indépendante, nous sommes bien placés, avec des médecins dans toutes les spécialités, qui connaissent le monde d’Internet“, justifie-t-elle.

Le docteur Lucas pense que les sites certifiés doivent “s’ouvrir aux incertitudes et ne pas asséner une information officielle trop stricte. Peut-on certifier un contenu sans reformer le saint office de l’inquisition ? C’est délicat. Nous allons y travailler avec le docteur Dupagne. La HAS a été interpellée par lui et l’ordre se dit qu’elle doit faire quelque chose.

Autre façon de faire le tri, la recommandation. La profession, qui bénéficie déjà de la crédibilité, a son rôle à jouer. Aussi bien MMT que le Cnom pensent que les médecins pourraient s’en charger, entre autres. Les sociétés savantes pourraient aussi flécher l’information pense Jacques Lucas.

Plus complexe -cela ne s’injecte pas-, le sens critique est aussi une façon d’éviter les charlatans qui trouveront toujours moyen de se faire héberger quelque part. L’école, les médias et les médecins devraient être en première loge pour aider à l’acquérir. “Il faut croire à l’intelligence collective, la communauté des lecteurs s’autorégule, et aux associations de patients, des forums dédiés à la maladie, c’est très bien” souligne aussi le docteur Lucas. Le site américain Patients like me a poussé la logique au bout, se présentant comme une plate-forme d’échange entre patients. Chaque pathologie a sa communauté : sida, épilepsie, cancer… En France, son équivalent devrait arriver en 2011, Entrepatients, géré par l’agence de communication Axense Santé(1)

Il indique aussi que “la presse spécialisée et professionnelle pourraient être un levier pour la diffusion de l’information et que les sociétés savantes mettent les publications en ligne et les ouvre, y compris au public. Et si l’État veut mettre de l’argent, qu’il fasse une bibliothèque en ligne. Il  existe déjà des bases mais elle sont réservées aux chercheurs universitaires.” Un peu de vulgarisation ne serait toutefois pas malvenue : tout le monde n’a pas un diplôme en la matière…

Être ami avec son médecin sur Facebook… ou pas

Terrain récent, les réseaux sociaux, et en particulier, l’incontournable Facebook, représentent aussi un important sujet à controverse. Le Cnom a émis une recommandation négative “qui devrait le rester” lorsqu’il s’agit de relations entre individus, plaçant les échanges réseaux sociaux sur le plan des relations personnelles. “Il faut contrôler le transfert et le contre-transfert, et éviter de créer une relation de dépendance affective voire amoureuse. La distance nécessaire, rappelle le docteur Lucas, pour cette raison, il est déjà déconseillé de soigner sa famille. On parlait de l’amour des patients, autrefois, cela transpire le paternalisme, je n’ai aucun amour pour mes patients“, lance-t-il sous forme de boutade. Bref, si un professeur peut être ami avec ses étudiants sur Facebook, il ne serait en être de même entre patient et son médecin. En revanche, mais pour mieux référencer le Cnom et intervenir sur les réseaux en tant qu’institution, ils réfléchissent à une présence.

Concernant Facebook, Denise Silber va dans le sens du Cnom : “À moins de restreindre son compte à de l’information professionnelle, ce n’est pas le lieu approprié de l’échange.” En revanche, les sites institutionnelles devraient intégrer les médias sociaux, car en être absent est maintenant “rédhibitoire”. Et de citer l’exemple de la grippe A : ces derniers avaient alors dépassés les premiers. Certes, mais intégrer pour intégrer mènera-t-il à quelque chose ?

Gérard Raymond se montre également réservé là dessus, pointant des dérives possibles, par exemple de la part de certains nutritionnistes qui deviennent des marques. Mais faut-il s’interdire un nouveau média, sous prétexte qu’il présente des risques ? Dans tous les cas, la bonne vieille déontologie médicale est là pour encadrer cet aspect, l’Internet n’est pas une zone de non-droit.

Et les risques de dérives déontologiques ne sont pas nés avec l’Internet : “Les sociétés savantes sont financées en partie par l’industrie pharmaceutique“, rappelle Denise Silber. “Les études des médecins payées en partie par les firmes“, rajoute le docteur Lucas.

Marie-Thérèse Giorgio se montre assez sévère sur le point de vue du Cnom : “Ces gens ne pratiquent pas, on a peur de ce qu’on ne connait pas. Le terme “ami” sur Facebook est différent du sens de la vraie vie. Il faut faire confiance, cela permet d’échanger avec des jeunes. Le Cnom est trop formel sur le web. Et un médecin peut bien être ami avec quelques-uns de ses patients sur Facebook, sans passer par son compte professionnel,  comme il l’est dans la vraie vie avec certains de ses patients… Cela ne concerne bien sûr qu’une infime minorité de sa patientèle…

À titre d’exemple, Valérie Brouchoud, présidente de Doctissimo, avait évoqué la possibilité pour un médecin de faire un groupe “Mes patients diabétiques” et échanger avec eux par ce biais.

Quid du Grand portail annoncé par Roselyne Bachelot ?

Au printemps dernier, Roselyne Bachelot a annoncé en mode “coup de communication” un portail national, sur le modèle du NHS anglais, regroupant Doctissimo, le portail de l’Assurance-maladie et le service «Priorité santé» de la Mutualité française (à ne pas confondre avec esante.gov, portail plutôt à destination des professionnels). Dans ce contexte, le lancement d’une “mission exploratoire” sur un “service public de conseil médical et d’orientation” était aussi annoncé, dont les conclusions étaient attendues mi-juillet. À deux reprises depuis  la mi-juillet, le service de presse du ministère n’a toujours pas répondu, et semblait moyennement au courant.

En tout état de cause, la proposition de script dérange. Le docteur Lucas estime “prématuré” que Doctissimo soit partenaire : “je n’en pense pas du mal : l’information basique n’est pas de mauvaise qualité. Sur les forums, on trouve quelques aberrations, mais une personne normale les repère, de même les trolls, grâce à l’autorégulation. Mais cela créé des craintes, même s’il n’est pas antinomique qu’un site à vocation lucrative (appartient à Lagardère depuis 2008, ndlr) donne de l’information de qualité. Mais on y trouve beaucoup de publicité, y compris pour produits sans efficacité avérée, ce qui pose des questions.

Il dénonce le danger d’une communication “à l’ORTF, un grand portail ça fait soviétique“, soulignant l’importance de la proximité. “Un portail d’accès oui, mais convivial, celui de la Haute Autorité de Santé (HAS) est aussi attractif que celui de L’Osservatore romano, celui de Doctissimo est attractif. Il faudrait avoir la possibilité de descendre en région, avec une liste des sites labellisés.” Point positif, la forte notoriété de Doctissimo fera remonter ce portail dans les moteurs de recherche. Et au moins l’argent ne sera pas dispatché. Vu l’importance du sujet, il va jusqu’à préconiser un débat public organisé par la HAS, avant que le Parlement ne légifère.

Sur ce sujet, Marie-Thérèse Giorgio rejoint le Cnom : “On en pense forcément beaucoup de mal : Doctissimo est lié à l’industrie pharmaceutique, ils ont de la publicité, c’est pervers de diffuser une information assimilée à la publicité. Nous n’avons rien contre les bases de données de Doctissimo, mais c’est une idée lancée vite, en s’inspirant de ce qui se fait à l’étranger (En Grande-Bretagne), il faut affiner le projet.” Denise Silber tempère : “Il peut s’agir de récupérer leurs bases, sans publicité. Cela permettrait d’agir rapidement.

En attendant, le site de l’assurance-maladie propose depuis mai de l’information santé, axée sur la prévention, et annonce que cette partie sera enrichie au cours de l’année.

Dans l’absolu, Internet ne connaissant pas de frontière, le Cnom avait indiqué en 2008 “souhaiter que s’établisse un travail plus large, au moins avec les autorités de régulation des autres États membres de l’Union européenne.” Il possède d’ailleurs un bureau à Bruxelles, et des rencontres avec des députés sont prévues. Autre solution : “laisser faire et appliquer le droit commun disciplinaire.” MMT et le Cnom devrait aussi avancer ensemble, à partir de la rentrée. Un point aura lieu au printemps prochain sur l’avancée sur ces questions à l’occasion d’un débat similaire à celui de mai dernier. On suit l’évolution du dossier de ce patient complexe.

Le site de HONcode ; le site de l’AQIS (Association pour la Qualité de l’Internet Santé)

Le site de Médecins Maîtres-toile ; le blog de Denise Silber, consultante e-santé

(1)sur Atoute.org, le docteur Dupagne vient de faire un article sur Entrepatients.net

Image CC Flickr andyde

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