São Paulo, ville (presque) sans pub

Le 5 juillet 2011

La métropole brésilienne a adopté une attitude radicale vis-à-vis de la publicité: depuis quatre ans, elle a banni toutes les affiches des rues.

Une rare victoire de l’intérêt public sur le privé, de l’ordre sur le désordre, de l’esthétique sur la laideur, de la civilisation sur la barbarie

La verve en bandoulière, le lyrisme porté haut et fier, l’écrivain brésilien Roberto Pompeu de Toledo célèbre, à sa manière, la loi “Ville Propre” de São Paulo, un an après son vote.

São Paulo, octobre 2006. Le poumon économique du Brésil est enfoui sous une épaisse couche de publicité. Des panneaux géants envahissent les toits, les néons prolifèrent, des bâches dissimulent des immeubles entiers. Cinq millions d’affiches pour vingt millions d’habitants. Avec l’abondance de la publicité, le message commercial se dilue dans la masse… un problème que les communicants résolvent en intensifiant l’affichage!

Pour s’extraire de ce cercle vicieux, la nouvelle loi se devait de frapper fort. A la surprise générale, le conseil municipal vote alors, à la quasi-unanimité, une loi bannissant la publicité de tout l’espace public. “Ville propre”, une première mondiale.

A l’exception notable du mobilier urbain (abribus notamment), toute affiche visible depuis la rue doit désormais irrémédiablement disparaître. Les quelques pubs encore autorisées doivent se plier à des conditions drastiques de taille, de hauteur, d’espacement…. Voté sous l’impulsion du maire Gilberto Kassab (centre-droit), acquis aux principes de la société de consommation, le décret se veut un simple acte de bon-sens pour lutter contre la pollution visuelle, dénué de toute arrière-pensée idéologique.

Une ville à réaménager

Entrée en vigueur le 1er janvier 2007, la loi “Ville Propre” transforme, plusieurs mois durant, São Paulo en un immense chantier à ciel ouvert. Un à un les panneaux publicitaires sont démantelés, parfois accompagnés d’une amende salée (pouvant aller jusqu’à plusieurs milliers d’euros) pour les propriétaires récalcitrants. Nulle pitié, même les affiches électorales n’y coupent pas!  La légende veut même qu’un avion frappé d’une publicité ait été interdit de survol de la ville. Ce qui amène les habitants, les Paulistes,  à découvrir un beau jour leur cité nue… et hideuse.

La ville est moche, du coup la publicité cachait sa laideur” affirme Nicolas Lechopier, auteur d’un mémoire sur le sujet et militant anti-pub au sein du Collectif des Déboulonneurs.

Nous sentons que les gens parlent avec fierté de cette ville nouvelle qui est apparue, ce qui était caché par la pollution” avance, à l’inverse, Régina Monteiro, directrice de l’urbanisation à São Paulo et l’une des clés de voûte du projet “Ville Propre”.

Ils disent qu’ils voient une ville plus belle, ils voient l’architecture, le paysage, l’environnement urbain

Pour habiller ces façades désormais épurées, la municipalité de São Paulo a dû mettre en place une ambitieuse politique d’aménagement urbain: graffs, sculpture, photographie…

Disparition de la publicité, certes, mais à quel coût ? Dalton Silvano, conseiller municipal de São Paulo, fut la seule voix discordante lors du vote de la loi. Pour cet ancien publicitaire, elle a porté un coup dur au monde de la communication. “Cela a eu un effet terrible, aboutissant à la fermeture d’entreprises de l’industrie ainsi qu’au renvoi de milliers de travailleurs, directement ou indirectement impliqués dans ce média” affirme l’élu, sans toutefois citer de chiffres précis.

Même flou du côté de la municipalité:  “Nous n´avons pas réalisé d’études sur le sujet, mais nous savons que les gens qui dépendaient de travail d’affichage ont été formés dans d’autres types de travaux tel que le marché qui a été créé pour répondre aux façades du commerce”. Au plan macro-économique, la loi ne semble avoir eu que peu de répercussions: les annonceurs se sont rabattus sur les autres moyens de publicité disponibles (médias, télévision…)

Effectivement, la publicité est loin d’avoir disparue totalement. “La loi a banni l’affichage tel qu’il existait mais ça va revenir par le biais du mobilier urbain” explique Nicolas Lechopier. Car, selon les propres termes de “Ville Propre”, les abribus, les horloges publiques ou encore le métro sont exemptés de l’interdiction. En 2009, un appel d’offres, sur les rangs duquel se trouvait JC Decaux, a d’ailleurs été lancé pour la construction de nouveau mobilier urbain. La loi interdit la publicité fixe? Qu’à cela ne tienne, un homme-sandwich ne tombe pas sous le coup de l’interdiction…

La suppression de la publicité, vitrine de São Paulo

Il n’y aura pas de vigilance parce qu’il n’y a pas d’idéologie sous-jacente à la loi, il faudra vraiment qu’ils y réfléchissent à deux fois avant de remettre de la pub

s’inquiète Nicolas Lechopier. Mais le décret “Ville Propre” a connu un écho inattendu. A l’heure où les grandes métropoles soignent leur image pour attirer les capitaux, la suppression de la publicité est devenue la vitrine de São Paulo.

Les répercussions internationales n’étaient pas du tout prévues, confirme Régina Monteiro. Dans les trois ans qui ont suivis le vote de la loi, nous avons été approchés par plusieurs villes hors du  pays et, ces dernières années, par des grandes villes brésiliennes désireuses de mettre en oeuvre leur propre projet

Prise au dépourvue, São Paulo s’est vue conférée un statut de précurseur en matière de réglementation de la publicité. Quatre ans après l’adoption de la loi “Ville Propre”, près d’une cinquantaine de métropoles ont adopté des législations similaires. Pour Régina Monteiro, “Ville Propre” fait désormais partie du patrimoine pauliste, peut-être la clé de sa pérennité:

Si un politicien essayait de la changer, nous sommes sûrs que la population viendra la défendre. La loi n’est pas plus d’un politicien ou d’un autre, la loi est de la ville.

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