Le streaming pour moderniser les bibliothèques ?

Le 17 mars 2011

Les bibliothèques, vestiges à la marge de la modernité dans la dynamisation des contenus ? Pas si sûr si l'on en croit l'initiative alsacienne qui propose aux usagers de streamer un large catalogue musical.

[Ce billet fait partie d'une série sur le livre numérique et les bibliothèques, retrouvez les épisodes précédents dans l'ordre sur le blog Bibliobsession sous le tag : Livre numérique et bibliothèques]. Il a été repéré par OWNI.fr.

J’avais émis il y a quelques jours le constat suivant : Les bibliothèques ne seront perçues comme des intermédiaires utiles que si elles combinent une valeur ajoutée en terme de médiation, de services, voire de contenus exclusifs par rapport à une offre commerciale grand public. Comment cela peut-il se traduire dans un modèle d’affaire ?

C’est le pari tenté par les médiathèques Alsaciennes. Voici la présentation du projet qui a bénéficié du soutien du Ministère de la Culture dans le cadre de son appel à projet culturel numérique innovant.

La dématérialisation progressive de la musique amène les bibliothèques de lecture publique à revoir leur manière d’assurer leur rôle de diffusion et de pédagogie autour de la musique. Plutôt que le téléchargement qui impose de nombreuses contraintes à l’usager, les bibliothèques alsaciennes souhaitent mettre en œuvre une offre légale d’écoute en ligne (streaming) afin d’offrir un accès facile et rapide à une offre musicale dématérialisée via un simple navigateur. Ainsi les adhérents des bibliothèques alsaciennes participant à UMMA bénéficient d’un accès privilégié à une version dédiée de musicMe dont les pages et les services sont entièrement réservés à UMMA.

Cette version spécifique de musicMe donne accès à l’écoute en streaming d’un catalogue de 6 millions de titres (4 majors et 780 labels), des discographies complètes, des photos et vidéos d’artistes ainsi que des radios thématiques et des radios intelligentes (musicMix).

Une plateforme de découverte musicale entièrement gérée par les bibliothécaires musicaux. Par ailleurs, les fonctionnalités de radios permettent aux bibliothèques de construire des parcours de découvertes musicales en lien avec leurs missions pédagogiques. Courant juin 2010, les bibliothécaires musicaux pourront en outre modifier toute la partie éditoriale du site : gestion des albums en page d’accueil, gestion des rubriques « nouveaux talents » et « albums à découvrir », programmation de vos canaux radios, intervention dans les rubriques de recommandations d’artistes similaires, dans la gestion des genres musicaux et modification dans les biographies d’artistes. Une API permet aussi de proposer, quand c’est possible, l’écoute d’un extrait lors de la visualisation d”une notice sur le catalogue en ligne de la bibliothèque.

Quels résultats pour cette expérimentation ? Selon Xavier Galaup, son initiateur :

“Avec presque 300 inscrits sur les deux sites, 36 radios créées et 1500 Euros de coût lié à la consommation, je peux déjà dire que l’expérience est réussie au-delà des objectifs fixés au départ à savoir réussir à attirer un public significatif, maîtriser les budgets et s’approprier la plate-forme pour la médiation numérique. La collaboration avec musicMe est très bonne même si en utilisateur exigeant nous aurions aimés quelques évolutions plus rapidement. D’un autre coté, musicMe a développé la possibilité de personnaliser les albums à la Une et dans tous les genres musicaux ainsi que de modifier le contenu de certaines parties du site. Ce qui n’était pas prévu dans le cahier des charges initial… Rappelons que nous avons à faire à une petite entreprise d’une douzaine de personnes gérant plusieurs marchés en même temps…

J’attends maintenant avec impatience l’ouverture des deux autres sites pour voir l’écho auprès du public et les réflexions apportées par d’autres expérimentateurs. Fort de ces premiers mois, musicMe prépare et ajuste pour 2011 son offre aux bibliothèques. Nous vous tiendrons au courant.”

L’exemple illustre que la médiation numérique peut en soi-même constituer une valeur ajoutée monétisable auprès d’un fournisseur de contenus. Plutôt que de vendre des contenus à l’acte, on propose aux usagers un accès illimité et on vend aux bibliothèques des services leur permettant de mettre en œuvre une médiation numérique efficace.

Même si ici le modèle est hybride puisque le fournisseur tarifie l’accès aux contenus et la consommation à l’acte en amont de l’écoute par l’utilisateur, on peut tout à fait imaginer creuser ce modèle vers la fourniture de services permettant une médiation efficace, de nature à conserver l’attractivité du modèle et la soutenabilité de l’offre pour les budgets des bibliothèques. Le modèle montre en outre qu’il est tout à fait possible de quantifier et de tarifer chaque écoute ou chaque accès en streaming depuis une plateforme en maintenant une illusion d’illimité pour l’usager sur le modèle du “buffet à volonté” où les usagers s’auto-régulent.

Ajouter du service autour de contenus libres

Autre exemple, celui de Revues.org très bien expliqué par Pierre Mounier :

nous avons élaboré un modèle économique et une proposition commerciale permettant de soutenir la diffusion en libre accès sur le web des résultats de la recherche en sciences humaines et sociales. Ce modèle, baptisée OpenEdition Freemium, déconnecte l’accès à l’information, qui reste libre, de la fourniture, payante cette fois,  de services supplémentaires. Conséquence  : les contenus (livres, revues, carnets, programmes scientifiques) restent diffusés en libre accès pour tous dans le format le plus universel et le plus accessible : celui du web. Mais nous vendons des services supplémentaires qui permettent par exemple de télécharger des fichiers pdf ou epub à partir de ces contenus (pour les lire plus confortablement ou les enregistrer plus facilement), d’accéder à des statistiques de consultation, de bénéficier d’alertes personnalisées sur ces contenus, ou encore d’ajouter facilement les titres au catalogue.

Qui sont les destinataires de ces services payants ? Les bibliothèques bien sûr, en priorité, qui retrouvent par ce moyen la possibilité d’acquérir (des services) pour des contenus en libre accès et peuvent donc réintégrer le circuit documentaire. Qui sont les bénéficiaires des revenus ainsi obtenus ? Les producteurs de contenus en libre accès, les revues et leur éditeur particulièrement, qui trouvent ainsi un soutien dont ils ont très souvent besoin pour pérenniser et développer leur activité.
Qu’essayons-nous de faire ? Nous tentons de reconstruire une alliance stratégique entre éditeurs et bibliothèques pour soutenir la publication en libre accès au coeur même du Web. Nous ne pensons pas du tout que ces acteurs historiques de la communication scientifique et de la diffusion des savoirs doivent être balayés par Google ou bien restés cantonnés derrière les murailles stérilisantes des plateformes à accès restreint. Nous voulons leur permettre au contraire d’être bien présents et d’apporter toute leur compétence accumulée au coeur du nouvel environnement qui se développe à grande vitesse.

On le voit le modèle mise sur l’idée que notre valeur ajoutée soit la diffusion et pas l’exclusivité des contenus, mais celle des services. Voilà une piste intéressante non ?

Article publié initialement sur Bibliobsession

Photo FlickR CC by-nd the pale side of insomnia

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